Tonnerre a écrit :
En 34, il prête serment de fidélité à AH (et appuie la substitution du serment de fidélité personnelle à AH au serment de fidélité au Reich pour toute la Marine)
Là est le problème que j'avais soulevé. J'ai lu la bio anglaise tout comme vous et ai donc une idée de l'homme.
Il reste dans la continuité de sa morale rigoriste et "
prêter serment" revêt pour lui -j'imagine- pas simplement quelque chose de théâtral et un brin fanatique dans le "
jusqu'à la mort". Il est de la vieille école et c'est aussi peut être pour ceci qu'il ne s'engage qu'en 34. J'imagine qu'il a réfléchi, pesé ce qui lui semblait le "
pour" et le "
contre". Il a dépassé le temps des illusions, a essuyé le revers de la WW1, est très certainement contre le genre d'autorité brutale à l'image des SA.
Son serment est une caution pour AH, une passerelle -qui à ce moment n'est pas à négliger- entre l'ancien ordre et celui qui va l'éclipse alors se fendre d'une médaille : c'est un peu "
la légion d'honneur du pauvre" avant de se l'attacher. Je fais court car chacun des personnages mériterait un "
lien" ou un "
sujet" ne serait-ce que pour la bonne entente de surface avec Dönitz.
Citer :
il accueille avec enthousiasme l'arrivée de AH au pouvoir, par détestation envers la République de Weimar et de la démocratie,
Comme vous l'écrivez, ce n'est pas l'homme qui l'enthousiasme mais la stagne de Weimar qu'il ne supporte plus et pourtant on ne sent aucun désir, aucun discours "
d'une aigreur revancharde". On est loin des pensées et des diatribes courantes à ce moment. Il semble un peu "
en marge".
Citer :
Comme membre du Cabinet, il participe à presque toutes les réunions où AH expose ses plans d'invasion et contribuera personnellement à certains de ces plans, comme le plan d'invasion de la Pologne.
Il ne semble pas un "
nazi" convaincu mais prend le train qui sert ses vues qu'il classe comme "
patriotiques". Il n'est pas dans l'analyse et la démocratie n'est pas un vain mot pour lui. L'Allemagne a fait un choix, ce choix l'agrée. Faut-il voir dans l'ambiguité du personnage un rapport avec la récurrence du profil où l'on exprime ses convictions luthériennes rigoristes ? Raeder est un homme de convictions et au final assez monolithique. A-t-il cru un moment que AH pourrait être influençable ? Qu'il pourrait -tout comme au début- "
imposer" ses vues ou constater avec une joie certaine que ses vues étaient appréciées, encouragées ? A-t-il péché par excès de vanité et d'arrogance que l'on retrouve à ce moment dans une Allemagne, dans un peuple allemand chamboulé à plus d'un titre et dans ce qui fait sa force depuis déjà un bon bout de temps, l'émergence d'un nationalisme bâti sur un socle biaisé mais accompagné de victoires récurrentes depuis Guillaume Ier.
C'est un peuple qui ne sait plus négocier, qui prend (on le voit avec le Schleswig-Holstein) qui s'allie (à l'Autriche) et rompt aussi vite ses alliances. On entre dans une spirale délirante où l'on oublie que la défaite peut exister. On prend exemple sur Napoléon Ier en "
accommodant" la sauce : il a toujours gagné (là on apprécie l'homme "sauveur" et l'autorité inhérente) et lorsqu'arrive la chute, on n'hésite pas à soudain mettre la Prusse en avant. Il faut écouter les discours d'Hitler, les amalgames : Prusse, Allemagne etc. et ça fonctionne !
Normal, on ressort gagnant.
Il est toujours dans son schéma de l'armée incontournable, vénérable establishment que l'on ne peut shunter d'un revers de main ? N'est-ce pas avec cette même armée, ces mêmes codes et transgressions tellement récurrentes qu'elles sont devenues une sorte de label de victoire que l'on a édifié le Ier Reich ?
