Oui, je ne suis pas assez calé en psychologie des sociétés (en psychohistoire seldonienne ?
) pour confirmer ou infirmer les points de vue ci-dessus. Néanmoins, que la société allemande de 1918-1919 soit complètement différente de la française me paraît difficilement pouvoir être remis en cause.
Cela tient à la manière dont se sont constituées la Prusse d'abord ("Ce n'est pas un Etat qui possède une armée, c'est une armée qui a conquis la nation" selon le mot célèbre de Mirabeau), le Reich ensuite ("par le fer et le sang" selon la formule de Bismarck), à un "Aufklärung" germanique très différent des Lumières françaises (d'inspiration bien plus romantique), à "l'esprit du protestantisme" cher à Max Weber, à la certitude que l'Allemagne, loin d'être un pays barbare comme on le présente habituellement dans la propagande française d'alors, constituait le pays le plus avancé (notamment en matière scientifique et industrielle).
Dans le cas qui nous intéresse, cela a donné une société très hiérarchisée au sommet de laquelle trône l'empereur-roi (empereur allemand, roi de Prusse), appuyé sur son aristocratie militaire choyée par les honneurs et honorée par les responsabilités. La remise en question très brutale de cet ordre et son remplacement par une république bourgeoise d'inspiration social-démocrate où la place de l'armée est nettement dévaluée, dans un contexte de défaite militaire sans appel, d'humiliation nationale et de tensions politiques très vives ne pouvait qu'entraîner les tenants de l'"ancien régime" à se mobiliser pour, à défaut de pouvoir rétablir immédiatement l'ordre ancien, du moins en sauver le maximum - et notamment leur place privilégiée dans la société.
Je distinguerais cependant ces officiers pro-monarchistes qui initient le mouvement des Freikorps et les "Baltikumer" : les premiers ont beau souhaiter un retour à l'ancien régime, ils se rallient rationnellement à la république d'Ebert (poussé en cela par Hindenburg et surtout Groener) et espèrent que le changement interviendra lorsque les temps y seront plus favorables ; les seconds ne sont pas monarchistes, ils sont nihilistes, se battent parce que c'est ce qu'ils savent faire de mieux, au nom de l'Allemagne mais ça pourrait être pour une autre cause (d'ailleurs, on retrouve des "Baltikumer" chez les Bolcheviks !), surtout une fois qu'ils ont été abandonnés à leur sort par la république de Weimar à compter de juin 1919.
D'un côté on a ceux qui par inertie favoriseront un nazisme auquel ils ne sauraient adhérer tant leurs valeurs en sont différentes mais qu'ils peuvent accepter parce que cela leur semble une étape vers le rétablissement d'une société proche de l'ancien régime ; de l'autre on aura ceux qui en seront les premiers combattants, les hommes-liges, les porteurs de la révolution nationale-socialiste qui remet en cause les fondements d'un monde.
Véritablement, le nazisme s'est au moins autant fait dans ces quelques Freikorps (mis en avant pour des raisons idéologiques douteuses par Mabire et Venner : la "Eiserne Brigade", plus tard transformée en division, la 2. Marine Brigade "Erhardt", le Freikorps "Oberland", le "eiserne Schar Berthold", etc.) que dans les brasseries munichoises (ce n'est pas pour rien qu'on s'y réfère comme à "l'avant-garde du nazisme" ou aux "hérauts de Hitler").
CNE EMB