Nous sommes actuellement le 12 Mai 2024 5:44

Le fuseau horaire est UTC+1 heure [Heure d’été]




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 95 message(s) ]  Aller vers la page Précédent  1, 2, 3, 4, 5, 6, 7  Suivant
Auteur Message
Message Publié : 11 Oct 2011 10:02 
Hors-ligne
Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant

Inscription : 17 Oct 2003 19:37
Message(s) : 5364
Citer :
Je ne vois pas en quoi la première guerre mondiale a pu nourrir l'expérience du soldat qui a passé six mois dans le bourbier de Stalingrad. Et je parle bien de l'expérience du soldat, pas de celle de ses supérieurs. Six mois ou quatre ans ne changent rien à l'expérience vécue.


Ce n'est pas de ça que je parle. Je dis que ça n'a pas de sens de dire que la PGM n'a rien de spécifique parce que ç'a été pareil lors de la suivante. C'est par rapport aux guerres du passé que la PGM a pu apparaître comme particulière. D'autre part, les soldats de la SGM ont été des enfants qui ont grandi dans une époque imbibée de PGM, de son souvenir, des cérémonies, des discours de glorification ou de rejet, des récits des anciens, des portraits des disparus. Donc, si, l'expérience de la PGM les avait nourris. Pas au premier degré, mais nourris, clairement.

Citer :
Les poilus n'ont rien expérimenté de spécifique, sinon la longue durée.


Voilà qui est bien péremptoire pour une question qui a fait remplir des centaines de livres. Je vous ai répondu sur ce point, vous balayez à nouveau d'un revers de manche sans argument. On ne va pas aller bien loin ! Qui plus est, c'est vous qui affirmez qu'on magnifie cette spécificité. Il est permis de se poser la question pour une guerre sans que cela revienne à affirmer que l'expérience de l'horreur ou de quoi que ce soit d'autre soit de nature différente.
D'autre part, au-delà de l'argument simpliste "ils n'avaient pas le choix" - les mutineries de 17, mais aussi la sortie de guerre de la Russie montrent que ce n'est pas si simple que ça - chaque guerre a son contexte culturel et psychologique propre, et le "pas le choix" d'un hoplite de Marathon, du Perse qui le combat, d'un soldat de l'an II ou d'un PCDF de 14-18 ne sont pas les mêmes et méritent d'être examinés de près.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 11 Oct 2011 10:07 
Hors-ligne
Modérateur Général
Modérateur Général
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 10 Fév 2009 1:12
Message(s) : 9070
Jefferson a écrit :
Les poilus n'ont rien expérimenté de spécifique, sinon la longue durée.

A Verdun, la préparation d'artillerie allemande a duré 9 heures. Neuf heures le nez dans la terre à subir le bombardement, je crois que c'était une nouveauté par rapport aux guerres précédentes.

_________________
Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 11 Oct 2011 10:55 
Hors-ligne
Eginhard
Eginhard
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 14 Avr 2011 22:37
Message(s) : 890
Pardonnez-moi si j'ai pu voir paraitre péremptoire. Ce n'était pas ma volonté. Mes excuses, donc.

Je souhaitais simplement souligner que la question de l'OP me semblait maladroite - à chercher "pourquoi les poilus ont tenu", on en oublie vite que ces poilus de la PGM partagent leur expérience traumatisante, et par voie de conséquence la faculté d'avoir surmonté cette épreuve, avec d'autres soldats, en d'autres temps, en d'autres lieux.

J'en veux pour preuve les premières tentatives de réponses, patriotisme, courage, honneur, esprit de corps, sens de la responsabilité - qui n'ont, vous en conviendrez, rien de spécifique au soldat français de 14-18. Ces vertus, ou ces valeurs, d'autres soldats, à d'autres époques, sur d'autres champs de bataille, les ont partagées.

Je ne balaie pas d'un revers de manche les nombreux livres qui ont été écris sur le sujet - je pense simplement qu'au niveau le plus élémentaire - le poilu, le fantassin, le simple soldat - l'expérience est similaire à celle de tous les soldats qui l'ont précédé ou ceux qui l'ont suivi. La forme est évidemment différente, le fond me semble de même essence.

