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Message Publié : 05 Déc 2011 23:30 
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1) La situation stratégique au début de la Première Guerre mondiale




Je vais envisager ici les problèmes stratégiques dans la Première Guerre mondiale. Considérons d'abord la situation géographique de l'Allemagne, au centre de l'Europe. Elle est coincée entre les puissances occidentales (France, Grande-Bretagne, États-Unis) et la grande puissance orientale (Russie, puis Union Soviétique). L'Allemagne doit donc se débarrasser de l'un de ses deux fronts, à l'ouest ou à l'est. Elle pourra ensuite résister efficacement sur l'autre front ou même remporter une victoire complète.

Et le front méridional (Méditerranée), que devient-il ? Ce front n'a d'intérêt que s'il permet de conquérir le Moyen-Orient, une région intéressante par ses ressources pétrolières. Les puissances occidentales en seront privées par la même occasion. Et l'Allemagne pourra aussi attaquer la Russie (Union Soviétique) par le sud, même si ce n'est pas le chemin le plus direct. Elle empêchera en tout cas la Russie d'être ravitaillée par les puissances occidentales de ce côté. Le front méridional n'a donc un intérêt que s'il permet d'affaiblir les puissances occidentales ou la grande puissance orientale. C'est un front subsidiaire par rapport aux fronts occidental et oriental. Mais il est quand même susceptible à long terme d'améliorer la position de l'Allemagne si elle s'en donne les moyens et trouve des alliés dans cette région : Italie, Turquie...

Les puissances occidentales peuvent de leur côté attaquer l'Allemagne et ses alliés sur ce front méridional (Méditerranée). Ce n'est toutefois pas le chemin le plus direct. Les distances seront longues avant de menacer l'Allemagne proprement dite, le relief montagneux très difficile aussi. Mais cela pourra faire diversion si la situation devient trop difficile sur les fronts occidental ou oriental.

Et le front boréal (Arctique), a-t-il une importance quelconque ? Elle n'est pas complètement négligeable, mais encore plus subsidiaire que le front méridional. La conquête de la Scandinavie par l'Allemagne pourrait quand même lui permettre d'empêcher la Russie (front oriental) d'être ravitaillée de ce côté par les puissances occidentales. Accessoirement, cela lui donnerait aussi des bases supplémentaires pour la guerre maritime dans l'Atlantique.

Cette guerre maritime vise à couper les communications entre les États-Unis d'une part, la Grande-Bretagne et la France d'autre part. Elle concerne alors le front occidental. La guerre aérienne (bombardements) peut de son côté avoir des répercussions aussi bien sur le front oriental que sur le front occidental, même si elle oppose essentiellement les puissances de l'Ouest et l'Allemagne.

Reste un front éventuel outre-mer. Il serait en effet intéressant pour l'Allemagne d'utiliser ses possessions coloniales. Elle pourrait aussi se trouver un allié puissant sur un autre continent, le Japon par exemple. Dans l'un et l'autre cas, cela lui permettrait de faire diversion. L'Allemagne pourrait également prendre à revers les puissances de l'Ouest ou la Russie (Union Soviétique), avec des répercussions favorables sur les fronts occidental et oriental.


Vous aurez remarqué que j'anticipe la Seconde Guerre mondiale dans cette analyse. En effet, la Russie existait bien comme État en 1914-1918, mais pas encore l'Union Soviétique. Vu l'état embryonnaire de l'aviation à cette époque, il ne pouvait pas non plus y avoir de guerre aérienne à grande échelle. Quant au Moyen-Orient, il n'avait pas encore l'importance pétrolière qu'il devait acquérir par la suite.

Mais dans les grandes lignes, la situation de l'Allemagne reste la même durant les deux guerres mondiales. Elle doit gagner au moins sur l'un des deux fronts principaux : occidental et oriental. D'autres fronts éventuels existent bien : méridional, boréal, outre-mer... Mais ils n'ont d'intérêt que par leurs répercussions éventuelles sur les fronts occidental et oriental.

