Bonjour,
Il y a dans
Les Croix de bois de Roland Dorgelès tout un chapitre,
"Dans le jardin des morts", qui prend place dans un cimetière, dont les caveaux et chapelles deviennent des abris pour les soldats. Quelques passages:
Citer :
Bréval et d’autres entrèrent dans une étroite chapelle sans toit et je les vis s’enfoncer sous terre, à plat ventre. Demachy, qui me précédait, jeta ses musettes dans un trou noir, au pied d’une dalle, et sauta. Je le suivis. Au même instant un éclatement terrible fit trembler la terre et cela grêla sur notre toit de pierre.
— Il était temps, dit Gilbert.
À tâtons, on cherchait à découvrir les choses autour de soi et nos mains glissaient sur les murs froids. Au-dessus de nos têtes, l’entrée s’ouvrait, comme une lucarne bleue.
— Bouchons ça et allumons.
On accrocha avec des cartouches une toile de tente pliée en deux et Gilbert fit craquer son briquet. La bougie à la mèche écrasée hésita, vacillante, puis la lumière éclaira notre abri. Les quatre murs luisaient, humides. Sur le dallage du caveau, il n’y avait qu’un matelas sale de vieux journaux, où l’on lisait des titres allemands.
— Les anciens locataires nous ont laissé de quoi lire, tu vois… Tiens, il y en a un qui a inscrit son nom.
Sur la chaux nue, en effet, une main patiente avait commencé à graver : « Siegf… » Pourquoi vouloir laisser sa trace dans ce tombeau ?… Et l’autre, le premier qu’on avait couché là, celui dont le nom devait être gravé sur la croix, qu’en avaient-ils fait ?
Citer :
Les os ?… Où a-t-on jeté leurs os ? Une idée bête me poursuit. Je voudrais sortir pour lire le nom, savoir dans le lit de qui je suis couché. Alors, si une torpille cognait là, ce serait fini ? Pas la peine de nous enterrer, pas même besoin d’une croix : on l’a plantée pour l’autre. N’est-ce pas tenter la mort, n’est-ce pas la narguer, que de coucher dans un tombeau ? Pourtant, ce n’est pas notre faute à nous… Oui, je voudrais connaître le nom de l’autre. Malgré moi, je pense à lui. Je l’imagine couché, bien droit. Et, superstitieux, ayant peur, rigide comme lui, d’être pris pour un mort, je me recroqueville, je ramène mes genoux.
Citer :
Siegfried… Pourquoi n’est-il pas resté ici, puisqu’il avait gravé son nom ? C’est l’autre mort qui l’aura chassé, qui n’aura pas voulu, et il est allé mourir dehors, n’importe où, dans ces gravats hachés par la ferraille. Ce sont peut-être ses pieds raides qui, tout à l’heure, m’ont fait trébucher.
J’ai vu un mousqueton pendu à la branche d’une croix ; des musettes sont accrochées, où étaient des couronnes ; les obus ont tordu les grilles…
Citer :
Le soir, quelques hommes de corvée partent, quelques brancardiers se hasardent. Et vite, en se cachant, ils exhument un homme d’un grand caveau de famille, où des blessés geignent, sans soins possibles, depuis des jours. Ils volent un mort au cimetière.
Ils sont encore six, dans ce tombeau dont les Allemands ont fait un poste de secours.
Citer :
Les obus tombent toujours, mais on ne les entend plus. Hébétés, fiévreux, nous sommes allés en visite dans la tombe à Sulphart. On la reconnaît à son enseigne :
« Mathieu, ancien maire. »
Cela reste une fiction mais son pouvoir évocateur, son réalisme, sont des éléments souvent mis en avant.
Des villages se sont trouvés sur le front. Leur cimetière a été intégré au dispositif défensif voyant son rôle initial dévoyé, transformé en lieu de combat et "de vie". C'est la force des événements qui commande aux bouleversements de ces endroits.
Comme cela a été écrit précédemment, quelles autres raisons sinon auraient pu conduire à des dégradations de cimetières?