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Message Publié : 15 Oct 2010 10:20 
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Pas de problème pour dire qu'il y avait avant guerre un anti-sémitisme fort, surtout orchestré par l'extrême droite dans la presse, mais pas d'accord pour en faire une donnée structurante de la politique au regard des données économiques et sociales, le revenu, le chômage, la situation, le logement, les projets des partis,


Je vous rejoins sur ce point, alain, je ne pense pas que l'antisémitisme ait été la priorité des priorités dans la vie politique française de l'entre deux-guerres. Simplement, avec le haro jeté sur les "métèques" et les Francs-maçons, c'était un thème rituel de la droite, classique ET révolutionnaire, étroitement lié à l'antiparlementarisme et à l'antidémocratisme, très présent dans les medias et dans une partie de la population.
On ne pouvait alors guère être de droite sans être un peu ou beaucoup antisémite, au moins accepter les clichés standard sur les Juifs et l'argent par exemple, ce que faisaient un certain nombre de juifs aussi d'ailleurs, tant ces notions étaient largement acceptées (cf Irène Némirovsky).
Et même chez des organisations comme les Croix de Feu, qui échappent en théorie à l'accusation d'antisémitisme, parce que le colonel de La Roque a pris des positions clairement non antisémites, pro-juifs combattants de la PGM etc, de fait beaucoup de ses membres l'étaient.
Structurant non , objectif politique prioritaire non, mais largement présent culturellement dans les profondeurs de la société française oui.
Et surtout, je ne suis pas sûr qu'il était tellement plus structurant dans la société allemande jusqu'à l'apparition de la propagande du NSDAP, qui a probablement donné un caractère plus véritablement politique à l'antisémitisme en Allemagne.
Quand on lit les articles antisémites de journaux français grand public des années 30, comme Gringoire, on est stupéfait de la violence et de la bassesse des attaques antisémites qu'ils contiennent. Des appels au meurtre, des expressions ordurières, de tels textes sont visibles sur le net, et ils sont si immondes que j'hésiterais à les poster sur PH.

La théorie de Bainville est originale, je ne la connaissais pas, merci de l'avoir mentionnée.


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Message Publié : 15 Oct 2010 16:45 
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Puisqu'on parle de l'antisémitisme, ne pourrait on pas proposer que, à niveau d'antisémitisme égal (en posant cela comme acquis, ce qui ne l'est pas), la droite révolutionnaire allemande a utilisé l'antisémitisme de façon plus politique qu'en France?
Je veux dire par là: a davantage intégré cet élément aux programmes politiques et aux actions CONCRETES qu'elle proposait? Est-ce que l'on pourrait dire que l'antisémitisme en France s'est moins incarné en des objectifs politiques précis qu'en Allemagne, qu'il serait resté plus théorique et culturel, plus un discours de défoulement collectif qu'une praxis?
Ce n'est qu'une hypothèse, je ne dis pas que je la fais mienne.
Je crois cependant que l'Action française proposait des mesures antisémites concrètes. Et que, avant Vichy, il y a eu des tentatives de faire passer de telles mesures à la Chambre qui ont recueilli un nombre important mais non majoritaire de voix.

Une partie de la séduction de cette droite révolutionnaire allemande sur les masses et sur la jeunesse ne provient-elle pas de son caractère agissant, voire activiste, du fait qu'elle a su, mieux que la droite traditionnelle allemande et que la droite révolutionnaire française, prolonger des points-clé de son idéologie en des objectifs d'action précis, et même d'action directe?


