Le fascisme est-il de droite ?
D’aucuns pourraient s’interroger sur l’utilité d’une telle question, tant il paraît évident à tous que le fascisme est de droite. C’est en tout cas ce que certains veulent absolument que nous pensions, mais est-ce si évident que cela. Pour l’homme de la rue, le fascisme est lié à tout ce que symbolise la réaction, à savoir l’autoritarisme, le racisme, le cléricalisme, le capitalisme ; être fasciste ce n’est plus la description d’un fait c’est une insulte. Le fascisme serait le mal à l’état brut, plus encore dans sa version allemande. Et bien entendu, les Alliés ont lutté contre le fascisme, non contre d’autres nations ennemies. Tous ignorent, ou veulent bien ignorer, que la Pologne fasciste fut attaquée par l’Allemagne nationale-socialiste, que la Grèce fasciste fut envahie par l’Italie fasciste, ou que l’URSS était alliée de l’Allemagne jusqu’en 1941 sans que cela gêne le moins du monde Staline.
Le problème se renforce du fait qu’un certain nombre de gens de droite s’y reconnurent, en fonction de valeurs, comme l’ordre et l’honneur, qu’ils s’attribuaient. Mais ce n’est pas parce que des hommes de droite, comme Jose-Antonio Primo de Rivera, Léon Degrelle et quelques autres, se dirent fascistes, que le fascisme lui-même est de droite.
Et en premier lieu, il convient donc de définir ce qu’est le fascisme. Il s’agit avant tout de ce que l’on pourrait appeler globalement le socialisme national, la fusion dans une optique révolutionnaire du socialisme non marxiste et du nationalisme ethnique. Comme l’analyse Marc Crapez dans « La gauche réactionnaire. Mythes de la race et de la plèbe », les idées du fascisme et du national-socialisme au XXème siècle sont déjà contenues dans les œuvres de la plupart des penseurs socialistes français du XIXème siècle, comme Regnard, Malon, Fourier, Blanqui et Proudhon. Proudhon, penseur socialiste, fera preuve d’un antisémitisme fanatique, au point de prôner l’extermination des Juifs. Et Blanqui mêlera son antisémitisme d’un profond antichristianisme. Nul besoin d’écouter les discours de Mussolini et plus encore d’Hitler pour comprendre qu’ils n’ont rien inventé. Et même Jaurès n’est pas exempt d’antisémitisme puisque pour lui tout homme de droite était « un juif ». Certains penseurs socialistes n’hésiteront pas au début du XXème siècle à suivre cette démarche, en s’inspirant en plus de l’œuvre de Nietzsche. Tel est le cas de Georges Sorel, qui soutiendra l’action de Mussolini en Italie et se rapprochera de certains courants fascisants de l’Action Française. Jean Allemane, fondateur du Parti Ouvrier Français, rejoindra ouvertement l’AF. Et George Valois, syndicaliste de gauche, passera également par l’AF avant de fonder le premier parti fasciste français, le Faisceau. Après l’échec de ce parti, il retournera à gauche et finira déporté par les Allemands.
Certains ne voient aucune filiation entre l’engagement de Mussolini au Parti Socialiste Italien et la fondation du fascisme. Il est pourtant clair que la plupart des leaders et des penseurs fascistes viennent de la gauche. Pour eux le fascisme n’est pas une orientation droitière, mais l’aboutissement de la gauche non marxiste. L’anglais Oswald Mosley vient du Labour Party, le parti travailliste de l’actuel Blair. Hitler lui-même semble avoir été membre, bien que brièvement, du SPD, la social-démocratie allemande dont Schroeder est le dernier rejeton. Ce sera aussi le cas du fasciste grec, Georgios Mercouris, oncle de Melina Mercouri, ou encore du penseur fasciste Ledesma Ramos, issu du socialisme espagnol. Le fasciste polonais Boleslaw Piasecki rejoindra le syndicalisme après la guerre. Le norvégien Vidkun Quisling, fondateur du parti fasciste Nasjonal Samling, était lui aussi un homme de gauche et s’était enthousiasmé pour le bolchevisme avant de déchanter.