Ce qui n'empèche pas évidemment d'en discuter. Je pense seulement que les conclusions que l'on pourra en tirer seront certainement valables en d'autres temps et d'autres lieux.

J'avoue une préférence nette pour l'histoire globale ou comparative - d'où ma digression.

De mon point de vue, la seule façon de répondre à la question de l'OP, c'est d'étendre la question au soldat sur le champ de bataille. A limiter la question à la PGM, on risque le contre-sens.

_________________
"Le génie mériterait les chaînes s'il favorisait les crimes des tyrans"


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 11 Oct 2011 11:45 
Hors-ligne
Modérateur Général
Modérateur Général
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 20 Juin 2003 23:56
Message(s) : 8202
Localisation : Provinces illyriennes
Citer :
l'expérience est similaire à celle de tous les soldats qui l'ont précédé ou ceux qui l'ont suivi. La forme est évidemment différente, le fond me semble de même essence.

Je me demande bien dans quel conflit précédent une telle guerre de position avec ces nouveaux types d'armes était visible ?
Bien au contraire, au regard des guerres précédentes le "poilu" connaît des situations de conflits particulièrement inédites, voire singulières.

_________________
Un peuple sans âme n'est qu'une vaste foule
Alphonse de Lamartine


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 11 Oct 2011 12:10 
Hors-ligne
Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 08 Juin 2009 11:56
Message(s) : 5718
Localisation : Limoges
Jefferson a écrit :
J'en veux pour preuve les premières tentatives de réponses, patriotisme, courage, honneur, esprit de corps, sens de la responsabilité - qui n'ont, vous en conviendrez, rien de spécifique au soldat français de 14-18. Ces vertus, ou ces valeurs, d'autres soldats, à d'autres époques, sur d'autres champs de bataille, les ont partagées.


De ce que j'ai lu de témoignages de poilus, justement les valeurs de patriotisme sont loin de la ferveur. Ce qui m'a semblé primer c'est avant tout un sens du devoir.

On a peu évoqué ici il me semble l'impact des "gueules cassées", phénomène qui me semble dénoter par rapport aux guerres antérieures, en tout cas en proportion. Qu'en est-il dans les faits?

_________________
Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 11 Oct 2011 12:59 
Hors-ligne
Eginhard
Eginhard
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 14 Avr 2011 22:37
Message(s) : 890
Duc de Raguse a écrit :
Citer :
l'expérience est similaire à celle de tous les soldats qui l'ont précédé ou ceux qui l'ont suivi. La forme est évidemment différente, le fond me semble de même essence.

Je me demande bien dans quel conflit précédent une telle guerre de position avec ces nouveaux types d'armes était visible ?
Bien au contraire, au regard des guerres précédentes le "poilu" connaît des situations de conflits particulièrement inédites, voire singulières.


Je ne le nie pas, évidemment. Je manque de temps pour développer mon propos, je le ferai dans la soirée.

_________________
"Le génie mériterait les chaînes s'il favorisait les crimes des tyrans"


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 11 Oct 2011 13:26 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 08 Nov 2010 18:01
Message(s) : 502
Localisation : sur le cardo d'une cité de la Gaulle romaine
Etat d'esprit d'un officier.

Voici des extraits du livre de l’historien Marcel Dupont (alors lieutenant de chasseurs à cheval Marcel Béchu), En Campagne – Impressions d’un officier de Légère.

Lorsqu’il parle des Allemands, il les appelle Prussiens, Barbares, envahisseurs.

Il en est qui diront que notre haine doit s’étendre indistinctement à tout ce qui est allemand, que nous devons nous acharner sur tout ce qui porte ce nom, ne rien épargner de la race exécrée qui est cause aujourd’hui de tant de larmes, de tant de sang, de tant de deuils.

Il s’agit du chapitre Nuit de Noël (où les choses ne se passent pas tout à fait comme lors du film Joyeux Noël) :

Lorsque des Prussiens sortent de leur tranchée, sans armes en criant : « Kamarates ! Kamarates ! », le lieutenant Béchu se pose la question :

Faut-il tirer ? J’avoue qu’il m’est désagréable de commander le feu sur des hommes désarmés. D’autre part, pouvons-nous tolérer le moindre rapprochement entre les hommes de la nation barbare qui foulent encore notre sol et nos braves frères d’armes qui chaque jour versent leur sang pour le reconquérir ?
Heureusement, l’officier qui commande l’artillerie […] m’évite à prendre une décision qui me serait pénible.


