Bonjour,
Je suis en train d'arpenter les réserves de notre bibliothèque (le Centenaire se rapproche, il va falloir se décider sur ce qu'on va faire !) quand je suis tombé sur le texte ci-dessous.
Ce sont les Annales Politiques et Littéraires.
(désolé pour les coquilles, j'ai essayé de le reprendre en gros, le mode texte de Gallica a du mal avec certains textes, mais vous avez la version originale ici :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5746961f.image.langFR.r=annales%20politiques%20et%20litterairesNB pour les distraits : nous sommes le 19 juillet 1914...
NB-bis pour distraits-bis : la guerre, c'est le 3 août 1914
Citer :
Le Pantalon Rouge
Nous ne pouvons le laisser partir sans un mot de tristesse et de regret... Un vote de la Chambre vient de le condamner... Pourquoi? Quel crime a commis ce vêtement, associé, dans notre esprit, à tant de souvenirs glorieux? Il expose, paraît-il, ceux qui le portent à de redoutables dangers. Sa couleur rutilante attire les regards, sert de cible aux projectiles... Le colonel Rousset vous dira, quelque jour, si ces griefs sont valables. Des généraux les ayant appuyés de leur compétence, il a fallu s'incliner. C'est dommage. A côté de la raison, il y a le sentiment, la tradition; il y a le panache, qui, précisément, est une des conditions essentielles du métier des armes.
Au service de l'Autriche,
Le militaire n'est pas riche.
Il n'est guère plus riche au service de France ; et, si ce rôle de dévouement abnégation, de sacrifice, de privation, offrait pas une légère compensation par prestige de l'uniforme, il ne resterait pauvre « troupion » que le devoir tout , « du pain et rien avec», comme disent les enfants.
Certes, le costume de nos Dumanet que d'élégance. Fait à l'avance, sur types réglementaires, il s'ajuste à chacun, au hasard de la distribution. Il fait des plis, il baye, il engonce ; il tient chaud en hiver, il tient trop chaud en été.
Malgré tout, le pantalon rouge garde sa séducton, son allure. Il a la gaieté du coquelicot dans les blés et sépare nettement le soldat du civil. La couleur kaki ou verdâtre, qui se confond avec le ton terreux des champs défrichés, fi donc! Cela ne reluit pas au soleil. Cela n'est pas de chez nous.
L'autre semaine, la musique d'un de nos régiments de ligne s'était rendue à Guernesey, à l'occasion des fêtes de Victor Hugo. Quand nous vîmes ces chers petits pioupious gravir d'un pas allègre la principale rue de Saint-Pierre en enlevant avec entrain Le Chant du Départ, un frisson nous parcourut, notre coeur battit plus vite. S'ils avaient eu le pantalon caca d'oie au lieu du pantalon garance, je crois que notre émotion eût été moindre. Que voulez-vous! les anciennes habitudes nous possèdent. Et, l'avouerai-je ? je trouve que nous ne leur demeurons pas assez fidèles. Beaucoup de Français sont iconoclastes. L'absence de culture artistique et surtout l'intolérance des passions politiciennes les enferment dans ce fâcheux état d'esprit. Une sorte de rage les pousse à abolir les vestiges du passé. Ils s'acharnent après les vieux quartiers, les vieux murs. Ils aiment les larges voies, bordées d'immeubles de rapport. A l'irrégularité pittoresque, ils préfèrent la banale et luxueuse uniformité. Ils se préoccupent de la santé publique, de l'hygiène. Sollicitude louable à laquelle ils sacrifient la vraie beauté des villes, faite des empreintes successives que les siècles y ont déposées. Les cités se ressemblent par leurs parties neuves. Paris, Bruxelles, Londres, Genève, Berlin, Madrid, ont les mêmes maisons à Windows, les mêmes pavés de bois, les mêmes trottoirs, les mêmes boulevards rectilignes... Ce singulier désir d'unification supprime également les costumes provinciaux et suggère aux paysannes bretonnes ou normandes qu'elles seront plus jolies si elles s'habillent à la parisienne. Il s'attaque, enfin, aux choses militaires et tend à supprimer les marques distinctives extérieures des armées. Bientôt, il n'existera plus en Europe qu'un fantassin, qu'une vareuse, qu'un casque, comme il n'y existe qu'une seule architecture. Ce sera le règne universel du kaki, c'est-à-dire du neutre, de l'indifférent, de l'effacé.
Quelques peuples luttent encore! Les Anglais, traditionalistes et loyalistes dans l'âme, ne se pressent pas de détruire... Ils prolongent, ils conservent... lis s'insurgeraient, si une main brutale s'avisait de dépouiller de leur tunique écarlate les horse-guards, d'enlever aux highlanders la jupe bariolée qu'arborait fièrement le jeune prince de Galles, futur empereur Edouard VII. Chaque régiment, chez eux, s'enorgueillit des exploits que, jadis, il accomplit; il met de côté ses uniformes périmés, et, quelquefois, à de certaines dates, il les tire de l'armoire. Nous fûmes ravis de la parade qu'exécutèrent devant nous, à Guernesey, au son du long tambour et du fifre, des grenadiers vêtus et armés à la mode de 1740, bonnets en forme de mitres, perruques à cadenettes, guêtres blanches, fusils à tabatières. La manoeuvre, merveilleusement précise, de ces soldats travestis, évoquait une époque de courtoisie raffinée et de bravoure élégante, le temps de la guerre en dentelle et de Fontenoy. C'était un délice. Et nous nous représentions, en jouissant de ce spectacle, la diversité des races et des tempéraments. Là, le respect de ce qui fut. Ici, l'impatience de ce qui sera... La, l'invincible attachement aux pierres, aux moeurs, aux coutumes. Ici, une ardente soif de nouveauté...
Je sais que le fond subsiste et que notre tempérament n'a pas changé. La témérité nous plaît. Nous l'admirons dans les actes, nous la goûtons dans les mots. Peut-être vous souvient-il d'une historiette qui circula autour du célèbre général Poillouë de Saint-Mars, d'impérissable mémoire. Il passait en revue les conscrits de sa garnison. Il s'appliquait à leur inculquer les meilleurs principes. Voulant s'assurer que ses paroles ont été comprises, il s'adresse à l'un des « bleus ».
— A quel moment, dans une bataille, si la fortune vous est contraire, commencezvous à battre en retraite?
L'homme reste un moment interdit. Puis, saisi d'une inspiration soudaine :
— Jamais, mon général.
Voilà ce qui s'appelle répondre! Il est surprenant que la réforme proposée, hier, à la Chambre, n'ait pas soulevé plus d'opposition.
— Le soldat français, qu'on l'habille en bleu ou en gris, se battra toujours bien, S'est écrié M. Lasies.
J'en suis convaincu. Cependant, — ne raillez pas, — je ne puis m'empêcher de verser un pleur sur ce joyeux pantalon rouge, ingratement immolé.
LE BONHOMME CHRYSALE.
Aujourd'hui, sur le Net, on se fendrait d'un bon "facepalm". Un siècle de recul, quelques millions de morts.
Autres temps, autres moeurs.
Autre époque...