Liber censualis a écrit :
qu'en est-il de l'attitude des papes précédents face aux pogroms perpétrés en Europe de l'est, en Pologne grand-ducale notamment ?
Vous faîtes bien de préciser "en Pologne notamment", car une large partie de l'Europe de d'Est appartient à l'Orthodoxie, zone sur laquelle le Pape n'a aucune autorité par définition.
En Europe catholique, pour regarder les attitudes des Papes, il est intéressant de faire le distinguo entre les pays catholiques, sur lesquels ils exercent un magistère (plus ou moins applicable) et les Etats pontificaux où ils sont souverains.
Tout au long du MA, à peu près tous les pays d'Europe ont procédé à des expulsions de Juifs, à fréquence variable. Une exception notable: Rome et les Etats pontificaux. Ce qui faisait dire avec une pointe d'humour à l'historien américain Thomas Madden:
au XVeme s. le seul endroit sûr d'Europe pour être Juif c'était les terres du Pape. Cecil Roth, le titulaire de la chaire d'histoire juive d'Oxford, disait la même chose.
Parmi les Papes ayant laissé la meilleure mémoire chez les Juifs, il y a: - Grégoire 1er (590-604), qui interdit par principe tout mauvais traitement contre les Juifs
- Calixte II (1119-1124, qui interdit aux Croisés de toucher aux biens des Juifs, dans les territoires de Croisade comme dans les pays d'origine des Croisés, interdiction répétée
22 fois par ses successeurs jusqu'au XVème siècle
- Grégoire X (1271-1276), qui stipule qu'un témoignage d'un chrétien contre un Juif ne peut servir d'accusation s'il n'est pas corroboré par un autre témoin Juif
- Clément VI, évidemment, notre Magnifique Clément VI national qui lors de la Grande Peste de 1348 fut
le seul dirigeant européen qui prit la peine de déclarer que les Juifs n'étaient pour rien dans cette épidémie, que cette rumeur était ridicule et dangereuse, et les exactions à leur encontre inacceptables. Il écrivit en outre une bulle destinée aux évêques, prêtres et moines les enjoignant de protéger physiquement les Juifs
comme il le faisait lui-même.(en Avignon dans ses Etats, donc).
- Boniface IX (1389-1403) qui donne la citoyenneté à tous les Juifs de Rome. Anecdote: Boniface est le premier Pape à avoir un médecin personnel officiel. Un Juif, Angel ben Manuel, son ami jusqu'à la mort, couvert d'honneurs et membre de la Maison Pontificale
sous la protection de Saint Pierre et Saint Paul(sic)
- Martin V (1417-1431) interdit les baptêmes forcés, spoliations et vexations dans les endroits où son autorité le lui permet (en pratique: Italie actuelle, Savoie, Allemagne actuelle). Martin V et Eugène IV ont eux aussi un médecin personnel Juif, rabbin de surcroît: Elijah ben Shabetai, le premier enseignant Juif dans une Université.
- Sixte VI, (1471-1484) qui protège les Juifs romains d'une émeute à la suite de la mort d'un enfant soi-disant tué par des Juifs pour un rite sacrilège.
- Alexandre VI Borgia et Jules II, nos papes corrompus que nous adorons détester, sont du point de vue Juif très appréciés, parce qu'ils étaient amateurs d'art et de littérature hébraïques, qu'ils ont protégé de diverse manière les Juifs romains, et ont donné des postes prestigieux à des savants Juifs.
- Léon X (1513-1521) tente d'interdire les signes distinctifs obligatoires à l'encontre des Juifs. Il n'y parvient pas. En France, par exemple, cela n'est possible que dans Comtat Venaissin, territoire pontifical, et encore, après un sévère conflit avec l'évêque du lieu. (Noter qu'il s'agissait avant tout d'une question de principe: ce genre de discrimination était largement tombé en désuétude). Il fait éditer le Talmud sans omission ni censure par un imprimeur romain.
- Paul III (1533-1549) qui accueille à Rome les marranes expulsés par l'Inquisition espagnole.
Dans la Pologne du XVIIIème s. spécifiquement:- Benoit XIV reçoit en 1758 une délégation de Juifs polonais venus lui expliquer que la violence à l'égard des Juifs en Pologne prend des proportions endémiques.
Il envoie sur place avec tous pouvoirs un légat, le franciscain Ganganelli. Celui-ci remet un rapport, "un document dont le peuple Juif chérira toujours la mémoire avec reconnaissance et affection", selon Cecil Roth. C'est la réfutation de
tous les crimes fictifs attribués aux Juifs qui servent de déclencheurs aux progroms. Ganganelli se fait élire Pape dix ans plus tard sous le nom de Clément XIV. Un des papes préférés des Juifs.