Nous sommes actuellement le 24 Avr 2024 18:33

Le fuseau horaire est UTC+1 heure




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 3 message(s) ] 
Auteur Message
Message Publié : 12 Mai 2013 19:06 
Hors-ligne
Modérateur
Modérateur
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 04 Déc 2011 22:26
Message(s) : 1652
Localisation : Paris
Bonsoir,

Quel ouvrage me conseilleriez-vous sur les négociations austro-allemandes à l'égard de l'entrée en guerre de l'Empire ottoman à l'été 1914 ?

J'ai déjà consulté les papiers diplomatiques de von Pallavicini, l'ambassadeur austro-hongrois auprès de la Sublime Porte, et mes recherches se concentrent plus sur les échanges diplomatiques entre l'Allemagne wilhelmienne et l'Autriche-Hongrie impériale. Je cherche, en particulier, quels compromis ont pu être fait, de part et d'autre, pour convaincre l'Empire ottoman de rejoindre le côté de l'Alliance.

Je vous remercie de votre aide,

Jadis

_________________
« But thought's the slave of life, and life's time fool. » (William Shakespeare)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 20 Mai 2013 22:19 
Hors-ligne
Thucydide
Thucydide
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 23 Avr 2013 19:19
Message(s) : 30
Il est en effet intéressant de retrouver l'Empire ottoman combattre aux côtés des Empires Centraux lors de la Grande Guerre, surtout lorsque l'on connaît les relations unissant la Sublime Porte aux puissances européennes au début du XIXe siècle (France et Royaume-Uni particulièrement), bien que d'ordres économiques et de relations par intérêts plutôt que de véritables liens d'amitiés. Preuve en est la guerre de Crimée, au milieu du XIXe siècle, durant laquelle Britanniques et Français se sont rangés aux côtés de l'Empire Ottoman (les uns, parce que la Sublime Porte est un allié précieux qui contrôle le carrefour aux Indes, et les autres, dans l'espoir d'exister diplomatiquement et de se venger de l'un de ses vieux ennemis de 1815).
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la prise de position des Ottomans lors de la PGM :

    -Premièrement, la défaite de la France en 1870 et le bouleversement géopolitique en Europe qui redistribue les rôles de chacun. La puissance diplomatique française s'effondre au profit de l'Empire Allemand, qui détiendra alors le rôle central en Europe, arbitrant l'échiquier européen à la manière des États-Unis sur le monde aujourd'hui. L'influence grandissante de l'Allemagne aux dépens de la France, et l'armée prussienne, auréolée de ses récents succès, verra l'Empire Allemand s'imposer peu à peu en une force incontournable sur laquelle il faudra dorénavant compter. Cette hégémonie nouvelle se fera particulièrement ressentir chez les ottomans.
    -J'en veux pour preuve l'excellent bouquin de Yves Ternon, Guerres et génocides au XXe siècle : Architecture de la violence de masse, dont la réputation n'est plus à faire, qui détaille, en page 124, les relations qu'entretenaient la Sublime Porte et l'Empire Allemand, témoin de cette passation des pouvoirs en Europe, et de cette influence grandissante de l'Allemagne vis à vis de la France et du Royaume-Uni, dont voici quelques citations (le bouquin est consultable ici : http://books.google.fr/books?id=mFBgoi7jZ6QC&pg=PA170&lpg=PA170&dq=Guerres+et+g%C3%A9nocides+au+XXe+si%C3%A8cle+:+Architecture+de+la+violence+de+masse&source=bl&ots=NTeXvLSUQH&sig=PEXA2dt4GFqldYUJ3cfYwnmAmUc&hl=fr&sa=X&ei=z4-aUcm0DKGc0wXS94CQCA&ved=0CEQQ6AEwAw#v=onepage&q=Guerres%20et%20g%C3%A9nocides%20au%20XXe%20si%C3%A8cle%20%3A%20Architecture%20de%20la%20violence%20de%20masse&f=false)
    Citer :
    L'influence allemande en Asie Mineure débute dans les années trente du XIXe siècle lorsqu'un officier prussien, le lieutenant Helmut von Moltke, est nommé par le sultan Mahmoud II conseiller à la Défense. La Prusse maintient sa neutralité pendant la Guerre de Crimée, et c'est au congrès de Berlin que Bismarck mesure les avantages d'une position d'arbitre européen. En juin 1882, une mission militaire allemande, sous les ordres de Colmar von der Goltz, vient à Constantinople réorganiser l'armée ottomane en lui fournissant des armes, du fusil Mauser au canon Krupp à tir rapide. Dés qu'il monte sur le trône, Guillaume II planifie une pénétration économique allemande en Anatolie grâce à la construction d'une ligne de chemin de fer transcontinentale reliant Constantinople au golfe Persique. [...] Lors des massacres d'Arménie, l'Allemagne ne condamne pas la Porte comme le font l'Angleterre et la France, et en 1897, des instructeurs allemands aident l'armée ottomane à écraser les Grecs en Crète. Lorsqu'il vient à Damas en novembre 1898, le Kaiser se proclame protecteur de la Turquie et de l'islam. Dans les années suivantes, il soutient le projet panislamique d'Abdül-Hamid, un bon moyen de nuire à ses rivaux européens. Le 27 novembre 1899, le président du conseil d’administration des chemins de fer d'Anatolie [...], ancien directeur de la Deutsche Bank, obtient de la Porte la concession de la ligne de ce que l'on appelle déjà "le chemin de fer de Bagdad". [...] En novembre 1913, l'infiltration allemande se poursuit avec l'envoi d'une nouvelle mission militaire allemande à Constantinople. Le général Liman von Sanders, qui dirige cette mission, est nommé commandant de la 1ere armée ottomane, le corps d'armée de la capitale. [...]
Comme vous le voyez, ce passage résume très bien cette pénétration allemande en Turquie, d'ordre économique, politique et militaire aux dépens des Européens, la France en premier lieu, dont la puissance diplomatique a pris un sérieux coups lors de la défaite en 1870, et l'Angleterre en second lieu, à des années lumières de se préoccuper de la Turquie puisqu'en pleine lutte interne dans ses propres colonies contre les Boers.

