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Je connais un peu la France d'entre les deux guerres: la république n'a jamais été vraiment menacée, on jouait à se faire peur. Le 6 février 34 est un mythe, on a amplifié, peu de choses en réalité. La gauche est une force par contre. C'est le contraire en Allemagne, d'autant que l'armée est anti-Weimar à 100 % ou presque. Les grands chefs d'entreprise sont engagés, plus qu'en France.
Tout cela est beaucoup trop schématique, je ne peux y adhérer.
Le 6 février n'est pas un mythe, citez moi des historiens reconnus qui soutiennent cette position.
L'image d'une Allemagne archaique, profondément réactionnaire, restant à distance de la "modernisation" sociale et politique qui affecte le reste de l'Europe est caricaturale.
Je suis d'accord avec le fait que les traditions démocratiques étaient moins bien implantées dans l'Allemagne pré-hitlérienne qu'en France ou en GB, parce que plus récentes. Je suis d'accord que l'on ne peut pas comprendre l'avénement du nazisme sans réaliser l'énormité du traumatisme de la défaite et la peur du communisme crée par les prises de pouvoir et émeutes communistes à Munich et autres lieux.
Cela dit, l'Allemagne n'est pas restée aussi totalement étrangère à la démocratisation et au progrès social que ces clichés le prétendent; la théorie du "Sonderweg", de l'exception allemande en quelque sorte, laisse de côté un certain nombre de réalités historiques qui infirment en partie cette approche.
Le nationalisme en lui même est un fait moderne, l'Etat impérial interventionniste a mis en oeuvre un système de protection sociale très avancé par rapport au reste de l'Europe, il y eut renforcement des pouvoirs du Reichstag, le Centre et les libéraux de gauche devinrent des partis importants intégrés dans l'establishment, le SPD devint réformiste; le consensus, même peu enthousiaste , les coalitions politiques qui ont permis à la République de Weimar de fonctionner n'auraient pas pu exister sans cette normalisation/modernisation politique. Alors oui, l'Allemagne a commencé son évolution démocratique plus tard que les autres nations européennes mais cette évolution était en route jusqu'au moment où la guerre, la défaite et le chaos qui a suivi lui ont porté un coup sévère, qui s'est révélé fatal en fait. Parce que, comme en France après la défaite de 1970 (voir ce qu'en disent Renan et Gobineau), cette défaite de l'Allemagne a été attribuée à la démocratisation et à la relative conversion de l'Allemagne à la modernité libérale et aux valeurs étrangères.
De même, il est schématique, franco-centré et auto-complaisant de voir en la France un pays foncièrement républicain, bénéficiant d'une sorte d'immunité physique contre le fascisme, jamais vraiment menacé par le radicalisme et tenté par des formes de gouvernement autoritaires, de droite comme de gauche--avez vous oublié la Commune pour le radicalisme de gauche, et le boulangisme à droite--et où une prise de pouvoir par des éléments plutôt extrémistes comme ceux qui constituaient l'Action française était absolument impossible.
L'évolution de la droite allemande avant la PGM ne mène pas inévitablement au nazisme, l'évolution de la France avant la PGM et après ne garantissait pas à 100% contre le fascisme.
On répète en France, comme une sorte d'auto-excuse, que le gouvernement de Vichy n'a pu prendre le pouvoir qu'au bénéfice d'une défaite massive et traumatisante, soit. C'est le cas aussi du nazisme en Allemagne, après tout. La différence n'est pas aussi absolue, aussi radicalement binaire que vous le dites. Rien n'était écrit dans le marbre de toute éternité en Allemagne, avant le trauma de la PGM et le verrouillage mis peu à peu en place par Hitler et le NSDAP. De nouveau, le NSDAP aurait il pu se développer comme il l'a fait sans le système électoral à la proportionnelle? Ou que se serait-il passé en France si nous avions eu un tel système électoral? Que se serait-il passé si la droite allemande avait été un peu plus clairvoyante, un peu moins arrogante?
Une citation par l'historien allemand Thomas Nipperdey met en évidence le côté réducteur et historiquement appauvrissant de cette approche simplifiante "inévitabliste".
"L'histoire doit rendre au passé la propriété qui est celle du futur dans le présent, (propriété du passé qui fut aussi le futur à un moment donné), c'est à dire son incertitude inhérente,
même si la recherche historique se doit autant que possible de mettre à jour les éléments de nécessité
relative".
Nécessité relative, tout est dit. Il y a peu d'événements dans l'histoire qui procèdent d'une nécessité absolue, la période qui nous occupe ne fait pas exception.