Mon arrière-grand-père, de classe 1915, a fait, d'après ce que m'a dit mon grand-père, le Chemin des Dames et deux fois Verdun. Dans l'une des offensives à Verdun, il a reçu une distinction pour avoir vaillamment défendu sa batterie du feu ennemi (ça, je l'ai lu sur sa feuille-matricule). Malheureusement, j'ai perdu sa feuille-matricule, il faut que j'en refasse une copie aux archives pour vérifier au moins ce que mon grand-père m'a raconté.
Mon arrière-grand-père était fils unique. Un de ses oncles, qui avait douze enfants tous trop jeunes pour être mobilisés, n'avait rien trouvé de mieux que de dire aux parents, qui vivaient bien évidemment dans l'angoisse, que "s'il ne revenait pas de la guerre, ça ne ferait pas une grosse perte". Ce qui avait jeté un certain froid dans la famille...
Mon arrière-grand-père a survécu, donc, aux tranchées, à la boue, aux obus et aux gaz, et ne loupait pas une seule cérémonie du 11 novembre. Mais il n'aimait pas parler de cette période sombre et, dans le village où il habitait, les gens lui avaient donné le surnom de "Tristesse". D'ailleurs, d'après mon grand-père, ceux qui en parlaient beaucoup se vantaient de choses qu'ils n'avaient ni vues ni faites.
Mon arrière-grand-père est mort prématurément en 55, asphyxié dans sa maison par un poêle mal conçu. Il n'avait pas soixante ans.
Un autre de mes arrière-grand-père est également parti au front. Mais il est revenu en 1915 quand est né son sixième enfant, comme soutien de famille.
Un arrière-arrière-grand-père a été porté disparu... mais il est rentré après guerre, il avait été fait prisonnier en Allemagne.
Enfin, un arrière-grand-oncle a été fait prisonnier dès le début de la guerre et a passé ces quatre années, dans un camp, puis dans une ferme aux alentours de Münster. Il s'était entiché là-bas d'une jolie Teutonne qu'il avait bien l'intention d'épouser une fois la guerre terminée (et d'après un de mes oncles, il lui aurait fait au moins un lardon). Mais quand il est rentré en 19, son père lui a dit : "Que nenni, mon fils, tu n'épouseras pas la fille de l'ennemi ! Sinon, je te déshérite !" Le garçon avait beau avoir 27 ans révolu, on ne rigolait pas avec l'obéissance à son paternel en ce temps-là. Et il a épousé une fille du pays... dont il n'a jamais eu aucun enfant !
|