Il ne faut pas oublier que les régimes d’extrême-droite comme celui de Franco en Espagne ou de Salazar au Portugal, ont combattu férocement les fascistes. Le fasciste portugais Rolao Preto vit son parti interdit et dut se résigner à une hostilité discrète à l’égard du régime. Le phalangiste Manuel Hedilla, successeur de Primo de Rivera, sera condamné à mort par Franco avant d’être finalement exilé. Les Blue Shirts (Chemises Bleues) irlandaises du général Eoin O’ Duffy seront interdites par le gouvernement nationaliste modéré de De Valera. En Finlande, le mouvement fasciste Lapua sera la seule force d’opposition au régime de droite. Les Ustashi croates d’Ante Pavelic comme les fascistes serbes de Dimitrije Ljotic, combattront la monarchie yougoslave. La Garde de Fer fut violemment attaqué par le régime roumain de droite et son leader, Corneliu Codreanu assassiné par ce même régime. Et que dire du traitement infligé aux Croix Fléchées de Ferenc Szalasi par l’amiral Horthy, instaurateur d’une Hongrie réactionnaire.
Quant aux fascistes français, quel plus bel exemple que les trois principaux leaders de ce fascisme à la française. Jacques Doriot, le fondateur du Parti Populaire Français, est issu du parti communiste. Marcel Déat, celui du Rassemblement National Populaire qui succéda au Parti Socialiste Français – Union Jean Jaurès, tout un symbole, provient de la SFIO de Blum. Léon Blum lui-même, malgré son origine israélite, n’est pas l’antifasciste que l’on croit. En 1932 il admirait le national-socialisme d’Hitler et disait de ce dernier qu’ils constituait une force jeune et neuve pour l’Europe. Gaston Bergery, fondateur du Frontisme, anticommuniste et anticapitaliste, vient du Parti Radical.
Alors, le fascisme est-il de droite ?
Le nationalisme ethnique dont se réclament les fascistes est né chez certains penseurs des Lumières, comme Voltaire par exemple. Le paganisme valorisé par certains fascistes italiens et de plus nombreux nationaux-socialistes allemands, se retrouve chez ces mêmes philosophes mais aussi chez les socialistes français du XIXème siècle, bien avant que Nietzsche n’y joue quelque influence. Le socialisme évoqué par les fascistes n’est pas une méthode pour détourner le vote des travailleurs de la gauche mais un élément de leur idéologie.
Les fascistes parlaient de révolution, de socialisme, d’un nationalisme ethnique issu de la révolution française, faisaient preuve d’un anticléricalisme dont 1789 et la gauche française n’étaient guère éloignés, et avaient déjà une conception écologique en la société. L’antisémitisme et l’aryanisme d’un Hitler n’est pas né à droite ; ils étaient partagés par la quasi-totalité des hommes de gauche au XIXème siècle, par Karl Marx, fondateur du socialisme scientifique (marxisme), et par Bakounine, père de l’anarchisme, par exemple.
Bernard-Henri Lévy, dans son « Idéologie Française » en rend bien compte lorsqu’il parle de la facette religieuse du socialisme du XIXème siècle :
« Facette religieuse, ou plus exactement antireligieuse, fanatiquement athée, avec cette idée neuve que le juif est moins odieux, comme on le pensait jusqu’ici, pour avoir tué le Christ, que pour l’avoir inventé au contraire et être à l’origine de cette lèpre moderne qu’est le christianisme. »
Et ce qui en dit long :
« La France, la patrie des droits de l’homme, est, en un sens, la propre patrie du national-socialisme en général. »
Ce qu’il ne dit pas c’est que le fascisme dérive en droites lignes de 1789.
Voilà le plus grand secret politique du XXème siècle dévoilé. Le fascisme est, tout simplement, de gauche. Il est l’héritier de la Révolution Française. Hitler se disait « républicain » et Mussolini, à la fin de son régime, a établi, à Salo, la république italienne de 1943 à 1945. De Voltaire à Hitler.
Tom Stahler
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