Je me permets de citer ici l'historien Arthur Conte, qui, dans son superbe
Soldats de France, a très bien décrit l'apparition et le déroulement de cette cérémonie :
Arthur Conte, in Soldats de France, p. 402-404 a écrit :
Sous l'Arc de Triomphe. Le soldat inconnu
C'est sous le ministère Georges Leygues que, le 9 novembre 1920, la Chambre et le Sénat votent le projet de loi qui décide que "les reste d'un des soldats français morts au champ d'honneur au cours de la guerre de 1914 à 1918" seraient transférés à Paris et sollenellement déposés le 11 novembre à l'Arc de Triomphe.
Le Gouvernement confié à André Maginot, ministre des Pensions, la mission de présider à Verdun la cérémonie du choix du cercueil qui sera inhumé.
Dans la matinée du 10, huit cercueils sont transprtés par camionette de divers points du front à la citadelle de Verdun où ils sont pieusement déposés dans un sombre décor de palmes, de feuillages et de drapeaux. Ils y sont veillés par des détachements des régiments en garnison dans la ville ainsi que par des délégations d'anciens combattants. A midi, André Maginot arrive à Verdun; deux heures plus tard, il se rend à la citadelle où il est aussitôt conduit jusqu'à la chapelle ardente où reposent les huit cercueils.
Entre-temps, les soldats de la garnison du 25e d'artillerie et du 132e de ligne qui ont perdu un frère ou un père dont on a pas retrouvé les restes choisissent entre eux le camarade chargé de désigner, en présence du ministre, celui des cercueils voué à être transféré à Paris.
Il s'agit du soldats du 132e Auguste Thin, de la classe 19, qui fit la fin de la campagne comme engagé au 234e.
Ce jeune soldat - tout pâle sous la barre d'ombre du casque - se trouve d'ailleurs déjà dans la chapelle ardente quand on y arrive le ministre, qui tient à la main un humble bouquet de fleurs.
"Soldat, lui dit Maginot, voici un bouquet de fleurs cueillies sur le champ de bataille de Verdun, parmi les tombes de tant de héros inconnus. Vous allez le déposer sur un de ces huit cercueils et c'est le soldat désigné par vous que le peuple de France accompagnera demain, du Panthéon à l'Arc de Triomphe, suprême hommage de la nation, le plus beau que la France ait jamais eéservé à l'un de ses enfants, mais qui n'est pas trop grand pour celui qui symbolise et perpétue la vaillance française et dont le sacrifice anonyme a sauvé la Patrie, la Justice et la Liberté du monde."
Le ministre tend non pas des fleurs champêtres - il n'en pousse plus sur la terre calcinée de la Meuse - mais quelques oeillets. Un silence écrase les poitrines. Le soldat, de blême qu'il était, est devenu tout rouge. La démarche raide, il fait le tour des huit cercueils, disposés par 2, en file. Il tourne une première fois, très vite, sans s'arrêter puis, au second tour, brusquement, il dépose sa gerbe sur la troisième cercueil de la rangée de gauche. Le tambour bat. Une musique militaire joue en sourdine La Marseillaise. Les têtes d'inclinent. A l'écart, entouré de quelques prêtres, l'évêque de Verdun, sans se montrer, fait le geste de bénir.
Quatres jeunes artilleurs soulèvent le cercueil choisi, le chargent sur un 75 décoré de drapeaux.
Un long cortège, au rythme de la Marche Funèbre, s'écoule entre les ruines. On n'en contemple qu'avec plus de malaise encore l'horizon tragiquement nu où, comme l'écrit Roland Dorgelès, "la guerre a effacé jusqu'à la trace des bois et des villages, ce paysage épouvanté dont le sol ondule encore en vagues parallèles, comme un océan de pierraille". [...]
Les sept autres cercueils sont inhumés le lendemain au cimetière militaire du faubourg Pavé à Verdun. [...]
Le 11 novembre à Paris, dès 8 heures du matin, une foule énorme se presse autour de l'Etoile afin d'assister au grand défilé militaire qui doit accompagner l'exposition sous l'Arc de Triomphe du cercueil du soldat inconnu, enveloppé dans un immense drapeau tricolore.
La journée est d'autant plus solennelle que, dans les mêmes instants, à Londres, se déroule une cérémonie identique en l'honneur du "tommy sans nom" et que, ici, à paris, en concordance avec l'hommage du soldat inconnu, en présence de toutes les autorités, en cinquantième anniversaire de la République, dans un coffret de cristal, on transporte au Panthéon le coeur de Léon Gambetta, le glorieux tribun qui, en 1870-71, au nom de la "Défense Nationale", fit se lever plusieurs armées pour s'opposer aux ruées des uhlans.
La cérémonie à l'Arc est très sobre. Aucun discours n'est prononcé. Le défilé des troupes, des drapeaux, des délégations de mutilés, de volontaires et d'anciens combattants n'en est que plus émouvant.
Quelles plus belles heures ?
On se montre Alexandre Millerand, tou neuf président de la République, le président du Conseil Georges Leygues, le grand mutilé André Maginot, les trois grands maréchaux côte à côte: Joffre, Foch et Pétain.
On reconnaît Mangin et Gouraud.
Ici, place de la Concorde, les drapeaux de l'Année terrible, restitués par l'Allemagne défilent devant la statue de Strasbourg.
Là, Raymond Poincaré avance entre les ministres, non loin de toute une troupe d'Alsaciens et de Lorrains en costumes des deux provinces.
Là, une foule immense et recueillie célèbre à Notre-Dame l'anniversaire de la victoire, en présence du Mgr Roland-Gosselin. Jamais si émouvant Magnificat, si impresionnant Te Deum.
C'est tout un fleuve de drapeaux qui coule sur les Champs-Elysées.
Le cercueil demeure çinq jours sur l'affût d'un 155 et tout Paris vient s'incliner devant la glorieuse dépouille. Seulement au soir du cinquième jour, le cerceuil est descendu dans sa tombe, et la dalle scellée.
Ce n'est que trois ans plus tard, le 11 novembre 1923, qu'André Maginot, alors Ministre de la Guerre, ravive, le premier, sur la tombe du soldat inconnu "la flamme qui ne s'éteindra jamais".