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C'est facile à dire mais, au-delà des réflexions d'ordre tactico-stratégique, le drame c'est la guerre, la société dont l'évolution l'a rendue possible. Mon intervention n'a guère de matériau historique mais c'est celle que m'a inspiré le titre précis de ce sujet...
Assez bien dit, et je partage votre point de vue.
Cependant, la 1ere guerre a été un traumatisme dont on parle encore..... malgré les innombrables guerres anciennes qui avaient déjà provoqué des ravages et de nombreuses pertes, et surtout malgré les boucheries encore plus grandes de 39-45 (mais on peut trouver à cela comme explication: 1) finalement, la 2nde guerre est une continuation de la 1ere, 2) la France, exceptée la Normandie, a été beaucoup moins touchée).
Comment une société dite "avancée" comme celle de la Belle Epoque a-t-elle pu en arriver à sacrifier des générations entières d'hommes comme si c'était une sorte de "jeu"..... sans parler des souffrances atroces que beaucoup de rescapés ont subi (qui font de la mort presque une belle affaire en comparaison de ce qu'ont subi les gueules cassés, les grands blessés, les gazés, les traumatisés dont l'existence s'est réduit à l'ombre de ce qu'elle était....Etc)?
Qu'en 1914, les Etats majors n'aient pas saisi certains enjeux de la guerre industrielle, ok......... (ceci dit, une telle inconstance, une telle irresponsabilité quand on parle de la vie de centaines de milliers d'hommes pour la seule année 1914, sans compter toutes les autres vies brisées, de la famille, des mutilés....Etc, c'est déjà criminel). Mais que dire des offensives de Verdun, de la Somme, du Chemin des Dames, où là le commandement savait parfaitement à quoi les troupes s'exposaient? Y avait-il une telle panique, une telle angoisse, une telle impuissance chez les responsables militaires et politiques pour qu'après 3 ans de massacres quasi inutile, on ait encore cru en la percée miraculeuse? Comment pouvaient-ils dans cette situation se prévaloir d'une quelconque autorité? D'une quelconque légitimité? Comment une République a-t-elle pu ainsi laisser le sort de millions de ses citoyens dans les mains de quelques individus comme Nivelle ou Joffre, avec autorité pour les envoyer à la mort comme bon leur semblait?
Le temps long, sur des questions si vastes, est toujours intéressant.
La guerre se pratique par toutes les sociétés humaines: des chasseurs cueilleurs dit primitifs aux société post industrielles telle que la nôtre.
A l'origine, il s'agit de conflits tribaux souvent très peu meurtriers (j'ai en mémoire des textes évoquant certaines guerres entre indiens où le but est de "marquer un coup", y compris humilier un adversaire en le touchant de façon non léthale), surtout parce que les effectifs engagés sont très faibles et qu'on ne peut se permettre de sacrifier trop de monde. La guerre a en outre probablement très tôt des connotations mystiques (rite de passage, jugement divin....Etc) et sociales (les hiérarchies s'y décident).
Dans l'antiquité, la guerre et l'armée s'institutionnalisent à mesure que la civilisation se développe: l'armée réglementée et au service de l'Etat apparaît. Mais on a toujours une forte connotation religieuse et une célébration du héros de façon quasi mystique. Mais l'être humain en temps de guerre n'a aucune valeur: certains conflits sont des boucheries (la conquête de la Méditerranée par Rome a été extrêmement sanglante), et le vaincu est voué à tous les maux.
Au Moyen Age encore, la guerre est encore une affaire plus ou moins privée. Et elle est enrobé de religiosité et de mysticisme (culture de l'exploit chevaleresque....etc). Durant le Moyen Age central, la guerre est faire de petits coups de mains et d'escarmouche où le but est de faire la preuve de sa bravoure. Ces guerres sont très peu meurtrières par rapport à celles de l'antiquité ou de la période moderne. La technologie joue déjà un rôle: le chevalier est de mieux en mieux protégé, et il constitue l'essentiel des troupes jusqu'à la guerre de Cent Ans. Et c'est durant cette dernière que l'on a déjà des conflits extrêmement durs avec des conditions de vie et des excactions abominables. A défaut d'être acceptés, ces actes et ces destructions paraissent presque comme une fatalité, quelque chose qui ne peut être évité (même si le traumatisme de la Guerre de Cent Ans, qui a mis fin à la période médiévale, a certainement été immense, peut-être de manière comparable à la 1ere guerre mondiale, sachant que comme elle, elle s'est conjugué à d'autres maux et notamment une pandémie extrêmement meurtrière).
Avec les Etats de droits, notamment après la Révolution française, on invente des règles plus précises à la guerre, avec un respect de la vie humaine supposé, né des Lumières, de l'invention des droits de l'homme....Etc. Et cela aboutit paradoxalement à 14-18. Je pense qu'en effet, comme pour les autres périodes, la guerre était faite en rapport avec son époque. Et le début du XXème siècle conjugue une tradition guerrière héritée du passé, où l'exploit, l’héroïsme, le sacrifice sont exaltés, et une société industrielle rationaliste, froide, où tout n'est que rouages et calculs, où l'efficacité est reine et prime sur toute considération morale. Conjuguez cela avec une période de forte tension sociale, avec des ruptures de classes prononcées (on est 40 ans après la Commune seulement) où on se méprise et se jugent en permanence entre classes (sans faire de politique, il est clair que le mépris pour certaines classes sociales a fait partie des facteurs qui expliquent l'indifférence de certains responsables militaires et politiques: la vie d'un paysan ignare, arriéré et stupide, de leur point de vue, n'avait pas beaucoup de valeur).
C'est à mon sens ce qui explique qu'une nation dite moderne ait pu envoyer ses propres composantes à l'abbatoir de cette façon, qu'on se soit obstiné, mettant de côté tous les beaux principes républicains hérités de la Révolution dans une folie générale telle que celle là. Les vieilles traditions surannées des écoles de guerre,l'arrogance d'une classe sociale par rapport aux autres, mêlés à la déshumanisation de la civilisation industrielle sont à mon avis parmi les plus grands facteurs qui expliquent ce qu'il s'est passé. Dans la société industrielle moderne, au fond, et malgré l'apport de l'humanisme et des lumières, l'individu ne compte pas.
Parler de cruauté règle un peu trop simplement le problème sans chercher à regarder en profondeur. Les généraux, bien que premiers responsables, n'étaient pas seuls: les députés et autres élus n'ont pas bronché (pas en majorité en tous cas) et ont même mis la pression aux militaires pour obtenir cette fameuse percée pourtant impossible à effectuer, sans se préoccuper de la situation au front et des vies en jeu dont le reste du pays ne se préoccupait pas ou n'avait pas conscience. Pourtant, la population devait bien se rendre compte de l'hécatombe, malgré la propagande et la censure, ne serait-ce que parce qu'il s'agissait de leurs propres parents, que parce qu'il fallait bien s'occuper des blessés, des mutilés..... Et a-t-elle réagi? Ne porte-t-elle pas une part de responsabilité? D'autant que ces pauvres poilus rescapés, on ne voulait pas les écouter après guerre (j'ai lu et entendu nombre de témoignages en ce sens, les poilus se sentant de toute façon totalement incompris et ne trouvant de réconfort qu'auprès de leurs anciens camarades).
On ne voulait pas savoir réellement ce qu'ils avaient vécus, ce qu'on leur avait imposé, le mépris de leur existence dont on avait fait preuve, y compris parmi leurs proches...... car peut-être qu'admettre comment on avait traité des millions d'hommes de cette manière aurait fait voler en éclat les fondements de la société d'alors.......