La situation centrale de l'Allemagne présente évidemment des inconvénients, car elle la rend vulnérable au blocus. Mais elle comporte aussi des avantages, permettant de manœuvrer sur des lignes intérieures non susceptibles à l'époque d'être détruites par des bombardements aériens. L'Allemagne peut ainsi concentrer la plus grande partie de ses forces à l'ouest ou à l'est, cela bien sûr en fonction de son ennemi prioritaire du moment.

Compte tenu de sa situation stratégique avantageuse, l'Allemagne doit donc mener une guerre résolument offensive. Elle doit pour cela choisir clairement son ennemi principal, concentrer la plus grande partie de ses forces à l'est ou à l'ouest, laisser le minimum sur l'autre front. Si elle remporte assez vite des victoires décisives, elle pourra aussi pallier les conséquences du blocus.


De leur côté, les Alliés semblent condamnés à une stratégie défensive, au moins pendant longtemps. Vu la faiblesse de l'armée britannique et la neutralité américaine dans un premier temps, tout repose essentiellement sur la France et la Russie. Si la France reçoit le plus gros de l'offensive allemande, la Russie doit alors lancer des attaques de diversion à l'est. Si c'est la Russie, la France doit faire de même à l'ouest. L'Allemagne sera ainsi obligée de transférer des troupes sur l'autre front. Mais il ne faut pas se dissimuler que ces attaques de diversion ne pourront produire leurs effets qu'avec retard, l'un des deux alliés risquant d'être déjà vaincu.

Pour l'instant, il s'agit d'éviter une défaite immédiate de la France ou de la Russie face au colosse germanique, faire durer les opérations... La France est en fait la plus exposée, vu son territoire assez réduit et le bon état de ses communications (routes, voies ferrées) facilitant l'avance allemande. Mais à long terme, la Russie est plus vulnérable. Son régime tsariste parait en effet assez fragile, menacé par des forces révolutionnaires. La Russie est surtout sous-industrialisée, ne peut être ravitaillée que de manière précaire par l'océan Arctique : Mourmansk, Arkhangelsk. Cela ne sera plus possible par le Proche-Orient avec l'entrée en guerre de la Turquie aux côtés de l'Allemagne, cela dès 1914.

Si la France parvient à stopper l'invasion allemande avec le concours indirect de la Russie, elle pourra alors bénéficier progressivement de l'aide britannique : troupes, équipements... Cela lui permettra de compenser l'infériorité de son potentiel face à l'Allemagne : démographique et surtout industriel. En cas de défaite russe, elle pourra alors résister efficacement à une nouvelle offensive allemande, compte tenu de l'avantage reconnu à la défense sur l'attaque. Mais pour la même raison, toute victoire sur le front occidental sera exclue. Il s'agira juste d'éviter une défaite complète. Les Français et les Britanniques devront reconnaitre la domination allemande sur la plus grande partie de l'Europe.

À plus long terme, l'intervention des États-Unis serait très intéressante, avec leur énorme puissance industrielle. Les Français et les Britanniques pourraient alors acquérir une supériorité réelle sur le front occidental, remporter la victoire même si la Russie était obligée d'abandonner. De plus, l'armée américaine appuierait directement les Français et Britanniques, pas de manière lointaine comme les Russes. Mais il faudra sûrement beaucoup de temps. En 1914, cette armée américaine est encore plus embryonnaire que celle des Britanniques. Et les États-Unis sont de toute façon restés neutres.


Les messages ne devant pas être trop longs, je m'arrête là pour le moment. J'envisagerai ensuite les grandes phases de la Première Guerre mondiale, à la lumière de la situation stratégique à ses débuts, telle que je viens de la décrire. Si vous avez des remarques à ce stade, je les attends impatiemment...


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Message Publié : 06 Déc 2011 19:31 
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Spalding a écrit :
[b]Et le front boréal (Arctique), a-t-il une importance quelconque ?