Citer :
Sa première divergence avec Hitler est à propos de Barbarossa
Pour lui, c'est la première divergence mais peut-on appeler ceci une divergence ? Pour "
diverger", il faut être deux et AH n'a que faire des opinions d'un Raeder dont on ne peut plus rien tirer d'innovant. Il a apporté une sorte de caution et présenté la marine au nouvel ordre sur un plateau d'argent. Il a eu quelques bonnes idées, il fait partie des meubles et puis c'est un bon point en représentation. Il vaut mieux se garder certaines cartes dans la manche. C'est le "laquais tel" de la Marine, il en faut...
Il s'est accommodé des codes nazis car ce chemin était porteur d'un renouveau, Raeder tout de même encore près à s'accommoder d'un choix démocratique qui allait le servir : c'est une seconde jeunesse qui serait auréolée de victoires, "
c'est reparti comme au bon vieux temps" et cette fois, il tient à être de ceux qui auront les lauriers. Avec la maturité, la réflexion, il tirait des conclusions et soudain une nouvelle donne est proposée et pas besoin de se salir les mains : ce sont mêmes les leaders qui le font et non des lampistes. La force est dans la foi et la foi est toujours vecteur d'espoir, que reste-t-il à une Allemagne et des cadres militaires désespérés ? L'attente d'un "
sauveur" qui dès les premières victoires de tribun confirmées par des victoires sur le terrain, ceci tient du miracle et la foi en est décuplée : on le voit dans les lettres envoyées.
Raeder semble remercié bien avant 43 mais sans que ceci soit officiel. Place est donnée à ceux qui s'encombrent encore moins d'honorabilité (Dönitz), ceci s'appelle à ce moment du courage, de l'audace.
Citer :
Sa contribution au IIIème Reich dépasse donc de loin le simple domaine militaire, son action s'est aussi exercée dans les domaines politique et stratégique.
C'est évident mais quelque part, c'est "
son job". En rapport au IIIème Reich, j'ai du mal à voir en lui une personne qui a réellement compris le "
kit politique" proposé.
Je dirais plutôt stratégie servant une politique dont il ne mesure pas ou ne veut pas mesurer l'ampleur. A-t-il seulement lu "Mein Kampf" ? Il relativise les dommages et s'aperçoit qu'il est loin d'être le seul dans ce cas. Il se sent moins "mouillé" qu'un Keitel mais là encore, les vieux codes jouent : on le voit à Nüremberg hors le banc des accusés. On suit Göering, la voix de son maître, on peut voir des clans se former, Speer se retrouver isolé et dédaigné : là encore on peut voir les meneurs, ceux qui suivent et ceux qui continuent dans la ligne de transgression et réussiront à enfariner les juges.
Citer :
"* National Socialism, which originates from the spirit of the German fighting soldier, has been chosen by the German people as its ideology. The German people follow the symbols of its regeneration with the same great love and fanatical passion. The German people has had practical experience of National Socialism and it has not been imposed, as so many outside critics believe.
L'analyse de ceci mériterait déjà tout un fil pour la décortication et l'explication. Il semble prendre le NS parce-que c'est cette "
autorité" qui a émergé mais est-il vraiment dans la mouvance ?
Citer :
"This is the reason for the clear and unsparing summons to fight Bolshevism
Là je reconnais mieux le discours "
vieille Allemagne" face au chaos vécu sous les Spartakistes. Pour lui, c'est binaire : tout sauf le bolchevisme. On retrouve ceci chez le nonce apostolique en Allemagne à l'époque Spartakiste. Ce nonce -totalement traumatisé par cette période- sera pape sous le nom de Pie XII...
Citer :
and international Jewry, whose race-destroying activities we have sufficiently experienced on our own people.