(Des obus sont tirés et éclatent à deux cents mètres des tranchées allemandes et la tentative de fraternisation s’arrête là).

_________________
Je n'ai pas cru que tes édits pussent l'emporter sur les lois non écrites et immuables des dieux. Sophocle


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 11 Oct 2011 16:40 
Hors-ligne
Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant

Inscription : 17 Oct 2003 19:37
Message(s) : 5364
Citer :
J'en veux pour preuve les premières tentatives de réponses, patriotisme, courage, honneur, esprit de corps, sens de la responsabilité - qui n'ont, vous en conviendrez, rien de spécifique au soldat français de 14-18. Ces vertus, ou ces valeurs, d'autres soldats, à d'autres époques, sur d'autres champs de bataille, les ont partagées.


Si l'on ne va pas voir ce qu'il y a derrière ces mots, ils sont des enveloppes. On trouvera alors facilement des analogies, mais elles resteront superficielles.
Le patriotisme dépend du contexte culturel de l'époque.
Le courage, l'honneur et l'esprit de corps, ne peuvent pas signifier la même chose quand on est entraîné par des chefs charismatiques qui s'élancent à la tête de leurs hommes et quand on est pris pour cible par des ennemis invisibles, en jurant contre des généraux "buveurs de sang".
Je pourrais encore développer bien plus.

D'autre part, dans le cas de 14-18, nous partons du constat établi que le nombre de désertions a été très faible. Ce n'est pas le cas de tous les conflits auxquels vous avez fait allusion.

Enfin, quant aux expériences spécifiques, j'en vois déjà deux qui sont, je le répète, soulignées à l'envi par les récits et souvenirs de combattants :
- la guerre-habitude : là où le soldat de Napoléon, entre deux batailles, n'a pas à se demander s'il ne va pas à l'impromptu être écrasé au bivouac par un canon à longue portée, le soldat de 1914-18 se trouve en situation de danger immédiat quasiment en permanence, hormis de trop rares périodes de repos où l'on n'est, d'ailleurs, pas à l'abri de toute l'artillerie ennemie. Pas d'alternance entre l'horreur et un calme relatif : l'horreur est le quotidien pendant des semaines ou des mois de rang, pour la majorité des combattants, tout cela dans un décor fixe, borné par des règles paperassières, une routine de cheval enchaîné à son manège pour reprendre une analogie de Genevoix, sans rien qui donne à penser que cela puisse cesser un jour; le premier volume de Genevoix décrit fort bien la transition entre la guerre "classique" attendue et ce nouvel univers;
- la bataille de matériel (point particulièrement développé par Jünger) : l'écrasement de l'homme dans un affrontement d'acier qui le dépasse complètement, où sa propre valeur de guerrier ne vaut plus rien, où la technique invente sans cesse de nouvelles manières de fabriquer de l'horreur, où l'ennemi est caché, hors de portée, une guerre de machines et pas d'hommes. Certains auteurs ont également souligné la déshumanisation engendrée par le port du masque à gaz, qui efface la figure humaine au profit de faces spectrales hideuses, artificielles.
Je pense qu'on peut ajouter la conscience aiguë d'être dans une impasse mortelle, de savoir qu'il n'y a pas de solution à cette guerre figée, cas tout à fait unique. Les hommes s'imaginaient qu'il en serait ainsi pendant des décennies, avec ce front dans un coin du pays, buvant son sang, et le reste du pays vivant sa vie, oublieux.

Citer :
On a peu évoqué ici il me semble l'impact des "gueules cassées", phénomène qui me semble dénoter par rapport aux guerres antérieures, en tout cas en proportion. Qu'en est-il dans les faits?


Les blessures répugnantes, en particulier celles à la tête, ont toujours incarné le summum de l'horreur, mais en 14-18, 80% des tués l'ont été par un obus, avec tout ce que ça suppose comme "genre de mort" : l'homme est mis en pièces et il l'est par un coup imparable assené par un ennemi hors de sa portée; ce n'est pas nouveau, mais je pense que le fait que cela soit, à ce point, la majorité, la règle, fait qu'on change de dimension et que la différence sort du quantitatif pour entrer dans le qualitatif. L'homme intègre que la mort qui l'attend, c'est ça. "Couché au revers d'un talus / La figure écrasée ou le ventre en compote".

On trouvera certainement des prodromes de certaines de ces expériences ici et là, mais il me paraît peu contestable que tout le cadre qui "permet au soldat de tenir" a subi là une mise à l'épreuve d'un genre nouveau. Les autres conflits ont-ils fait naître des réflexions aussi folles que "La guerre comme expérience intérieure" de Jünger ?


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 12 Oct 2011 22:47 
Hors-ligne
Tite-Live
Tite-Live
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 02 Mai 2010 14:29
Message(s) : 352
Localisation : Duché de Gothie.
Je tiens de famille que l'horreur quotidienne de cette guerre immobile n'a pu qu'être vaincue principalement par une discipline de fer menée de bon ou mal gré par des gens instruits sur des paysans ou ouvriers.
Vivre au milieu des rats qui éclatent les ventres, des chevaux crevés, des cranes, des squelettes, les pieds dans l'eau tout en subissant des déluges, des gaz, menant des offensives suicidaires et obligés d'aller finir les blessés de tous camps à l'arme blanche met la résistance du système nerveux à rude épreuve et sur quatre ans..
Tu recules : l'officier te descend.
Tu t'enfuies : les gendarmes te trouveront, tu seras fusillé, et la honte rejaillira sur ta famille.

Les seuls qui sont sortis intacts de cet enfer sont les psychopathes et il n'est pas sür du tout que la guerre ait pu se prolonger un an ou deux de plus.

_________________
« L'honneur défend des actes que la loi tolère. »
Sénèque


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 13 Oct 2011 10:38 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 08 Nov 2010 18:01
Message(s) : 502
Localisation : sur le cardo d'une cité de la Gaulle romaine
La mayral a écrit :
Les seuls qui sont sortis intacts de cet enfer sont les psychopathes et il n'est pas sür du tout que la guerre ait pu se prolonger un an ou deux de plus.


Ne serait-ce pas quelque peu excessif ?
Personnellement, j'ai connu quelques uns qui ont fait Verdun. Ils avaient pu en sortir vivants et, assurément, traumatisés. Mais, au demeurant semblaient équilibrés. Parmi les plus connus : Maurice Genevoix, le grand-père d'un copain de lycée.

_________________
Je n'ai pas cru que tes édits pussent l'emporter sur les lois non écrites et immuables des dieux. Sophocle


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 13 Oct 2011 11:03 
Hors-ligne
Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant

Inscription : 17 Oct 2003 19:37
Message(s) : 5364
C'est fatiguant de voir les sujets sur les combattants de la PGM systématiquement tournés à la caricature.
Refus de comprendre l'incompréhensible à nos yeux sans doute.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 13 Oct 2011 18:55 
Hors-ligne
Salluste
Salluste

Inscription : 20 Déc 2010 22:48
Message(s) : 225
Nombreux ont été jusqu'ici les arguments apportés. Sans avoir tout lu, je mentionnerais aussi la "camaraderie chaleureuse" du front. On s'accorde toujours avec ce général américain de la guerre de Sécession, W.T Sherman, qui disait devant des étudiants que "la guerre, c'est l'enfer" et l'on considère, au gré des témoignages des combattants de toutes nationalités, que cette guerre eut marqué une première expérience singulière de l'horreur des tranchées qui allait créer une autre singularité, celle du pacifisme de l'entre-deux-guerres.

Pourtant, on ne met pas assez en avant la force de la camaraderie de tout mouvement de masse dès lors que chacun pense ou agit pour la même cause. Ici, les soldats de chaque Etat combattaient pour la patrie, ce qui donnait sens à leur combat. Ils communiaient donc en quelque sorte dans le combat comme dans la mort. La plupart des témoignages relèvent aussi cette amitié du front. Antoine Prost a analysé les mouvements d'anciens combattants dans l'entre-deux-guerres. On peut penser que l'envie de se remémorer ces instants par trop difficiles à tenir pour un simple individu, a directement contribué à la naissance de la plupart de ces mouvements. Pour eux, il s'agissait de se faire entendre, d'entretenir la mémoire d'une guerre inédite, déconcertante, dont ils ne pouvaient parler avec l'arrière (il faut bien se rendre compte de l'inconfort psychologique créé par le manque d'empathie d'un individu qui discute avec un autre qui a vécu un évènement marquant).