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Message Publié : 15 Oct 2010 18:15 
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Georges Duby
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Il est impossible comme déjà dit de comparer les deux pays, l' Allemagne très orientée historiquement sur des valeurs de droite, de germanité nationale, d'autorité et qui s'est totalement effondrée, alors que a France cultive des références de gauche, d'égalité et de liberté et qu'elle n'a pas autant touché le fond. Nous n'avons pas eu 6 M de chômeurs mais moins d' 1 M, dans les crises.
Quand on pense qu'il y a en Allemagne de Weimar un parti centriste qui se dit catholique et un autre qui est national-allemand avec 19 et 20 % des voix aux deux législatives de 1924, on se dit qu'il s'agit d'un autre monde.
Malgré les braillards de la droite extrême, son tapage quotidien, la France ne fut jamais vraiment en rupture de république alors qu'il en est autrement en Allemagne et quand aux élections de 1932, 59 % des électeurs votent pour des partis qui veulent renverser la République, c'est déjà la fin de Weimar, avant qu'Hindenburg ne nomme Hitler le 30 janvier 1933.
En fait la fin de Weimar remonte à mars 1930 quand Hindenburg décide qu'il ne nommera plus le Chancelier en tenant compte du Reichtag et qu'il abandonne le parlementarisme. Un moment historique, il nomme Bruning, 1er cabinet présidentiel.
Impensable en France qu'un parti d'extrême droite atteigne 37 % des voix comme en Allemagne en 1932. L'ED française est sans vrai danger, même dans la rue. La gauche est bien plus puissante et elle ne la laissera jamais passer. Le rapport des forces est inversé. Une différence capitale.

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Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 15 Oct 2010 19:20 
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Malgré les braillards de la droite extrême, son tapage quotidien, la France ne fut jamais vraiment en rupture de république


Ce que vous dites n'est pas faux mais vous sous-estimez systématiquement l'importance et le poids polittique de la droite française. Pas en rupture de République, mais est-ce qu'il n'y a pas eu des moments où l'on est passé près, comme le 6 février? Si La Roque, contrairement à pas mal de ses militants, n'avait pas été légaliste, que se serait -il passé? Avec dans la coulisse, et dans ces manifestations, des mouvements très violents et agissants (et largement subventionnés par de puissants hommes d'affaires de droite comme Coty) comme la Cagoule et quelques autres, qui professaient que leur accession au pouvoir se ferait par un coup d'Etat.
C'est facile après coup de dire que rien n'aurait pu sortir de tout cela, il y a des petites choses qui peuvent décider du cours d'événements majeurs (cf l'histoire d'Oskar Hindenburg dans l'accession au pouvoir d'AH).
On tend à juger rétrospectivement que ce qui s'est passé ne pouvait pas se dérouler autrement, que le nazisme devait nécessairement arriver au pouvoir, que la France était protégée par ses traditions démocratiques, etc, contre de telles aventures.
Ce genre d'approche téléologique limite la réflexion historique, elle en appauvrit l'objet d'étude.
Pour revenir à ce qui a contribué à assurer la victoire de la droite révolutionnaire allemande , je ne dirais pas comme ZS que c'est la faiblesse de la droite classique, c'est son manque de modernisme et de dynamisme politique et idéologique: la droite révolutionnaire a su enthousiasmer les masses, en particulier les jeunes, parce qu'elle leur a proposé un changement, un projet de société nouveau, des actions précises dans lesquelles ils pouvaient investir leurs énergies, un style plus énergique, plus "viril", et bien sûr la promesse d' un meilleur avenir et d'une élévation sociale qui leur a permis de "nationaliser les masses", alors que la droite traditionnelle ne proposait comme idéal mobilisateur que le nationalisme, et pour le reste maintien de l'état de choses existant et des élites traditionnelles en place.
Clairement, si l'on votait à droite, l'offre de la droite révolutionnaire était plus attrayante.


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Message Publié : 15 Oct 2010 19:41 
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Jean-Pierre Vernant
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Et surtout, je ne suis pas sûr qu'il était tellement plus structurant dans la société allemande jusqu'à l'apparition de la propagande du NSDAP, qui a probablement donné un caractère plus véritablement politique à l'antisémitisme en Allemagne.


Si on considère la pensée völkisch comme structurante pour la pensée politique de droite en Allemagne, avant même l'apparition de la propagande du NSDAP, alors l'antisémitisme l'est. Car il n'est pas un détail périphérique de l'univers mental völkisch mais bien un fondamental.