En 1914, le territoire de l’Arctique appartient, et ce depuis 1909, au Canada. Ce qui fait que, de par l'entrée en guerre du Canada en 1914, il s'agit d'un territoire en guerre pendant la Première Guerre mondiale. Il s'agit, en outre, d'un carrefour maritime, composé de bastions armés épars.

« En 1905, suite à la défaite militaire contre le Japon et face au risque de guerre contre l’Allemagne et la Turquie, la hantise d’être coupée de ses voies d’accès maritimes incite la Russie à se doter d’infrastructures maritimes solides sur ses côtes arctiques. ». (Source : http://www.regard-est.com/home/breve_co ... hp?id=1079)

L'ensemble paraît plutôt être un territoire inconnu, mais la Première Guerre mondiale a également un aspect scientifique par sa course à la recherche et aux découvertes. « Dans l'Arctique de l'Ouest, entre 1913 et 1918, Vilhjalmur STEFANSSON découvre les dernières îles de l'archipel arctique et il les revendique au nom du Canada. » (Source : http://www.thecanadianencyclopedia.com/ ... RTf0000298)

Sur la géopolitique de l'Arctique et les grands enjeux internationaux de cet espace, vous pouvez écouter l'interview de François Thual proposée par France Culture (http://www.franceculture.fr/oeuvre-une- ... cghee.html) ;

Vous devriez porter un intérêt certain au rôle de l’Antarctique dans la Première Guerre mondiale, si ce genre de questions vous intéresse.

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Message Publié : 06 Déc 2011 20:06 
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Jean-Pierre Vernant
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Pour faire bref, le truc qui me gêne dans votre analyse stratégique, c'est que les belligérants ne se sont pas du tout comportés comme ça.
Le problème est que vous anticipez la PGM comme une guerre longue, ce que personne n'a fait au départ.


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Message Publié : 06 Déc 2011 21:34 
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Je ne comprends pas très bien votre critique. S'agissant de l'Allemagne, je signale en effet qu'elle doit remporter une victoire rapide en France. Ce pays est beaucoup plus exposé au départ que la Russie : territoire assez réduit, bonnes voies de communication facilitant l'avance allemande. Cela permettra à l'Allemagne d'éviter l'envoi massif de renforts britanniques. La Russie peut attendre, étant beaucoup plus isolée que la France : une seule voie de ravitaillement assez précaire par l'Arctique. Par ailleurs, une guerre éclair permettrait à l'Allemagne d'éviter les effets à long terme du blocus par la marine britannique.

L'Allemagne doit donc se placer dans une perspective de guerre courte. Et c'est d'ailleurs pourquoi le haut-commandement allemand a dirigé son offensive principale contre la France en 1914. Donc, nous sommes d'accord !

Ce que je dis par contre, c'est que si la victoire contre la France n'est pas obtenue dès 1914, nous irons vers une longue guerre d'usure. En effet, la France pourra bénéficier de renforts britanniques massifs. Une victoire de l'Allemagne sera dès lors improbable sur le front occidental, même si la Russie est obligée d'abandonner. Cela dit, elle pourra quand même sauvegarder une position dominante en Europe si l'intervention américaine est évitée. Seule, cette intervention peut donner la victoire aux Franco-Britanniques sur le front occidental.

Pour résumer, tout le monde veut en effet une guerre courte en 1914. Mais de par leur position stratégique au centre de l'Europe et leur suprématie industrielle, seuls les Allemands sont en mesure de l'obtenir. Les Alliés ne peuvent de leur côté remporter la victoire qu'à long terme, à condition bien sûr qu'ils ne s'effondrent pas immédiatement : la France en particulier.

Cette analyse parait réaliste. Les Allemands font d'ailleurs le calcul d'une guerre courte, avec leur grande offensive contre la France. Sans pouvoir citer exactement mes sources, il me semble que les Britanniques envisagent plutôt une guerre longue : plusieurs années pour Kitchener. L'infériorité de l'armée française face à l'Allemagne était par ailleurs évidente, infériorité résultant de sa faible population et de son sous-développement industriel. Je doute beaucoup que les responsables français aient espéré une victoire rapide contre l'Allemagne ! Quant aux Russes, ils mèneront leur offensive en Prusse Orientale uniquement pour soulager l'armée française : première instruction du grand-duc Nicolas. Avec l'état arriéré de leur économie, comment pourraient-ils espérer l'emporter seuls contre l'Allemagne ?

Donc, les principales données stratégiques sont évidentes dès 1914, en rapport avec la situation géographique des principaux belligérants, leur potentiel démographique et surtout industriel. S'ensuit-il pour autant que les responsables des divers pays aient perçu clairement ces données stratégiques ? Ils ne devaient quand même pas être complètement idiots, comme je l'ai dit. Mais certains facteurs ont certainement été sous-estimés, notamment l'intérêt d'une entrée en guerre des États-Unis. Ce pays se trouvait presque sur une autre planète pour beaucoup d'Européens !

Pour conclure, nous sommes finalement d'accord, non ? :wink:


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Message Publié : 06 Déc 2011 22:12 
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Jean-Pierre Vernant
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L'Allemagne, oui, vous arrivez à la même conclusion qu'elle. Elle craint en effet le blocus. Des renforts britanniques "massifs", c'est à voir. D'ailleurs, tout au long de la guerre, les Français reprocheront aux Britanniques de ne prendre en charge qu'un tout petit secteur de front. La conscription n'existe pas en 1914. Rien ne permet d'affirmer que les Britanniques (a fortiori les Américains d'ailleurs...) sacrifieront en masse leur jeunesse sur un champ de bataille continental. Côté français, en 1914, on ne compte pas trop là-dessus non plus.
C'est là d'ailleurs que je ne suis pas du tout d'accord avec votre approche. S'il avait été "évident" que les Britanniques viendraient aussi nombreux, l'armée française aurait pu envisager la défensive quitte à sacrifier une grande part du territoire national. Mais il n'en est pas question, la France prévoit de se défendre avec ses seules forces et un maigre appoint britannique, pas un de ses XVII plans ne table sur l'espoir d'un soutien anglo-saxon massif. Concrètement, d'ailleurs, de vision stratégique, c'est assez simple, elle n'en a pas. Il s'agit de survivre d'une manière ou d'une autre au choc initial. Jusqu'au plan XV, on prévoit la défensive. Après, on cherche à déstabiliser l'Allemagne en attaquant là où elle ne s'y attend pas, lui couper l'herbe sous le pied et espérer que cela suffise. Que ce soit chez Joffre ou chez les politiques, on ne voit pas plus loin.
Mais on ne s'attend pas à voir arriver en renfort des masses de Tommies.

Côté anglais, Kitchener pense en effet à une guerre longue. Mais il est bien isolé. Voire le seul à le croire.

Citer :
L'infériorité de l'armée française face à l'Allemagne était par ailleurs évidente, infériorité résultant de sa faible population et de son sous-développement industriel.


Sous-développement industriel, vous exagérez fortement, et l'Allemagne l'apprendra d'ailleurs à ses dépens... Quant à cette infériorité, si elle vous paraît évidente, ce n'était le cas de personne à l'époque ! Et le plan consistant à attaquer immédiatement, les Russes faisant de même (les "arriérés" ont compromis le plan allemand en mobilisant beaucoup plus vite que prévu) a pour but de compenser l'infériorité numérique en tâchant de prendre de vitesse la mobilisation des landwehr.

En fait, hormis quelques évidences comme le pourquoi de la stratégie offensive de l'Allemagne, vous réécrivez les données de 1914 "en connaissant la fin". Ce que vous affirmez comme réaliste et évident ne l'est qu'a posteriori. J'ajoute qu'après le choc initial achevé par la seule issue que personne n'avait prévue, un match nul (à domicile pour la France), beaucoup de combattants estimaient que la guerre allait rapidement cesser. Elle aurait pu le faire. La guerre d'usure n'était pas la seule issue possible.


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Message Publié : 06 Déc 2011 22:55 
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Sans rentrer dans les détails, je ne peux que vous recommander "Stratégie et diplomatie, 1870-1945", de Paul Kennedy, aussi "Naissance et déclin des grandes puissances" par le même auteur. Kennedy montre clairement que les facteurs économiques ont été déterminants pour modifier la hiérarchie militaire des grandes puissances.

Il a particulièrement étudié la Première Guerre mondiale. Ses tableaux sont effarants sur l'infériorité industrielle de la France par rapport à l'Allemagne en 1914. Dans une guerre d'usure, sa défaite était certaine. En fait, seule une intervention américaine pouvait obtenir la défaite allemande. Même le bloc France / Grande-Bretagne / Russie ne pouvait y arriver. Pour la Russie, son sous-développement était tel que l'armée russe a manqué de fusils dès 1915 !


Par ailleurs, je pense qu'il faut bien distinguer deux choses :

1) La situation stratégique, telle qu'elle se présentait objectivement en 1914 : position géographique, potentiels démographique et surtout industriel des grandes puissances. Nous pouvons maintenant l'analyser avec le recul nécessaire.

2) La perception plus ou moins biaisée qu'en avaient les responsables de l'époque. L'importance du facteur industriel dans la guerre moderne n'était pas suffisamment perçue, l'intérêt d'une intervention américaine non plus...

Il me parait sinon évident que les Français espéraient une implication substantielle de l'armée britannique à leurs côtés. Mais ils ne pouvaient pas en effet prévoir quand elle se produirait effectivement. Sur le front occidental, l'armée britannique n'atteindra les deux tiers de l'armée française qu'en 1917.


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Message Publié : 06 Déc 2011 23:31 
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Citer :
Même le bloc France / Grande-Bretagne / Russie ne pouvait y arriver

On se demande alors bien comment ils ont fini par y parvenir...

Citer :
Pour la Russie, son sous-développement était tel que l'armée russe a manqué de fusils dès 1915 !

Quelle pofonde méconnaisance sur ce pays... Les clichés ont la vie dure !
Oubliera-t-on que c'est l'armée impériale russe qui avant 1914 est une des premières puissances militaires aériennes mondiales ?
Un problème de logistique - lié essentiellement aux failles du pouvoir politique et administratif - ne saurait illustrer un "sous-développement".

Citer :
Ses tableaux sont effarants sur l'infériorité industrielle de la France par rapport à l'Allemagne en 1914. Dans une guerre d'usure, sa défaite était certaine.

C'est bien pour cela que les puissances centrales voulaient éviter à tout prix une guerre d'usure...
Au delà de cette remarque exagérée, il ne faut pas oublier autre chose dans une guerre la force d'un Etat et de son peuple à mener un conflit plus ou moins long. L'Allemagne semble bien seule parmi les puissances centrales à pouvoir courir un pareil risque. L'Autriche-Hongrie et l'Empire Ottoman ne peuvent tenir très longtemps face à ce danger. La France y semble au contraire davantage préparée.

Citer :
L'importance du facteur industriel dans la guerre moderne n'était pas suffisamment perçue

Comment cela ?

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Message Publié : 07 Déc 2011 8:12 
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Comment le bloc France / Grande-Bretagne / Russie a-t-il donc pu gagner la guerre à la longue (sans la Russie) ? Grâce à l'intervention américaine, comme je l'ai dit. Vous apportez de l'eau à mon moulin...

Je ne peux sinon que vous conseiller les deux livres de Paul Kennedy déjà mentionnés, en particulier "Stratégie et diplomatie, 1870-1945". Vu les potentiels économiques (surtout industriels) des divers pays belligérants, une victoire sur l'Allemagne ne pouvait être obtenue que par l'intervention américaine. Cela bien sûr dans une longue guerre d'usure, si l'Allemagne ne mettait pas immédiatement la France hors cause.