Comme le souligne Yves Ternon, "Lorsque la guerre européenne commence, la prépondérance allemande dans l'empire ottoman est acquise. Cependant, "La Porte n'a [...] pas pris sa décision." . Les divisions au sein du gouvernement sont nettes, entre partisans de la paix, ministres favorables à l'Entente, et Ismail Enver, mieux connu sous le nom d'Enver Pacha (1881-1922), qui donne à la politique ottomane une orientation nettement germanophile, et qui amènera la Turquie à entrer en guerre en octobre 1914 aux côtés des Empires centraux. Ministre de la guerre, Enver Pacha s'entoure d'officiers allemands. C'est pourquoi je me permet de détailler un peu son portrait, de sorte que l'on puisse savoir ce qui a motivé ses choix et ses actes. Jeune, Ismail a suivi ses études en Allemagne. Il entra dans l'armée ottomane peu après et reçut une formation militaire dans la garde prussienne. Après 1908, il fut envoyé plusieurs fois à Berlin en tant qu'attaché militaire (où il joue un rôle important dans l'envoi de missions militaires allemandes en Turquie), avant d'organiser le coup d'état de 1913. Lors de la seconde guerre des Balkans, il reprend Andrinople aux Bulgares avec l'appui de l'Allemagne. Enver Pacha est un militaire avant d'être un politicien. Ambitieux, il est persuadé d'être promis à de grandes choses. C'est peut-être l'une des raisons qui l'ont poussé à engager l'empire ottoman dans la guerre, aux côtés de l'Allemagne. Notons que Enver a participé au conflit contre l'Italie en Tripolitaine entre 1911 et 1912. Ismail Enver a alors commencé à nourrir une certaine méfiance vis à vis de l'impérialisme européen (qui s'est traduit par la perte de territoires sous la dépendance de l'Empire Ottoman (comme la Tunisie), sous le prétexte de contenter les créanciers de l'Empire (Français et Britannique notamment) alors lourdement endetté) ce qui l'a pousser à se tourner vers l'alternative allemande, qui se présentait en protecteur de la Sublime Porte.
Citer :
Berlin, d'abord peu désireux de s'encombrer de l'Empire ottoman dans une guerre contre l'Entente, a entamé des négociations avec la Porte dés la fin juillet. Le 2 août, un accord secret est signé selon les termes duquel l'Allemagne garantit la protection des territoires ottomans menacés par la Russie (note de bas de page : L'accord est complété par une convention militaire signée entre Enver et Liman von Sanders).

