Adulith a écrit :
Les premiers estiment par exemple que la brutalisation des sociétés (contestée par les autres) est liée à la culture de guerre, alors que les autres estiment que la culture de guerre est plus une conséquence du conflit mais qu'en aucun cas elle ne l'a engendré ou a banalisé la violence.
J'ai un peu de mal à comprendre les termes de cette opposition : si je comprends bien, le point en discussion est de savoir s'il existe avant-guerre une culture de guerre génératrice de haine ou préparant à (ou générant ensuite) la brutalité des affrontements.
Pour moi la réponse est clairement non. En ce sens, je pense qu'il faut faire une différence entre la culture de guerre - donc les représentations - avant et pendant le conflit.
Avant le conflit, on est dans une culture militariste, qui peuple l'imaginaire collectif de représentations héroïques, qui valorise l'image du combattant, mais en aucun cas elle ne prépare la nation et les futurs soldats à la férocité des combats. Rien qui ressemble à une volonté ouverte, délibérée, d'exterminer l'ennemi.
Si contrairement à la légende les soldats ne sont pas partis la fleur au fusil - on savait depuis 1870 que la guerre est une affaire sérieuse - tous sont partis avec l'idée que c'était une affaire de quelques mois, et personne n'était prêt, pas même parmi les militaires, à une épreuve si longue et si sanglante. La réalité de la guerre était quelque peu édulcorée dans l'imaginaire des peuples.
les combattants sont surpris par l'âpreté des premiers combats et par l'ampleur des pertes, d'autant plus que la bataille des frontières est la plus coûteuse de toute la guerre. C'est pour tous une découverte douloureuse.
Au point qu'on peut se demander pourquoi il n'y a pas eu davantage de débandades face à l'ennemi ou sous le feu. Quand on lit les récits des combattants, il y a une chose qui frappe : la lâcheté est méprisable, on ne doit pas montrer sa peur, les "trembleurs" sont voués à l'opprobre de leurs compagnons : dans la culture de guerre telle qu'elle s'est construite avant le conflit, il y a une image de la virilité qui traverse toute la société. Les poilus apprendront ensuite à communiquer leurs impressions et leurs angoisses, mais dans un registre de discussions entre combattants éprouvés, avec une sorte de langage du front qui permet de dire beaucoup de choses sans passer pour autant pour un dégonflé. Il apparaît alors une façon de parler au front entre soldats ayant partagé les mêmes expériences qui est difficilement communicable aux civils, d'autant qu'on ne souhaite pas inquiéter les familles. Je ne sais pas si on peut parler de "culture de guerre" pour les combattants : il y a une adaptation aux réalités du front, c'est plutôt une culture de combattants qui se comprennent entre eux. Le décalage avec l'arrière est énorme, les poilus ne font pas dans l'imaginaire héroïque, ils développent une camaraderie des tranchées où le drapeau et la mère patrie n'ont guère de sens. Ce qui compte, c'est les copains. Le déphasage avec la propagande et la tranquillité de l'arrière est énorme. Les journaux propagandistes ne sont guère lus dans les tranchées et suscitent au mieux un haussement d'épaule, plus souvent un franc mépris.
En somme, je suis d'accord avec l'idée qu'il n'y a pas une "culture de guerre" pour les soldats du front : il s'agit d'autre chose. Là on ne parle pas de représentations mais d'un contact permanent avec la réalité.
je pense par contre que la culture de guerre à l'arrière - c'est à dire dans tout le pays - évolue très vite dès le début du conflit. Dès les premières exactions allemandes en Belgique et en Lorraine, les journaux sont remplis d'histoires épouvantables sur le comportement de l'armée allemande envers les civils, et l'ennemi prend une figure haïssable. Mais cela concerne l'arrière, où l'image que l'on se fait de la guerre est davantage influencée par les journaux, au début, que par les récits des combattants.
J'ai toujours été étonné que "Le feu" d'Henri Barbusse, prix Goncourt en 1916, soit librement diffusé, alors qu'il s'agit d'un récit d'un terrible réalisme très loin de la propagande et des récits édulcorés qui remplissent les journaux. En même temps je ne sais pas quelle a été sa diffusion. Ce qu'on ne peut pas cacher aux civils, par contre, c'est l'ampleur des pertes. En tout cas la représentation du front qu'on se fait à l'arrière va progressivement évoluer vers une vision plus réaliste au fil des années de guerre.