Par ailleurs, je vais énoncer une banalité mais qui a été très bien esquissée par Cuchlainn ("guerre-habitude"): les hommes ont pu s'aguerrir à la guerre. On s'est étonné de ce que les peuples eussent parfois montré une apparente passivité dans des régimes dictatoriaux. Mais dans chaque chose, comme écrit juste avant, se trouve un bien qui, quoique ne surpassant pas toujours la somme des maux, permet de se rattacher à ce sens que j'évoquais plus haut. Pendant la Première Guerre mondiale, beaucoup ont vite perçu l'absurdité de la guerre. Pourtant, rares ont été les révoltés. Pourquoi ? Il y avait quelque chose qui faisait, en eux, sens; qui permettait de se raccrocher à la vie sans tomber dans un dangereux laisser-aller. Dans un autre contexte, Camus l'illustre très bien dans La Peste. Quoique la vie fusse devenue absurde, chacun pouvait tenter d'y chercher le bonheur, en l'occurrence pour Tarrou et Rieux en aidant les autres. Et, précisément, durant la Première Guerre mondiale, innombrables furent ceux qui trouvèrent un sens à l'insensé en se réconfortant à la lecture des lettres venues de proches, par la camaraderie, pour certains (sans nul doute pas les plus nombreux) combattre à l'ennemi. Bref, je voulais ici signaler que malgré la lassitude des combattants, malgré leur dégoût de la guerre, si beaucoup ont réussi à tenir, c'est encore que quelque chose faisait sens à leurs yeux et que la vie, malgré les spectacles atroces qui se déployaient chaque jour à leur regard, valait encore la peine d'être vécue.

Pour le goût de la formule seulement: il n'est nulle étincelle qui ne fasse l'illusion de la lumière derrière la foudre aveuglante mais l'étincelle permet toujours de ne pas céder sous les coups de la foudre. Et nous avons tendance à ne voir rétrospectivement que le plus visible, la foudre aveuglante, sans voir la faible lueur de l'étincelle. Autrement dit, l'indéniable atrocité de la guerre et les traumatismes qui lui sont liés ne doivent pas cacher ces quelques menues choses qui, au fond, permettaient de garder le cap, de vouloir rester en vie, de maintenir notre vouloir-vivre. Mais, je le souligne de nouveau, il est évident qu'il ne s'agit pas de la seule cause.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 13 Oct 2011 19:08 
Hors-ligne
Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant

Inscription : 17 Oct 2003 19:37
Message(s) : 5364
Citer :
ar ailleurs, je vais énoncer une banalité mais qui a été très bien esquissée par Cuchlainn ("guerre-habitude"): les hommes ont pu s'aguerrir à la guerre.


Ce n'est absolument pas dans ce sens-là que j'ai mentionné le thème de la guerre-habitude.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 13 Oct 2011 19:26 
Hors-ligne
Modérateur Général
Modérateur Général
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 10 Fév 2009 1:12
Message(s) : 9070
Dans son livre sur Verdun, Georges Blond raconte que certains combattants de Verdun ont témoigné que pendant l'été 1916, s'était répandu en eux l'idée épouvantable que la guerre pourrait très bien ne jamais se terminer. Je pense que c'est cela que Cuchlainn appelle "la guerre-habitude".

_________________
Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 13 Oct 2011 19:46 
Hors-ligne
Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant

Inscription : 17 Oct 2003 19:37
Message(s) : 5364
Cela et le fait d'être en situation de danger en permanence, avec peu ou pas de phases de repos réellement hors de tout risque d'être écrasé par un obus.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 95 message(s) ]  Aller vers la page Précédent  1, 2, 3, 4, 5, 6, 7  Suivant

Le fuseau horaire est UTC+1 heure [Heure d’été]


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 19 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB