1) La situation stratégique au début de la Première Guerre mondiale
Je vais envisager ici les problèmes stratégiques dans la Première Guerre mondiale. Considérons d'abord la situation géographique de l'Allemagne, au centre de l'Europe. Elle est coincée entre les puissances occidentales (France, Grande-Bretagne, États-Unis) et la grande puissance orientale (Russie, puis Union Soviétique). L'Allemagne doit donc se débarrasser de l'un de ses deux fronts, à l'ouest ou à l'est. Elle pourra ensuite résister efficacement sur l'autre front ou même remporter une victoire complète.
Et le front méridional (Méditerranée), que devient-il ? Ce front n'a d'intérêt que s'il permet de conquérir le Moyen-Orient, une région intéressante par ses ressources pétrolières. Les puissances occidentales en seront privées par la même occasion. Et l'Allemagne pourra aussi attaquer la Russie (Union Soviétique) par le sud, même si ce n'est pas le chemin le plus direct. Elle empêchera en tout cas la Russie d'être ravitaillée par les puissances occidentales de ce côté. Le front méridional n'a donc un intérêt que s'il permet d'affaiblir les puissances occidentales ou la grande puissance orientale. C'est un front subsidiaire par rapport aux fronts occidental et oriental. Mais il est quand même susceptible à long terme d'améliorer la position de l'Allemagne si elle s'en donne les moyens et trouve des alliés dans cette région : Italie, Turquie...
Les puissances occidentales peuvent de leur côté attaquer l'Allemagne et ses alliés sur ce front méridional (Méditerranée). Ce n'est toutefois pas le chemin le plus direct. Les distances seront longues avant de menacer l'Allemagne proprement dite, le relief montagneux très difficile aussi. Mais cela pourra faire diversion si la situation devient trop difficile sur les fronts occidental ou oriental.
Et le front boréal (Arctique), a-t-il une importance quelconque ? Elle n'est pas complètement négligeable, mais encore plus subsidiaire que le front méridional. La conquête de la Scandinavie par l'Allemagne pourrait quand même lui permettre d'empêcher la Russie (front oriental) d'être ravitaillée de ce côté par les puissances occidentales. Accessoirement, cela lui donnerait aussi des bases supplémentaires pour la guerre maritime dans l'Atlantique.
Cette guerre maritime vise à couper les communications entre les États-Unis d'une part, la Grande-Bretagne et la France d'autre part. Elle concerne alors le front occidental. La guerre aérienne (bombardements) peut de son côté avoir des répercussions aussi bien sur le front oriental que sur le front occidental, même si elle oppose essentiellement les puissances de l'Ouest et l'Allemagne.
Reste un front éventuel outre-mer. Il serait en effet intéressant pour l'Allemagne d'utiliser ses possessions coloniales. Elle pourrait aussi se trouver un allié puissant sur un autre continent, le Japon par exemple. Dans l'un et l'autre cas, cela lui permettrait de faire diversion. L'Allemagne pourrait également prendre à revers les puissances de l'Ouest ou la Russie (Union Soviétique), avec des répercussions favorables sur les fronts occidental et oriental.
Vous aurez remarqué que j'anticipe la Seconde Guerre mondiale dans cette analyse. En effet, la Russie existait bien comme État en 1914-1918, mais pas encore l'Union Soviétique. Vu l'état embryonnaire de l'aviation à cette époque, il ne pouvait pas non plus y avoir de guerre aérienne à grande échelle. Quant au Moyen-Orient, il n'avait pas encore l'importance pétrolière qu'il devait acquérir par la suite.
Mais dans les grandes lignes, la situation de l'Allemagne reste la même durant les deux guerres mondiales. Elle doit gagner au moins sur l'un des deux fronts principaux : occidental et oriental. D'autres fronts éventuels existent bien : méridional, boréal, outre-mer... Mais ils n'ont d'intérêt que par leurs répercussions éventuelles sur les fronts occidental et oriental.
La situation centrale de l'Allemagne présente évidemment des inconvénients, car elle la rend vulnérable au blocus. Mais elle comporte aussi des avantages, permettant de manœuvrer sur des lignes intérieures non susceptibles à l'époque d'être détruites par des bombardements aériens. L'Allemagne peut ainsi concentrer la plus grande partie de ses forces à l'ouest ou à l'est, cela bien sûr en fonction de son ennemi prioritaire du moment.
Compte tenu de sa situation stratégique avantageuse, l'Allemagne doit donc mener une guerre résolument offensive. Elle doit pour cela choisir clairement son ennemi principal, concentrer la plus grande partie de ses forces à l'est ou à l'ouest, laisser le minimum sur l'autre front. Si elle remporte assez vite des victoires décisives, elle pourra aussi pallier les conséquences du blocus.
De leur côté, les Alliés semblent condamnés à une stratégie défensive, au moins pendant longtemps. Vu la faiblesse de l'armée britannique et la neutralité américaine dans un premier temps, tout repose essentiellement sur la France et la Russie. Si la France reçoit le plus gros de l'offensive allemande, la Russie doit alors lancer des attaques de diversion à l'est. Si c'est la Russie, la France doit faire de même à l'ouest. L'Allemagne sera ainsi obligée de transférer des troupes sur l'autre front. Mais il ne faut pas se dissimuler que ces attaques de diversion ne pourront produire leurs effets qu'avec retard, l'un des deux alliés risquant d'être déjà vaincu.
Pour l'instant, il s'agit d'éviter une défaite immédiate de la France ou de la Russie face au colosse germanique, faire durer les opérations... La France est en fait la plus exposée, vu son territoire assez réduit et le bon état de ses communications (routes, voies ferrées) facilitant l'avance allemande. Mais à long terme, la Russie est plus vulnérable. Son régime tsariste parait en effet assez fragile, menacé par des forces révolutionnaires. La Russie est surtout sous-industrialisée, ne peut être ravitaillée que de manière précaire par l'océan Arctique : Mourmansk, Arkhangelsk. Cela ne sera plus possible par le Proche-Orient avec l'entrée en guerre de la Turquie aux côtés de l'Allemagne, cela dès 1914.
Si la France parvient à stopper l'invasion allemande avec le concours indirect de la Russie, elle pourra alors bénéficier progressivement de l'aide britannique : troupes, équipements... Cela lui permettra de compenser l'infériorité de son potentiel face à l'Allemagne : démographique et surtout industriel. En cas de défaite russe, elle pourra alors résister efficacement à une nouvelle offensive allemande, compte tenu de l'avantage reconnu à la défense sur l'attaque. Mais pour la même raison, toute victoire sur le front occidental sera exclue. Il s'agira juste d'éviter une défaite complète. Les Français et les Britanniques devront reconnaitre la domination allemande sur la plus grande partie de l'Europe.
À plus long terme, l'intervention des États-Unis serait très intéressante, avec leur énorme puissance industrielle. Les Français et les Britanniques pourraient alors acquérir une supériorité réelle sur le front occidental, remporter la victoire même si la Russie était obligée d'abandonner. De plus, l'armée américaine appuierait directement les Français et Britanniques, pas de manière lointaine comme les Russes. Mais il faudra sûrement beaucoup de temps. En 1914, cette armée américaine est encore plus embryonnaire que celle des Britanniques. Et les États-Unis sont de toute façon restés neutres.
Les messages ne devant pas être trop longs, je m'arrête là pour le moment. J'envisagerai ensuite les grandes phases de la Première Guerre mondiale, à la lumière de la situation stratégique à ses débuts, telle que je viens de la décrire. Si vous avez des remarques à ce stade, je les attends impatiemment...
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