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Dans la mémoire collective, le New Deal reste le symbole d’une politique de relance économique – de gauche – réussie. Un mythe, plutôt, pour l’économiste Florin Aftalion. C’est-à-dire plein d’idées fausses.
La première idée fausse, c’est que le New Deal aurait été inspiré par les thèses de Keynes. Premier petit souci, l’économiste britannique ne publia sa « Théorie générale » qu’en 1936 ! […]
Roosevelt, surtout, était plutôt hostile à la dépense publique chère à Keynes. […] Dans cette perspective, à peine arrivé au pouvoir, il avait commencé par baisser de 15 % les salaires des fonctionnaires et les pensions des anciens combattants. […] Pas très keynésien, ni « de gauche » non plus d’ailleurs, sa décision de limiter la production agricole, pour faire remonter les prix, en brûlant les récoltes ou en faisant abattre des dizaines de millions de vaches et de porcs, au moment où la famine sévissait dans le pays.
[…] Certes, Roosevelt releva symboliquement le taux marginal d’imposition sur le revenu à 75 % - aujourd’hui repris symboliquement aussi par François Hollande –, mais surtout il assomma les classes moyennes et populaires avec de la fiscalité indirecte : 1 364 milliards de dollars de recettes en 1935, contre 540 milliards en 1929. Une explosion liée notamment à la fin… de la Prohibition, décidée dès avril 1933, qui permit à l’État de lever des taxes sur les ventes d’alcool.
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Car la seconde idée fausse à propos du New Deal, c’est qu’il aurait sorti l’Amérique de la crise économique. Le New Deal a certes connu des réussites : il a remis d’aplomb le système bancaire américain (plus de bank run après 1933) et il s’est accompagné d’avancées sociales majeures, en jetant les bases d’un État-providence (Welfare State). En revanche, il a été un échec économique, incapable de ramener la prospérité économique et de vaincre le chômage.
Quand le New Deal prend fin, durant l’été 1938, l’économie américaine n’est toujours pas sortie de sa – Grande – Dépression. Sa violente rechute, l’année précédente, a effacé la quasi-totalité des lents progrès accomplis au cours des quatre années précédentes. Résultat, le PNB calculé en prix constants vaut 95 en 1938, 5 points au-dessous de son niveau de 1929. Mais le revers est encore plus net sur le front de l’emploi. Malgré les multiples programmes de travaux publics, qui vont de la construction de barrages à la peinture de fresques dans tous les bureaux de poste du pays, le taux de chômage est encore de 19 % en 1938, contre 3 % en 1929.
« Ce qui sauvera l’économie américaine, c’est la guerre en Europe, résume André Kaspi, auteur d’une biographie de Roosevelt. La machine pendra un nouveau départ dès que les commandes militaires lui parviendront. » En 1941, la croissance atteint 17 % et le chômage descend sous la barre des 10 %. En 1942, 18 % de croissance et 5 % de chômage. (Pierre-Antoine Delhommais, Le Point 2072, 44)
« Sur les grand-routes, les gens erraient comme des fourmis à la recherche de travail, de pain », écrit John Steinbeck dans « Les raisins de la colère ». la Grande Dépression des années 30, c’est d’abord cette image de l’exode de millions d’Américains affamés et dévorant, pour les plus chanceux, d’infectes galettes de maïs trempées dans une sauce au lard. Le krach boursier de 1929 vida le portefeuille des riches, mais surtout l’estomac des pauvres, avec tous les problèmes de carences et de maladies qui en découlent. Bizarrement, il n’existe pas d’estimation officielle du nombre de décès, directs ou indirects, que provoqua cette sous-alimentation. Le chiffrage fait même encore aujourd’hui polémique aux États-Unis. Certains disent zéro mort, d’autres avancent plusieurs millions. De façon fiable, mais très parcellaire, on sait seulement que les hôpitaux new-yorkais enregistrèrent en 1931 20 personnes « mortes de faim » et 110 en 1934.
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On peut se montrer un peu plus pessimiste lorsqu’on sait que les famines, qui ont fait depuis deux siècles, selon les calculs de l’historien Étienne Thévenin, plus de morts que toutes les guerres réunies, sont d’abord le résultat de la folie des dirigeants politiques, et non la conséquence des caprices du ciel, des sécheresses ou des inondations. […] C’est aussi l’Agricultural Adjusment Act (AAA) adopté dans le cadre du New Deal de Roosevelt – dont on nous vante aujourd’hui les mérites – qui provoqua dans les années 30 le désastre alimentaire aux États-Unis. Afin de faire remonter les cours, le AAA subventionna les agriculteurs pour qu’ils ne cultivent plus leurs terres et ordonna la destruction massive des récoltes et du bétail. « On jette les pommes de terre à la rivière et on poste des gardes sur les rives pour interdire aux malheureux de les repêcher, écrit Steinbeck. On saigne les cochons et on les enterre, et la pourriture s’infiltre dans le sol. (Pierre-Antoine Delhommais, Le Point 2143, 16-17)