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Si La Roque, contrairement à pas mal de ses militants, n'avait pas été légaliste, que se serait -il passé? (...) C'est facile après coup de dire que rien n'aurait pu sortir de tout cela, il y a des petites choses qui peuvent décider du cours d'événements majeurs (cf l'histoire d'Oskar Hindenburg dans l'accession au pouvoir d'AH).


Je connais très mal la politique française entre les deux guerres, mais à la lecture de ceci, j'ai envie de demander : justement, on pourrait dire qu'il est significatif que le chef d'un mouvement susceptible de mettre à mal la république ait été légaliste. Cela n'a pas été rédhibitoire pour ses militants. Cela signifiait peut-être que ceux qui voulaient vraiment abattre la république étaient insuffisamment nombreux pour imposer totalement leurs vues même dans leur propre camp.


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Message Publié : 15 Oct 2010 19:52 
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Georges Duby
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Je connais un peu la France d'entre les deux guerres: la république n'a jamais été vraiment menacée, on jouait à se faire peur. Le 6 février 34 est un mythe, on a amplifié, peu de choses en réalité. La gauche est une force par contre. C'est le contraire en Allemagne, d'autant que l'armée est anti-Weimar à 100 % ou presque. Les grands chefs d'entreprise sont engagés, plus qu'en France.
Ne pas oublier non plus que l' Allemagne a failli être communiste à la fin de la guerre de 14-18. Rien de tel en France.

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Message Publié : 16 Oct 2010 12:25 
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Je connais un peu la France d'entre les deux guerres: la république n'a jamais été vraiment menacée, on jouait à se faire peur. Le 6 février 34 est un mythe, on a amplifié, peu de choses en réalité. La gauche est une force par contre. C'est le contraire en Allemagne, d'autant que l'armée est anti-Weimar à 100 % ou presque. Les grands chefs d'entreprise sont engagés, plus qu'en France.


Tout cela est beaucoup trop schématique, je ne peux y adhérer.
Le 6 février n'est pas un mythe, citez moi des historiens reconnus qui soutiennent cette position.
L'image d'une Allemagne archaique, profondément réactionnaire, restant à distance de la "modernisation" sociale et politique qui affecte le reste de l'Europe est caricaturale.
Je suis d'accord avec le fait que les traditions démocratiques étaient moins bien implantées dans l'Allemagne pré-hitlérienne qu'en France ou en GB, parce que plus récentes. Je suis d'accord que l'on ne peut pas comprendre l'avénement du nazisme sans réaliser l'énormité du traumatisme de la défaite et la peur du communisme crée par les prises de pouvoir et émeutes communistes à Munich et autres lieux.
Cela dit, l'Allemagne n'est pas restée aussi totalement étrangère à la démocratisation et au progrès social que ces clichés le prétendent; la théorie du "Sonderweg", de l'exception allemande en quelque sorte, laisse de côté un certain nombre de réalités historiques qui infirment en partie cette approche.
Le nationalisme en lui même est un fait moderne, l'Etat impérial interventionniste a mis en oeuvre un système de protection sociale très avancé par rapport au reste de l'Europe, il y eut renforcement des pouvoirs du Reichstag, le Centre et les libéraux de gauche devinrent des partis importants intégrés dans l'establishment, le SPD devint réformiste; le consensus, même peu enthousiaste , les coalitions politiques qui ont permis à la République de Weimar de fonctionner n'auraient pas pu exister sans cette normalisation/modernisation politique. Alors oui, l'Allemagne a commencé son évolution démocratique plus tard que les autres nations européennes mais cette évolution était en route jusqu'au moment où la guerre, la défaite et le chaos qui a suivi lui ont porté un coup sévère, qui s'est révélé fatal en fait. Parce que, comme en France après la défaite de 1970 (voir ce qu'en disent Renan et Gobineau), cette défaite de l'Allemagne a été attribuée à la démocratisation et à la relative conversion de l'Allemagne à la modernité libérale et aux valeurs étrangères.
De même, il est schématique, franco-centré et auto-complaisant de voir en la France un pays foncièrement républicain, bénéficiant d'une sorte d'immunité physique contre le fascisme, jamais vraiment menacé par le radicalisme et tenté par des formes de gouvernement autoritaires, de droite comme de gauche--avez vous oublié la Commune pour le radicalisme de gauche, et le boulangisme à droite--et où une prise de pouvoir par des éléments plutôt extrémistes comme ceux qui constituaient l'Action française était absolument impossible.
L'évolution de la droite allemande avant la PGM ne mène pas inévitablement au nazisme, l'évolution de la France avant la PGM et après ne garantissait pas à 100% contre le fascisme.
On répète en France, comme une sorte d'auto-excuse, que le gouvernement de Vichy n'a pu prendre le pouvoir qu'au bénéfice d'une défaite massive et traumatisante, soit. C'est le cas aussi du nazisme en Allemagne, après tout. La différence n'est pas aussi absolue, aussi radicalement binaire que vous le dites. Rien n'était écrit dans le marbre de toute éternité en Allemagne, avant le trauma de la PGM et le verrouillage mis peu à peu en place par Hitler et le NSDAP. De nouveau, le NSDAP aurait il pu se développer comme il l'a fait sans le système électoral à la proportionnelle? Ou que se serait-il passé en France si nous avions eu un tel système électoral? Que se serait-il passé si la droite allemande avait été un peu plus clairvoyante, un peu moins arrogante?
Une citation par l'historien allemand Thomas Nipperdey met en évidence le côté réducteur et historiquement appauvrissant de cette approche simplifiante "inévitabliste".
"L'histoire doit rendre au passé la propriété qui est celle du futur dans le présent, (propriété du passé qui fut aussi le futur à un moment donné), c'est à dire son incertitude inhérente,
même si la recherche historique se doit autant que possible de mettre à jour les éléments de nécessité relative".
Nécessité relative, tout est dit. Il y a peu d'événements dans l'histoire qui procèdent d'une nécessité absolue, la période qui nous occupe ne fait pas exception.


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Message Publié : 16 Oct 2010 21:25 
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Georges Duby
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Je maintiens que le 6 février 34 est maintenant relativisé et qu'il n'y a pas eu un réel danger de prise du pouvoir par la droite. Il n'est le fait que de militants de mouvements d'extême droite donc d'une faible fraction de la droite. La République n'est pas en danger, la garde à cheval tire sur les émeutiers quand ils veulent atteindre le Palais Bourbon.
Jacques Marseille dans sa nouvelle Histoire de France parle d' " une erreur d'interprétation d'historiens pressés qui ont confondu quelques bérêts basques avec des chemises brunes et le colonel de la Roque avec Mussolini. C'est en fait confondre anti-parlementarisme et volonté de coup d' Etat."
C'est tout-à-fait celà, citez moi Tonr l'équivalent des putsch allemands, entre les deux guerres. Les ligues font du tintamare tous les jours dans Paris, la presse se déchaine mais pour quel résultat. le résultat est connu: c'est le Front Populaire préparé dès 1934, confirmé en 35 et dirigé par Léon Blum avec l'appui du PC, grand vainqueur des élections de 1936 ainsi que le PS qui devient le 1er parti de France devant les radicaux pour la 1ère fois.
Quand au général Boulanger, populaire, démagogue, élu 3 fois en 1888, puis élu à Paris en janvier 1989, 30 ans avant Weimar, la République n'en fera qu'une bouchée. En 1889, la ligue des patriotes est dissoute, le scrutin de liste qui a permis l'élection du général est supprimé, les candidatures multiples sont interdites.
Résultat: les boulangistes n'obtiennent que 42 sièges aux législatives de l'automne 89.
Boulanger qui a dit qu'il ne ferait pas de coup d' Etat, se suicide en 1891 sur la tombe de sa maitressse en Belgique.
Par contre la Commune est une vraie révolution de lendemain de défaite et de fin d'empire, faite par la gauche contre une République proclamée le 4 septembre 1970. Une république qui se défendra.

Ce qui parle, c'est la situation politique des deux pays en 1918:
- En Allemagne: le socialiste Ebert remplace Max de Bade au gouvernement. 9 nov. 1918, la révolution communiste éclate à Berlin. 1920: coup de force de Kapp. 1923: une armée clandestine de 20.000 hommes tente de renverser la république et par ailleurs à Munich tentative d' Hitler.
- En France, Clémenceau tient le pays, la droite gagne largement les élections de 1919 au nom du bloc national, puis alternance droite gauche jusqu'à la victoire de Blum: gauche en 24, droite en 28, gauche en 32 et gauche à nouveau en 36. Aucun coup d' Etat, seulement des manifestations.

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Message Publié : 19 Oct 2010 12:25 
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Vous êtes le tenant d'une thèse historique ancienne, largement admise et même indiscutée par la quasi-totalité des historiens français à une époque, mais maintenant très contestée. Cette thèse, nommée "thèse immunitaire" pose que quelque chose de spécial, une exceptionnalité dans la société et la culture française, l'a protégée contre le fascisme, la France étant supposée avoir été "allergique", "immunisée contre" , "imperméable" au fascisme. Vu ces caractères spécifiques à la France, cette thèse pose en fait qu'il est impossible que le fascisme ait jamais pu triompher dans ce pays.
Cette thèse est remise en cause depuis quelque temps; elle est critiquée dans le livre réunissant les travaux de plusieurs historiens publié sous la direction de Michel Dobry: "Le mythe de l'allergie française au fascisme", dont je vous recommande la lecture, de même que celle de Sternhell.
Les arguments principaux de cette thèse immunitariste sont:
- les groupes de la droite radicale n'ont jamais été importants dans ce pays numériquement, que ce n'était que des "groupuscules", des "chapelles", n'ayant que des programmes "flous" et des chefs inefficaces ou irrésolus, qu'ils étaient marginaux à la société française de toute façon, jamais vraiment intégrés à la société française.
- le fascisme était un corps étranger, une idéologie d'origine italo-allemande, un produit d'importation venu d'ailleurs, qui n'a jamais pu s'implanter vraiment en France, car il y avait dans la culture française un je ne sais quoi qui la rendait radicalement récalcitrante au fascisme
- les dirigeants des nombreuses ligues de la droite radicale ont souvent répété leur refus de se dire fascistes, comme le colonel de La Roque par exemple. Déclarations que les immunitaristes affirment qu'on doit prendre à la lettre. Ces leaders ont souvent affirmé être des démocrates: on doit aussi les croire sur parole.
- l'importance numérique du PPF empêchant de le qualifier de groupuscule, ces historiens contrent cet argument en soulignant que le parti de Doriot ne peut pas être considéré comme "authentiquement fasciste" car il était différent du parti fasciste de Mussolini et du parti nazi sur tel ou tel point. Ils font donc des fascismes italiens et allemands le mètre étalon avec lequel ils jugent les partis de la droite radicale française. Toute différence, tout écart avec les fascismes italien et allemand leur permet de poser tout mouvement de la droite radicale française comme pas authentiquement fasciste.
- le 6 février 34 n'a pas eu lieu, ça n'a été qu'une petite manif sans importance, un incident de l'histoire, une explosion de colère sortie de nulle part qui n'a mené nulle part, ayant piteusement échoué; d'ailleurs, il n'y avait pas complot préalable.
Thèse soutenue avec obstination, avec "hargne" même dit le livre, par toute une partie de l'establishment historique des années 50/70, à la tête duquel se trouve René Rémond, qui l'a introduite dans son ouvrage "La Droite en France".
Et thèse qui correspond avec un moment particulier de l'histoire difficile de la relation de la société française avec son passé vychissois: celui où l'on a voulu tourner définitivement la page de Vichy et libérer le pays d'un certain sentiment de malaise et de culpabilité par rapport à cet épisode encombrant.
Cette version, dit Dobry, est devenue "une sorte d'histoire officielle, reprise sans aucune réflexion critique ou évaluation dans les medias comme dans les manuels scolaires."
A partir du moment où ce débat a pu s'ouvrir malgré les résistances, "la thèse immunitaire s'est trouvée sérieusement ébranlée par des travaux qui ont pu montrer le manque de consistance de plusieurs de ses thèses centrales".
Car il y a eu des résistances: résistances trahissant une crispation, une passion telles qu' "on avait là des indices sûrs que le débat touchait à des points sensibles sur un plan qui n'était pas uniquement méthodologique".
Résistances d'autant plus fortes que c'est un historien étranger, ZS, qui a "secoué le cocotier" sur cette question, renouvellant ainsi une situation du type Paxton, dans laquelle c'est un historien étranger qui force la société française à abandonner -ou au moins à questionner--une certaine image favorable d'elle même et de son histoire.


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Message Publié : 19 Oct 2010 14:35 
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Tonr a écrit :
Cette thèse, nommée "thèse immunitaire" pose que quelque chose de spécial, une exceptionnalité dans la société et la culture française, l'a protégée contre le fascisme, la France étant supposée avoir été "allergique", "immunisée contre" , "imperméable" au fascisme. Vu ces caractères spécifiques à la France, cette thèse pose en fait qu'il est impossible que le fascisme ait jamais pu triompher dans ce pays.
Je n'ai jamais rien lu de ce genre, et certainement pas chez René Rémond la cible de M Dobry. Ce dernier caricature les historiens et construit artificiellement une école de "l'immunité au fascisme" qui n' a jamais existé.
On peut par le bons sens faire remarquer plus simplement que la République en France probablement en raison de ses difficultés à s'établir, de son histoire, était forte malgré les apparences et qu'elle a tromphé facilement de ses opposants de l'extrême droite, qui n'avaient jamais pu acquérir une crédibilité suffisante pour prendre le pouvoir.
Les faits sont là, il n'y a jamais eu de tentative préparée de prise du pouvoir par la droite extrême, qui ait de la consistance. Pas de leader charismatique comme dans le fascisme, pas de vrai doctrine, pas d'assise durable.
L'extrême droite française avant guerre est un ensemble non coordonné de mouvements épars faisant de l'agit propre à la manière de l'extrême gauche d'après guerre.
La guerre et la défaite ont ensuite créé un contexte de désarroi qui a parmis le pétainisme, mouvement dit de la Révolution Nationale, qui s'est avéré proche d'un fascisme français avec un chef, une doctrine anti-parlementaire, un corporatisme, un racisme, avec une police et une propagande.

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Message Publié : 19 Oct 2010 15:31 
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Citer :
Je n'ai jamais rien lu de ce genre, et certainement pas chez René Rémond la cible de M Dobry. Ce dernier caricature les historiens et construit artificiellement une école de "l'immunité au fascisme" qui n' a jamais existé.


le livre de Rémond qui développe cette thèse immunitariste est "La Droite en France".


Dernière édition par Tonr le 19 Oct 2010 15:37, édité 1 fois.

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Message Publié : 19 Oct 2010 15:36 
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Citer :
Je n'ai jamais rien lu de ce genre, et certainement pas chez René Rémond la cible de M Dobry. Ce dernier caricature les historiens et construit artificiellement une école de "l'immunité au fascisme" qui n' a jamais existé.


C'est vous qui le dites, alain, et cette affirmation n'engage que vous.
Des dizaines d'historiens, à commencer la dizaine dont les contributions figurent dans ce livre, pensent le contraire. Ce sont des professeurs d'histoire dans diverses universités françaises et étrangères, Docteurs en sciences politiques, agrégés d'histoire, directeurs de recherches au CNRS.
Sans vouloir asséner l'argument d'autorité comme devant régler le débat, et sans vouloir vous offenser, entre l'opinion d'un simple amateur d'histoire, comme nous le sommes vous et moi, et celle de ces historiens, j'incline à penser que leurs analyses valent au moins la peine d'être prises en considération en face de votre affirmation catégorique :mrgreen: .
Qui plus est dans votre cas, de simples amateurs qui n'ont apparemment pas lu les ouvrages relativement récents critiquant cette thèse immunitariste, lecture qui permettrait de se former une opinion équilibrée et informée: avant de décider pour un côté ou pour un autre dans une controverse, il faut avoir pris connaissance des éléments pour ET contre, à charge et à décharge, dirait-on dans un contexte judiciaire.
J'ai souvent observé sur ce forum que les différences d'opinion sur tel ou tel point historique se réduisaient fréquemment à des différences de lectures.
Différence dans les niveaux de lecture: une personne qui a lu 10 livres sur le nazisme aura sur maints aspects de cette question des vues nécessairement moins approfondies qu'une qui en a lu 500 (je n'en suis pas tout à fait là :P ).
Ou une personne qui a fait des lectures historiques qui sont maintenant datées, voire périmées: même si l'on a fait des lectures extensives sur un problème particulier, 30 ans plus tard, les thèses acceptées sur cette question ont changé, de nouvelles sources sont venues à jour, etc.
Ou a fait des lectures orientées, ignorant systématiquement tous les auteurs qui proposent une analyse en contradiction avec celle qu'elle a faite sienne, pour des raisons de préférence politique par exemple.
Je trouve donc assez vain, dans le style exercice d'incommunicabilité/dialogue de sourds, de discuter avec des interlocuteurs, certes cultivés et éclairés dans votre cas, qui n'ont pas lu des ouvrages récents et/ou couvrant largement l'éventail des points de vue sur la question débattue. Aussi vain en fait que de discuter d'un film avec quelqu'un qui ne l'a pas vu.
Le débat s'effectuerait sur des bases moins inconsistantes si vous lisiez au moins les bouquins de ZS cités sur la question, livres méritant d'être lus pour leur qualité d'analyse, même si on n'adopte pas les points de vue de ZS après lecture. Celui sous la direction de Dobry que j'ai donné ci-dessus est excellent aussi.
Quitte à en donner un compte-rendu critique après :mrgreen: .


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Message Publié : 19 Oct 2010 15:51 
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Jean-Pierre Vernant
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Personnellement, je préfèrerais lire vos développements sur la question. Quels sont les mouvements d'ED de type fascisant qui ont vraiment eu du poids ? Lequel ou lesquels, et quand, aurait été en mesure d'amalgamer les mouvements et les idées éparses, les coudre ensemble et en tirer un programme de prise du pouvoir au profit d'un régime non parlementaire ? Et bien entendu, pourquoi n'en a-t-il rien été ?

Lorsque vous faites le portrait de cette école "immunitariste", je le trouve un peu caricaturé. Ce serait une chose de dire que le sentiment républicain et l'attachement à la démocratie en France étaient forts et ont joué un rôle de bouclier contre les tentatives fascisantes - que trop de Français n'étaient pas prêts à franchir le pas de liquider la démocratie parlementaire - c'en est une autre de dire que la France était complètement immunisée contre ces vilaines idées et qu'il était inévitable qu'elle leur soit ce qu'a été au loup la maison de briques du 3e petit cochon.

Pour ma part, ne connaissant pas grand-chose au sujet, je constate simplement que dans les faits, il a fallu la défaite pour que la république tombe, et qu'il est probable qu'il y a des raisons à cela. C'est tout ce que j'en sais, et comme je n'ai tout simplement pas les moyens d'acheter suffisamment de livres récents pour me faire une idée, je suis prêt à lire la synthèse que vous pourriez faire sur le sujet, comme dit au début de mon message.

Ce sont de vraies questions, il n'y a aucune ironie dans mon message. Je souhaiterais juste connaître ces thèses actuelles plutôt que de lire un portrait au vitriol de celles d'il y a 50 ans. :wink:


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Message Publié : 19 Oct 2010 18:02 
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Georges Duby
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Tonr a écrit :
Des dizaines d'historiens, à commencer la dizaine dont les contributions figurent dans ce livre, pensent le contraire. Ce sont des professeurs d'histoire dans diverses universités françaises et étrangères, Docteurs en sciences politiques, agrégés d'histoire, directeurs de recherches au CNRS.
Sans vouloir asséner l'argument d'autorité comme devant régler le débat, et sans vouloir vous offenser, entre l'opinion d'un simple amateur d'histoire, comme nous le sommes vous et moi, et celle de ces historiens, j'incline à penser que leurs analyses valent au moins la peine d'être prises en considération en face de votre affirmation catégorique.
René Rémond a été mon professeur et j'ai lu récemment sur la période.
J'ai lu par exemple, dans la collection "la France contemporaine" de JF Sirinelli, le volume "les années 30" d' Olivier Dard agrégé et docteur en histoire, qui écrit, en 1999, sur le 6 février 34: " les lectures immédiates de l'évènement y ont vu , à gauche, une tentative de complot fasciste. Cette analyse ne résiste pas à l'examen et Serge Berstein l'avait démontée il y a plus de 20 ans."
L'auteur se réfère à l'ouvrage " le 6 février 1934" de Berstein, historien, directeur du cycle supérieur d'histoire du 20è siècle à l' IEP de Paris.
J'ai lu aussi Sternhell et l'ai trouvé confus.
Par ailleurs on lit sur le net une critique d'Antoine Prost du livre de Sternhell, il précise aussi que tous les auteurs d'articles dont Paxton , ne partagent pas la thèse de Sternhell.

Enfin, sur le net on lit: " Des historiens comme Michel Winock, Jacques Julliard, John Stanley, Francesco Germinario, Shlomo Sand, Philippe Burrin, Emilio Gentile, ou encore Pierre Milza, ont contesté l'approche de Zeev Sternhell sur le fascisme français. Pierre Milza, par exemple, tout en reconnaissant qu'« il y a eu sans aucun doute un fascisme français, qui n'a pas toujours pris la forme de ses homologues italien et allemand mais qui a occupé, dans l'espace politique et culturel de l'hexagone, une place plus grande que ne voulaient bien lui concéder jusqu'à une date récente les plus éminents spécialistes du XXe siècle français », critique Sternhell qui selon lui « voit du "fascisme" partout où il y a critique virulente de la république parlementaire, version IIIe finissante [...], un pas que l'examen attentif des faits interdit de franchir. »
Zeev Sternhell est un historien israélien qui a résidé en France et est connu pour ses analyses contestées du fascisme en europe.

_________________
Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 19 Oct 2010 18:14 
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Personnellement, je préfèrerais lire vos développements sur la question.


Je n'ai hélas pas le temps ni l'énergie ni le désir de faire un exposé détaillé sur toutes les analyses de ces historiens sur les points que vous soulevez; c'est un vrai travail de pédagogue que vous me demandez là :mrgreen: et après tout, ces analyses sont trouvables dans des livres, et même dans des articles wiki.

De plus, ça n'est pas nécessairement une bonne idée de se baser uniquement ou même largement sur ce qu'une personne, moi en l'occurence, a retenu d'un livre, ce qu'elle en a compris et retenu ne coincide pas nécessairement avec le contenu réel du livre.
Si vous lisiez les livres que j'ai mentionnés, il est possible que le compte rendu que vous en feriez diffère significativement du mien.
Les livres de Sternhell existent en livres de poche, c'est une lecture de référence sur la question de l'idéologie fasciste. On ne peut que recommander cette intéressante lecture à tout amateur d'histoire intéressé par cette question.
Cependant, comme l'ouvrage collectif cité plus haut est moins connu, je vais essayer d'en donner une idée plus détaillée, ceci en fonction de mon temps libre: vous concevez que c'est une chose d'intervenir au fil de la plume (de la souris) sur PH, c'en est une autre de devoir rechercher des livres, d'y retrouver les concepts importants relativement à la question abordée, et d'en présenter un résumé aussi exact que possible. Donc, ok, si vous n'êtes pas trop pressé... B)


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