Yves Ternon, op.cit

J'en viens à un nouveau point : l'une des raisons qui ont amené l'Empire à se joindre aux empires centraux est probablement la volonté d'obtenir une alliance contre la Russie (alors membre des la Triplice), l'une des principales menaces pesant sur la Porte et source de contentieux historiques.
Citer :
Dés le début de la guerre l'Entente promet de préserver l'intégrité territoriale de l'empire ottoman s'il reste neutre dans le conflit. Le 3 août, le grand vizir affirme qu'il gardera sa neutralité. Pendant trois mois, la Porte viole avec cynisme cette neutralité. [...] La Porte obtient de l'Allemagne deux millions de livres turques en or, qui sont livrées à Constantinople les 16 et 2 octobre. Le 29, le Goeben et le Breslau, accompagnés d'un navire ottoman [...] pénètrent dans la mer Noire et bombardent les ports russes. Le 2 novembre, la Russie déclare la guerre à l'empire Ottoman, suivie par la France et la Grande-Bretagne. [...] Saïd Halim1 semble avoir été, jusqu'au 2 novembre, favorable au maintien de cette neutralité, et il ne cède que sous la pression du cabinet dominé par Enver et Talaat, celui-ci étant gagné depuis octobre par une politique d'intervention.

Yves Ternon, op.cit
1 : grand vizir de 1913 à 1917

Est-il utile alors de préciser que c'est Enver Pacha lui-même qui s'est arrangé pour accueillir les deux vaisseaux allemands dans les Dardanelles (ceux-ci s'y sont réfugiés dans l'espoir d'échapper à leurs poursuivants britanniques). C'est également Enver Pacha lui-même qui, déjouant la neutralité affichée par l'Empire Ottoman, s'est débrouillé pour faire croire à la vente des vaisseaux allemands sous le pavillon turque, car il ne pouvait, selon les traités internationaux, abriter les navires belligérants pendant plus de vingt-quatre heures. L'amiral Wilhelm Souchon, commandant les vaisseaux allemands, a reçu l'ordre suivant du Ministre de la Guerre lui-même, après que ce dernier ait discuté, le 22 octobre 1914, de ses plans de guerre avec les Allemands, comme le note Geoffrey Miller, "Turkey Enters the War and British Actions". Parmi les quatre options proposées par Enver, la dernière fut retenue, et approuvée par les Allemands : rechercher et attaquer la flotte russe de la Mer Noire.
Citer :
Enver found that he could not persuade his colleagues to acquiesce in such a radical course the Minister for War would instruct Souchon not to open the orders - this was to be the pre-arranged signal that, to force the issue, Souchon himself would have to manufacture an incident. Wangenheim, however, was not at all satisfied with this arrangement. On 23 October the Ambassador sent the Commander of the German Naval Base, Humann, to see Enver who, typically, was not in his office. Humann thereupon dictated a note to Colonel Kiazim Bey, Enver's A.D.C.:
German Ambassador is of opinion that Fleet Commander Admiral Souchon must have in his hands a written declaration from Enver Pasha if Souchon is to carry out Enver's plan to cause Russian incident. Otherwise, in case of military failure or political defeat for Enver, a grave compromise of German policy with extremely fatal consequences is inevitable.
Enver's subterfuge had been designed to override opposition from his own side and did not take into account Wangenheim's last-minute faint-heartedness. In the circumstances, there was little that Enver could do but comply, which he did two days later:

War Minister Enver Pasha to Admiral Souchon October 25, 1914 The entire fleet should manoeuvre in Black Sea. When you find a favourable opportunity, attack the Russian fleet. Before initiating hostilities, open my secret order personally given you this morning. To prevent transport of material to Serbia, act as already agreed upon. Enver Pasha. [Secret order] The Turkish fleet should gain mastery of Black Sea by force. Seek out the Russian fleet and attack her wherever you find her without declaration of war. Enver Pasha.

Wangenheim, too, had some final instructions for Souchon: "(1) put to sea immediately, (2) no aimlessness, but war by all means, (3) if possible, report soon to Berlin on operative intentions."Souchon now had a surprise for Enver. Rather than an incident at sea, the Admiral had determined upon the far more provocative scheme of attacking the Russian coast!

2 : Geoffrey Miller, "Turkey Enters the War and British Actions"

Conséquence même de quoi, l'empire ottoman, agressant la Russie avec le soutien de l'Allemagne, provoque la Russie à lui déclarer la guerre. Le jeu des alliances fait le reste : la France et la Grande-Bretagne se rangent aux côtés des russes, et la Porte avec les Empires Centraux. Autrement dit, Enver Pacha est le personnage central qui a amené l'Empire Ottoman à se rallier à l'Allemagne : c'est l'élément incontournable du rapprochement turco-allemand au XIXe siècle et au début du XXe siècle. C'est lui qui manœuvra habilement toute les ficelles pour pousser son pays à entrer en guerre aux côtés des Allemands.

