Je viens de lire la plus grande partie de "la guerre de 1870" de François Roth et j'ai enfin compris le déroulement des opérations.
Détail frappant : de toutes les batailles qui vont amener Mac-Mahon à se replier sur Chalons et Bazaine à s'enfermer à Metz, aucune n'est initiée par les généraux en chef. C'est à chaque fois un divisionnaire prussien qui attaque ce qu'il a devant lui, sans savoir quoi, en comptant sur l'appui des unités voisines. Objectivement une prise de décision folle. Mais ça marche, parce qu'en face les généraux français n'appuient pas leur voisin.
Le sommet est atteint à Saint-Privat / Gravelotte, où un divisionnaire de la garde prussienne envoie ses troupes contre la division retranchée à Saint-Privat, sur un glacis de 3 km où elle subit des pertes effroyables. (à la fin de la journée ou relèvera 20 000 tués prussiens) Ni Bazaine, ni Moltke, préoccupés par Gravelotte, plus proche de Metz, n'interviennent dans cette bataille. C'est pourtant à Saint-Privat, grâce à l'intervention de leur artillerie et d'une division voisine, que les Prussiens obtiennent la décision.
la bataille la plus décisive de la guerre n'a pas été conduite, ni d'un côté ni de l'autre. Bazaine qui disposait au matin d'une nette supériorité numérique n'a donné aucun ordre d'attaque.
François Roth décompte 70 000 tués dans cette bataille, record historique jusqu'à la Grande Guerre.
C'est à ce moment que Moltke peut enfin faire son métier et donner des ordres : deux armées pour investir Metz contre toute sortie, et une autre, celle du prince Frédéric-Charles, pour poursuivre Mac-Mahon.
Je m'étais toujours demandé comment Mac-Mahon avait bien pu atterrir à Sedan ? En fait c'est assez simple : alors qu'il retraite sur Chalons, il reçoit l'ordre - de Palikao à Paris - de remonter vers le nord-est pour aller à la rencontre de Bazaine. Le dernier télégramme reçu indiquait que Bazaine continuait sur son mouvement vers Verdun. (Les Prussiens ont investi Metz, fortifié les alentours en urgence, et coupé toutes ses liaisons par télégraphe.)
C'est là que Moltke redevient enfin général en chef : par le télégraphe, il donne l'ordre à Frédéric-Charles de suivre Mac-Mahon, et détache une armée de Metz pour l'attaquer dans sa remontée.
Avec une armée prussienne derrière lui - au sud de la sienne, ce qui le coupe de Paris - et une autre qui arrive sur sa droite, Mac-Mahon est manoeuvré jusqu'à Sedan. La suite est connue : fin du match.
Engagée comme elle l'était, cette guerre est marquée du sceau de la fatalité et va se poursuivre quatre mois, à la grande surprise de Moltke excédé.
Politiquement, la fatalité est l'impossibilité pour les Républicains de prendre le pouvoir et de conclure la paix rapidement. Le pays est en ébullition patriotique et ne l'accepterait pas. D'ailleurs les Républicains croient dur comme fer à la "levée en masse" - comme en 1792 - et vont prolonger les combats bien après la capitulation de Metz, alors que le pays n'a pour ainsi dire plus de soldats professionnels et plus d'armements.
Gambetta crée trois armées : celle de la Loire, celle du Nord, et l'armée de Bourbaki qui monte dégager Belfort. En réalité, pas mal de monde mais rien d'assez nombreux et solide face à aux soldats prussiens.
On va donc continuer à mourir bravement côté français - qui subissent le plus gros des pertes - prolonger la résistance de Paris au delà de toute logique, alors que le pays accablé de levées et de réquisitions n'en peut plus et ne veut plus que la paix. Jusqu'au moment où la capitale affamée devra déposer les armes.
Bilan : l'Allemagne unifiée - le IIe Reich - l'Alsace-Moselle perdue, une amertume sans fond, et les mobiles de Paris qui se prennent pour des soldats et vont bientôt déclencher la Commune. (Déjà pendant le siège un général a dû faire tirer contre une tentative de renverser le gouvernement par surprise.)
Pas l'épisode le plus joyeux de l'histoire de France.
A noter que les Républicains, en juillet, avaient voté sans rechigner les crédits de guerre.