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Plutarque |
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Inscription : 04 Fév 2007 9:08 Message(s) : 175 Localisation : Toulouse
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La Révolution industrielle est un terme inapproprié pour deux raisons : d'abord, il n'y a pas "révolution" mais une accélération progressive des gains de productivité, ensuite, la "révolution" est avant tout institutionnelle. Ce sont les évolutions juridiques qui ont lieu en Angleterre qui permettent la "révolution industrielle".
Henri Lepage, pourquoi la propriété:
http://www.catallaxia.org/wiki2/index.p ... e_anglaise
Rétrospectivement, l'essor industriel des années 1750-1830 nous apparaît comme une véritable rupture, comme l'avènement d'un nouvel âge divisant l'histoire de l'humanité en deux grandes périodes : « avant » et « après ». Mais était-ce vraiment une « révolution » ? Assez curieusement, nous rappelle Douglass North, ce n'est absolument pas ainsi que l'ont vécue les grands témoins contemporains de l'événement, qu'il s'agisse par exemple d'Adam Smith ou des autres pères fondateurs de l'économie politique classique. L'expression de « révolution industrielle » elle-même ne fut introduite que dans les années 1880. Quand on y regarde de plus près, on constate que c'est en réalité dès le XVII° siècle que commencent à se manifester la plupart des phénomènes qui, à nos yeux, caractérisent par excellence « la révolution industrielle » : croissance du niveau de vie, explosion démographique, constitution de grandes cités, exode rural, régression du rôle économique de l'agriculture, progrès des techniques. La période de la « révolution industrielle » marque donc moins une rupture radicale que le point culminant d'une évolution engagée déjà depuis un certain temps et caractérisée par l'essor d'un rythme de développement plus rapide et surtout plus soutenu que jamais auparavant.
Traditionnellement, les livres d'histoire font de la révolution industrielle essentiellement une révolution « technologique » ; il est vrai que l'accélération du progrès technique et de ses applications industrielles joua un grand rôle dans cet épisode de la vie anglaise : apparition de la machine à vapeur, diffusion de nouvelles techniques de tissage, mécanisation croissante, etc. Mais, là encore, il faut relativiser les choses. Pourquoi les Anglais se seraient- ils soudain montrés plus entreprenants et plus innovateurs que leurs ancêtres ? A d'autres époques, dans d'autres civilisations, parfois fort anciennes, le monde a connu d'autres grandes phases d'innovation technologique, sans que celles-ci aient pour autant entraîné des transformations économiques et sociales aussi rapides et aussi spectaculaires.
La question qu'il faut se poser est donc la suivante : comment se fait-il que, soudain, à une certaine époque et pas à une autre, on assiste à un raccourcissement considérable de la distance qui séparait jusque-là le génie créatif et le savoir scientifique de quelques-uns, de leur application à des activités économiques susceptibles d'améliorer le sort quotidien du plus grand nombre ? Et [p. 97] comment se fait-il que c'est d'abord chez les Anglais que cette « révolution » s'est opérée ?
La réponse, réplique Douglass North, n'a rien de mystérieux. Les Anglais furent les premiers, dès le début du XVII° siècle, à inventer la notion du « brevet industriel », à l'occasion du célèbre Statute of Monopolies de 1624. Conçu par le Parlement britannique pour retirer à la monarchie le droit de vendre et de monnayer librement la distribution de franchises commerciales et industrielles (ce qui constituait alors une part essentielle des ressources financières du Trésor royal), ce texte reconnaissait néanmoins à tout inventeur d'un « art nouveau » le droit de se voir attribuer par la Couronne un monopole temporaire d'exploitation industrielle de son invention. Autrement dit, les Anglais furent historiquement les premiers à découvrir le concept de propriété intellectuelle. (...) Partant de là, il n'est pas difficile de voir quels liens relient la structure des droits de propriété à l'innovation et à la croissance. Une société sera d'autant plus innovatrice et portée à la croissance que son système de droits de propriété définira de façon précise les droits d'exclusivité auxquels chacun peut prétendre, qu'elle en assurera la protection efficace et que, par là, elle réduira le degré d'incertitude et de risque associé à toute innovation. A l'inverse, une société sera d'autant moins réceptive au progrès et portée à la croissance que l'imprécision de son régime de droits de propriété et l'inefficacité de ses procédures de protection accroîront les « coûts privés » de l'innovation et réduiront la rentabilité personnelle que l'innovateur anticipera de ses efforts. En conséquence, plus l'écart entre le « gain social » que l'innovation apporte à la collectivité et le « gain personnel » qu'elle est susceptible de rapporter à celui qui en prend l'initiative et le risque, sera réduit, plus les individus se sentiront motivés pour*rechercher en priorité de nouvelles solutions de production allant dans le sens de ce qui est « le plus utile » à la société.
L'important n'est donc pas tant le génie industriel ou commercial, ou même le génie technique dont les Anglais ont fait preuve au XVII° siècle, que le fait que
« l'Angleterre était à l'époque — avec les anciennes provinces espagnoles des Pays-Bas — la nation européenne la plus avancée dans la définition d'un système d'institutions et de droits de propriétés permettant d'exploiter de façon efficace les motivations individuelles pour assurer l'orientation des capitaux et des énergies vers les activités socialement les plus utiles ».
Autrement dit, si l'Angleterre est devenue la patrie de la révolution industrielle, ce n'est pas parce que les Anglais étaient par nature plus doués et plus entreprenants que leurs homologues du continent ; mais parce qu'à partir du XVII° siècle, l'Angleterre était le premier pays d'Europe où les concepts juridiques et les mœurs judiciaires avaient été le plus concrètement marqués par les conceptions nouvelles du droit et de la propriété (pour des raisons que j'ai résumées dans un chapitre de Demain le capitalisme et qui tiennent notamment aux conséquences politiques des Révolutions du XVII° siècle).
_________________ L'Etat n'est pas la solution, c'est le problème.
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