Pour la Russie, s'ajoutait une faiblesse supplémentaire déjà signalée. Son régime politique était manifestement le plus vulnérable à une défaite militaire, comme cela avait déjà été manifeste dans la guerre contre le Japon (1905). De ce point de vue, seule l'Autriche-Hongrie était aussi exposée. J'ai par ailleurs signalé l'isolement de la Russie, avec une seule voie de ravitaillement précaire par l'Arctique.

J'envisage sinon les données économiques globales, comme Paul Kennedy aussi : produit national brut, production d'acier... Cela n'exclut pas que la France et la Russie pouvaient être en avance sur l'Allemagne dans certains domaines : l'aviation militaire, par exemple. Il faut toutefois signaler ici que l'aviation n'avait pas l'importance qu'elle devait acquérir pendant la Seconde Guerre mondiale. En faisant un effort suffisant et avec sa puissance industrielle très supérieure, l'Allemagne pouvait facilement combler son retard dans ce secteur marginal, même dépasser ses deux ennemis.

Nous constaterons un pareil hiatus durant la Guerre froide. L'Union Soviétique égalait les États-Unis dans certains domaines : industries d'armement, conquête spatiale. Mais c'est parce que les dirigeants soviétiques avaient tout misé là-dessus, aux dépens des besoins élémentaires du peuple. Globalement, l'économie soviétique était très en retard sur les États-Unis. Renseignez-vous et vous verrez que ce que je dis n'est pas faux. Il en coutera en tout cas la survie du régime communiste.

Dans une longue guerre d'usure, l'Union Soviétique était donc fatalement perdante contre les États-Unis. Voilà pourquoi les dirigeants soviétiques comptaient beaucoup sur l'arme nucléaire pour l'emporter du premier coup, concurrencer en tout cas les États-Unis sur la scène internationale. Et ils faisaient en effet ici jeu égal avec eux. S'ils l'avaient toutefois voulu, les Américains auraient pu prendre une large avance dans ce domaine, avec des charges beaucoup moins fortes sur leur économie que les Soviétiques.

Sur ce, je suis obligé de vous quitter. Bonne journée... :wink:


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Message Publié : 07 Déc 2011 9:28 
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Jean-Pierre Vernant
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Je ne suis absolument pas spécialiste de 14-18 mais il me semble tout de même que s'il existait un tel écart entre France et Allemagne l'offensive lancée sur Verdun aurait dû parvenir à percer le front puisque le but était justement d'écraser les Français sous un déluge de puissance de feu. Or à part un pourrissement de la bataille et un enlisement Verdun n'a pas vraiment il me semble démontré l'énorme différence que vous invoquez... Il existe de toute façon un écart entre puissance potentielle et sa mise en oeuvre sans compter l'infinité des autres facteurs comme la stabilité politique qui me semble avoir eu un rôle important en Allemagne justement. Également quelle était la densité de l’investissement militaire américain au printemps 1918 lors de l'offensive allemande correspondant au rapatriement des forces opposées jusque là aux Russes? De la même façon, puisque l'écart était si grand pourquoi le France envoie des troupes sur des fronts secondaires comme dans les Dardanelles?
En fait cette analyse part un peu trop du principe que tout se règle avec un facteur unique qui est l'économique... et ça n'est jamais complétement efficient.

Vous montrez que l'économie soviétiques n'était pas égale à l'économie américaine mais est-ce qu'une guerre vous a démontré que les USA auraient eu forcément l'avantage? La question de l'opinion publique, qui se pose à plein surtout après le Viet Nam et dans les conflits moderne, aurait à coup sûr compté autant que les chars. Et bien sûr au delà la question repose aussi sur la puissance nucléaire dont le potentiel destructeur réfrène bien des ardeurs. Si tout était aussi mathématique nous ne ferions pas d'Histoire simplement parce que d'avance on serait capable de savoir avec certitude ce qui va se passer, or c'est rarement aussi simple.

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Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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Message Publié : 07 Déc 2011 11:43 
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D'accord avec les nuances de Pedro.

Citer :
Grâce à l'intervention américaine, comme je l'ai dit.

Vous semblez oublier que les Américains ne sont numériquement présents qu'à partir du mois d'avril 1918, date à laquelle certaines offensives allemandes (réalisées avec un effectif numérique supérieur, dû au retour des soldats du front oriental) se sont écrasées sur les franco-britanniques.
Pour un pays tellement "puissant", il est consternant qu'en terme de stratégie, l'Allemagne refusa l'utilisation des chars d'assaut. Ce point me parait plus important que la production totale d'acier ou de fonte, voire de charbon d'un pays.

Citer :
une victoire sur l'Allemagne ne pouvait être obtenue que par l'intervention américaine
.
Ce ressemble à une lecture linéaire de chiffres qui ne veulent pas dire grand chose et néglige malheureusement le fait que l'Histoire ne se réalise pas ainsi.
Si l'armée de Rennenkampf n'avait pas fait preuve d'une telle lenteur en Prusse orientale et que le désastre de Tannenberg n'avait pas été ? Il y a fort à parier que les Russes auraient pénétré largement dans la plaine germano-polonaise et que les Allemands auraient été mis sérieusement en difficulté, pour ne pas dire vaincus.
Il me semble qu'il faille aller au-delà de ces chiffres - que vous ne produisez malheureusement pas - sur le long terme et ne pas oublier le court terme, l'événement précis, d'autant plus que nous sommes dans un conflit, qui au départ laisse la part belle à la guerre de mouvement.

Citer :
J'ai par ailleurs signalé l'isolement de la Russie, avec une seule voie de ravitaillement précaire par l'Arctique.

C'est encore négliger les façades miliaires sur la Baltique et la mer Noire. Les Détroits pour les Russes, ce n'est pas du folklore, mais un but de guerre, confirmé par la conférence de Londres en 1915.

Citer :
Il faut toutefois signaler ici que l'aviation n'avait pas l'importance qu'elle devait acquérir pendant la Seconde Guerre mondiale

C'est vrai, mais c'était juste pour nuancer votre "sous-développement", qui ne peut nous mener qu'à la caricature, injuste envers la Russie et fausse.
Petite digression : c'est l'aviation russe la première qui réalise le premier bombardement de l'histoire en 1914 sur des appareils "trafiqués". Allemands et Français s'en inspireront et il faudra vraiment attendre fin 1916 pour observer le début des premiers bombardements stratégiques. Pas mal pour un "sous-développé", non ? :wink:

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Message Publié : 07 Déc 2011 12:12 
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Jean-Pierre Vernant
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Vous faites bien de mettre le doigt sur les évènements ponctuel Duc parce que quand on voit l'effondrement italien après Caporetto on ne peut qu'être assez médusé. Or je ne crois pas qu'en terme de chiffre la production industrielle de l'Italie ait subi un cataclysme l'expliquant. La panique est un effet de psychologie collective et c'est un paramètre avec lequel les chefs de guerre sont tenus de composer depuis toujours ; il n'est qu'à prendre la trouille des légionnaires de César avant d'affronter Arioviste pour s'en convaincre (et la solution qu'il trouve pour s'y opposer). Si on réfléchit en terme simplement numérique on ne peut pas s'expliquer la disparition de l'Empire romain d'Occident, on ne peut pas comprendre le triomphe anglais la majeure parti du temps dans la guerre de Cent Ans, la ténacité des protestants dans les guerres de religion, les succès suédois dans la guerre de Trent Ans....

Je rajouterais que l'on est à une époque où les potentiels militaires des principaux belligérants peuvent amener à une soumission rapide et totale de l'adversaire qui s'effondrerait militairement sans possibilité de réelle temporisation. En 1940 la France n'a pas épuisé son potentiel militaire et encore moins ses capacité industrielles et économique, pourtant l'erreur stratégique s'est payée cash.

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Message Publié : 07 Déc 2011 12:47 
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Vos comparaisons me semblent bien justifiées, surtout celle de 1940.