Là c'est typique "
régurgité" vieille génération car incapable de souplesse pour surfer sur la vague. Le reste est à l'avenant : régurgitations d'honneur patriotique mis au goût du jour et parsemé des mots du moment. Il revient sur une notion de fraternité d'arme, il existe comme un filet de propagande vraiment basique. Ce genre de discours, on a pu l'entendre en d'autres termes moins virulents, les aboutissants étaient déplacés mais le fond y était et ceci il n'y a guère longtemps encore. Il pointe une communauté au doigt, lui assigne le rôle de bouc émissaire mais n'entre pas dans les délires aryaniques et n'évoque pas les notions de sous-hommes si chères à AH et consorts. C'est l'histoire du vieux complot judéobolchevique dont l'Allemagne n'est pas la seule à se servir. Avec Dreyfus, la France s'est arrêtée au "judéo" mais à ce niveau, c'est repris, amplifié, théorisé, asséné et surtout on ne demande qu'à y croire.
Citer :
Si ce n'est pas le discours d'un nazi, ça y ressemble fortement.
Le mot "
ressembler" est parfaitement employé mais ce discours est tellement banal -vu le contexte- que l'on est loin de l'appréhension de la ligne politique d'AH. Ceci a le goût, l'odeur etc d'un nazi mais je doute fort que Raeder ait jamais compris réellement cet ordre nouveau qui tôt ou tard le mettrait inévitablement sur la touche car il représentait face, par exemple, à un Heydrich tout ce qui était détestable : le parcours sans faute, les choix "petits bourgeois" devant des hommes de pouvoir sortis du rang -stricto sensu- comme RH ou un simple instituteur comme Himmler et tant d'autres du même tonneau. Raeder ferme les yeux pour de multiples raisons, déjà parce-qu'il vaut mieux ne pas être "
contre" et que cet apport d'autorité nouvelle qui se dédouane de certaines notions morales et des vieux schémas de son éducation l'allège d'un carcan. On ne peut parler de fanatisme. Cet homme ne peut être fanatique : les mots n'y sont pas et l'éducation transpire. Je passe la comparaison avec Goebbels qui -évidemment- est difficilement surpassable dans le genre -quoique là encore tout n'est pas d'une pièce- mais il n'est pas non plus comparable à Heydrich ou autres.
Dans ce discours aucune touche personnelle, aucune tournure bien spécifique, le laïus demandé, les lieux communs d'un homme finalement très basique : on est loin de l'acuité intellectuelle d'un Canaris. Raeder se découvre opportuniste et ce que l'Allemagne veut, il le souhaite aussi donc tout va très bien. Maintenant les "
finasseries" de Rosenberg doivent le dépasser et il faut des hommes comme Goebbels pour injecter une touche de fanatisme qu'il est bien incapable de faire passer. Pourquoi ? Parce-que on ne peut convaincre que si l'on est convaincu soi-même : c'est une sorte de communion, d'osmose. Raeder constate simplement l'adhésion de son pays à une ligne politique et s'aligne car ceci va dans son sens.
Je pense que lorsqu'il est limogé, il ne comprend pas même qu'il a "
servi" et qu'il peut être remplaçable et si vite remplacé. Ceci n'est pas même une question de : "
qui est plus nazi que l'autre ?".
Je serais curieuse de savoir à quel moment il s'est rapproché de Stauffenberg ou autres, si même il partageait les opinions d'un Goerdeler... Non c'était soudain un homme amer, là encore dépassé et -à mon avis- si le moindre doute avait été de son accointance dans l'opération Walkyrie, il serait passé à la trappe. Après cette opération, on a ratissé large et on a même profité pour se débarrasser de personnes sur simple suspicion et opéré un nouveau nettoyage là où une sorte de mollesse ou de doute -quant à la durée du IIIème Reich- pour 1000 ans semblait et semblait seulement apparaitre.
Raeder s'est-il même posé la question de ce qu'était vraiment le national socialisme ? A-t-il compris ? A-t-il adhéré en tout et pour tout : je ne le sens pas dans son discours.
Un Speer savait se montrer autrement plus convaincant et plus enthousiaste car bien convaincu et malgré son mea culpa à Nüremberg, bien "
nazi" dans l'âme et toujours fier de l'être entre les murs de Spandau. Voilà, il avait sauvé sa tête : digne continuation par une nouvelle transgression théâtrale à laquelle on a mordu, tellement étonnés qu'il y en ait un qui se démarque dans la démarche de la culpabilité. Ultime pied de nez réussi.