De plus, à la veille de la PGM, l'Empire Ottoman se trouvait dans un état catastrophique : territoires perdus, économie en ruine et système politique à bout de souffle. Il était qualifié "d'homme malade de l'Europe" par l'empereur Nicolas Ier en 1853. L'alliance avec l'un ou l'autre camp s'imposait peu à peu comme une issue inévitable. La question demeurait : lequel ? Comme le note Talaat Pacha (grand vizir de 1917 à 1918) dans ses Mémoires, "Turkey needed to join one of the country groups so that it could organize its domestic administration, strengthen and maintain its commerce and industry, expand its railroads, in short to survive and to preserve its existence.". Au début du XXe siècle, les ambassadeurs turcs ont été invités à déterminer si les capitales européennes seraient intéressées par une alliance. Seule la Russie semblait y voir un certain intérêt. Mais la Russie était l'ennemi de toujours, elle voyait surtout au travers de cette alliance le moyen d'établir un protectorat sur la Porte. La France ? Pas la peine d'y penser. La France, sortie de l'isolement diplomatique où l'avait confiné Bismarck, signe, à la fin du XIXe siècle (1890-1893) une alliance avec la Russie, l'ennemi de toujours. La Grande-Bretagne, pour sa part, a refusé de signer cette alliance. L'Allemagne s'imposa peu à peu comme une alternative plausible. D'autant qu'elle représentait un contrepoids de force à l'impérialisme Français et Britannique.

Sources :
Treaty of Alliance Between Germany and Turkey 2 August, 1914 , http://avalon.law.yale.edu/20th_century/turkgerm.asp
2 : Geoffrey Miller, "Turkey Enters the War and British Actions" =>http://www.gwpda.org/naval/turkmill.htm


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 21 Mai 2013 16:38 
Hors-ligne
Modérateur
Modérateur
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 04 Déc 2011 22:26
Message(s) : 1652
Localisation : Paris
Tout d'abord, merci beaucoup pour votre investissement auprès de ce sujet, Granite !

Granite a écrit :
Comme vous le voyez, ce passage résume très bien cette pénétration allemande en Turquie, d'ordre économique, politique et militaire aux dépens des Européens, la France en premier lieu, dont la puissance diplomatique a pris un sérieux coups lors de la défaite en 1870, et l'Angleterre en second lieu, à des années lumières de se préoccuper de la Turquie puisqu'en pleine lutte interne dans ses propres colonies contre les Boers.

J'ajouterais, sur ce point, que l'influence grandissante de l'Allemagne auprès de l'Empire ottoman est principalement liée à la question financière. La France est le principal créancier de la Sublime Porte à la fin du XIXème siècle et l'Angleterre est méfiante quant à ses investissements dans cette région alors que l'Allemagne est moins réticente à soutenir le projet de chemin de fer Berlin-Bagdad. En 1903, les financements du projet sont majoritairement allemands, avec quelques pourcentages provenant d'Autriche, d'Italie et de Suisse.

Granite a écrit :
Citation:
Berlin, d'abord peu désireux de s'encombrer de l'Empire ottoman dans une guerre contre l'Entente, a entamé des négociations avec la Porte dés la fin juillet. Le 2 août, un accord secret est signé selon les termes duquel l'Allemagne garantit la protection des territoires ottomans menacés par la Russie (note de bas de page : L'accord est complété par une convention militaire signée entre Enver et Liman von Sanders).

Yves Ternon, op.cit

Je dois reconnaître que cet accord secret retient mon attention. Qu'en dit Yves Ternon ?
En particulier, est-ce que la diplomatie autrichienne a été appelée à participer aux négociations allemandes ? L'accord du 2 août ne concerne qu'une alliance contre la Russie (et n'inclut pas d'alliance contre la France ou la Grande-Bretagne) et va, en conséquence, fixer des buts de guerre et des concessions de victoire : quels compromis (s'il y en a eu) l'Autriche-Hongrie a-t-elle fait dans le partage de ces buts de guerre avec l'Empire ottoman ?

_________________
« But thought's the slave of life, and life's time fool. » (William Shakespeare)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 3 message(s) ] 

Le fuseau horaire est UTC+1 heure


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 18 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB