L'écriture est déjà une thérapie.
Le "Spleen" est aussi un style littéraire bien typique. Il va un peu de paire avec une mode "... l'autre stéréotype dominant, celui de la belle malade aux yeux cerné du second modèle à l'œuvre, au XIXe siècle, est celui de la féminité maladive. Il s'agit aussi bien d'une malade des nerfs, dont le déséquilibre confine à la folie et dont la figure emblématique pourrait être "La Dame aux camélias". Cette beauté a le teint livide, les yeux cernés et les joues creuses. Signes de mélancolie et de désespoir, ces physiques correspondent à une femme mystérieuse, lointaine, fantasmée." De fait, la mode était au "naturel" mais il fallait se farder sous les yeux (des cernes) et le tout se devait d'être accompagné de poses fatiguées ou lascives avec un teint blafard (on peut le voir avec Mme Récamier). On pourrait y voir le début d'un "spleen" physiquement visible : les mots viendront ensuite.
Il est à noter que le "Spleen" ne touche pas tous les poètes : les "Parnassiens" ne donnent pas dans le style. Tout le monde n'a pas la patte pour exprimer cet état.
Le Spleen peut être assimilé à un certain dandysme. Il n'a rien de commun avec un mal être comme nous l'entendons de nos jours. Le Spleen est entretenu et demande une situation matérielle aisée (Baudelaire, Quincey) et Wagner pour la musique.
Mais à ces élans vers l'Idéal viennent s'opposer les obstacles du réel : la maladie (La Muse Malade), la pauvreté qui contraint le poète à avilir son art (La Muse Vénale), l'oisiveté qui stérilise l'inspiration (Le Mauvais Moine), le Temps, cet ennemi qui mange la vie (L'Ennemi), le
Guignon qui étouffe les oeuvres dans l'oubli et surtout les tortures de l'artiste toujours insatisfait de son oeuvre : "
...Pour piquer dans le but, de mystique nature, Combien, Ô mon carquois, perdre de javelots..." (La Mort des Artistes).
Le Spleen se construit. Prenons Baudelaire : dans la lutte incessante entre l'Idéal et le Spleen, c'est celui-ci qui peu à peu devient le maître de l'âme. Survivance attardée du mal romantique, ce Spleen doit sa teinte spéciale à la personnalité de l'auteur. A sa source il y a la détresse de Beaudelaire, ses ennuis matériels (après ses voyages), ses déficiences physiques, "l'Hiver" de son corps et de son âme. Il y a enfin le combat entre l'Idéal et le refus
"...d'un monde où l'action n'est pas la soeur du rêve..."Ramené à son origine profonde le Spleen baudelairien (pour moi, le mieux exprimé avec certains poètes anglais ultérieurs) est essentiellement métaphysique. Devant les maux qui l'oppressent le poète tente désespérément de s'évader vers les sphères de l'Idéal, du bonheur perdu (Invitation au Voyage) mais sans cesse le réel vient arrêter ses élans (L'Albatros), élans qui restent tapis
"...Borné dans sa nature, infini dans ses voeux, l'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux..." (Lamartine), on le lit dans L'Albatros. Les recherches rendent la détresse intolérable. Cet échec de l'infini dans le fini humain aboutit au découragement, à la nostalgie d'une âme exilée (Le Cygne), au sentiment de notre nature irrémédiablement déchue et de l'inutilité de tout effort libérateur puisque
"...C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent...". La conscience angoissée de notre misère s'exprime dans le double thème du temps : tantôt hantise des précieuses secondes que nous laissons fuir sans en faire bon usage, tantôt lassitude à l'idée qu'il faudra vivre encore
"...demain, après-demain et toujours...", d'une existence désolée par l'ennui (La Mort des Pauvres, Le Voyage). Une pareille exploration de la misère humaine conduit à l'écrasement de l'être qui constitue, avec diverses nuances l'état de
"spleen" : sensation d'étouffement et d'impuissance (La Cloche Fêlée), solitude morale (Les Aveugles, Recueillement), sentiment d'incurable ennui (Spleen : "Je n'ai plus de souvenirs..."), pensées macabres et cruelles (Chant d'Automne), malaises et hallucinations poussées jusqu'aux limites de la folie (Spleen : "Quand le ciel bas et lourd...").
Un remède à ceci ? Cela ne se peut car étonnement l'être trouve un équilibre, l'âme est formatée ainsi, le bonheur semble encore plus dérisoire et vain ou petit, mesquin. L'homme est alors dans l'éternelle
"Quête". Excepté Baudelaire, je ne vois pas de poète exprimant le "spleen". Chez Verlaine, on sent l'amour de la vie et l'angoisse est absente de ses poèmes les plus sombres. Apollinaire dans "Alcools" a quelques bons poèmes dans le style.
Comment vivre avec ? Dans la mesure où l'on n'exister pas sans...
Il faut donc faire un choix : vivre ou exister. Dans les deux cas, on est mal mais l'état de "spleen", une fois maitrisé curieusement entraîne un vaste champ onirique et peut rendre créatif quel que soit le chemin pris mais affranchi de tout choix extérieur, de tout jugement puisque le destin choisi son "passager" qui se doit aussi d'être un "témoin". Désolée pour le pavé...