Citer :
il n'est qu'à prendre la trouille des légionnaires de César avant d'affronter Arioviste pour s'en convaincre

Petite digression, cela me rappelle une anecdote d'un de mes anciens professeurs de romaine et certaines des origines (physiques... lol ) des craintes des latins en face des germains sur un champ de bataille... :mrgreen:

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Message Publié : 07 Déc 2011 12:52 
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Jean-Pierre Vernant
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Citer :
Vous semblez oublier que les Américains ne sont numériquement présents qu'à partir du mois d'avril 1918, date à laquelle certaines offensives allemandes (réalisées avec un effectif numérique supérieur, dû au retour des soldats du front oriental) se sont écrasées sur les franco-britanniques.


Ils ne sont même présents en nombre significatif qu'à partir de l'été 1918, quand l'offensive allemande ne consume plus que ses derniers feux. L'arrivée imminente des troupes US a amené les Franco-Britanniques à prendre certains risques. On aurait pu avoir le front stabilisé sur la Loire et tenu en masse par les Américains. On s'y attendait presque. Sur le champ de bataille, cela ne s'est pas produit, la victoire a été obtenue par des troupes franco-anglaises à 95%. Enfin, la lecture brute des données économiques fait oublier une chose : tout le matériel lourd des armées US est français, en 1918. Fourni par cette industrie complètement dépassée et dominée... Visiblement vous ne tenez aucun compte non plus de l'effort de guerre français.

En fait Spalding, vous vous basez sur une vision strictement économique, basée sur la photo figée du potentiel industriel en 1914, vous énoncez des perspectives stratégiques qui ne sont pas celles des belligérants; vous mentionnez vous-même l'écart entre "la réalité" (enfin, économique) et la vision qu'en ont les décideurs, mais vous oubliez que les choix faits découlent de la seconde et non de la première.
Tous ces problèmes de perspective vous amènent à une vision de la Première guerre pour le moins caricaturale : de pauvres Russes et Français dramatiquement arriérés, voués au laminoir, donc les seconds sont miraculeusement sauvés par un engagement massif de troupes britanniques et l'arrivée tout aussi massive des Américains. Le problème, c'est que vous avez beau trouver cela "réaliste", au regard du déroulement du conflit, de l'ampleur des masses concernées, des batailles, c'est tout simplement... faux.


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Message Publié : 07 Déc 2011 14:09 
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photo figée du potentiel industriel en 1914

Et même d'après, puisque des dates comme 1917 ou 1918 ont été avancées pour la Russie, il me semble.
Tout le monde est d'accord qu'à partir de la fin de l'année 1916 les circuits économiques productifs sont tellement désorganisés pour savoir que la Russie ne peut plus faire "face". En 1914, c'est bien différent, très différent même, la Russie est une puissance industrielle incontestable, en passe de rattraper ses concurrents européens.

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Un peuple sans âme n'est qu'une vaste foule
Alphonse de Lamartine


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Message Publié : 07 Déc 2011 15:29 
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Oui la Russie en 1914 était en train de combler son retard sur l'ouest, avec l'apport massifs de capitaux français, ce qui d'ailleurs incitait le Grand etat major allemand à ne pas trop retarder "l'innévitable" affrontement que tout le monde craignait tôt ou tard. Il fallait ne pas trop attendre sinon le réseau ferroviare russe en plein boom aurait réussi à compenser le gros problème logistique de l'Empire des tsars

Autre point : à l'époque, malgré les avertissements de la guerre russo_japonaise et des guerres balkaniques (et en ayant oublié les leçons de la guerre de Sécession), la plupart estimait que l'offensive était supérieure à la défensive. Pour les français, ce sont les mauvaises leçons venues de la guerre de 70, où ils ont vu que malgré les chassepot et les pertes terribles subies les alliées allemands finissaient par passer. Même l'Allemagne qui avait un peu mieux vu le problème (et s'équipant d'un peu plus de mitrailleuses, arme défensive) restrea longtemps persuadée que l'offensive finit par passer.


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