calade a écrit :
car je pense que Lénine avait les moyens intellectuels et culturels (et l'intelligence) d'adapter sa politique aux circonstances.
Je suis d'accord pour les moyens intellectuels, on connait d'ailleurs l'anecdote de l'échange entre Khamenev et Koba. Mais une phrase de Lénine me reste en tête : "La guerre, incroyable accélérateur de l'Histoire". Hormis le conflit où fin fut posée Lénine a-t-il eu le temps d'adapter tous les paramètres de la Révolution via son tamis intellectuel et aussi un pragmatisme car la population était-elle prête ? Lorsque Lénine arrive, il ne déclenche rien qui n'ait déjà éclaté au niveau des mouvements. On peut s'adapter aux circonstances mais on ne peut distordre le temps et comme vous le démontrez, il y avait à faire sans compter avec le conflit civil car manifestement rien n'était gagné. Il y eut une période de guerre civile où ce fut ric/rac.
Nous nous rejoignons sur la différence entre les deux hommes.
On peut, avec Lénine, envisager un mouvance intellectuelle. Son esprit en est capable, capable d'adapter un certain libéralisme après analyse faite, capable de comprendre et de reculer. Ce simple trait : le fait de savoir prendre du recul et d'envisager une autre piste fait toute la différence.
La rigidité hallucinante de certains face au "recul", quelle que soit l'idéologie dont on se pare montre les limites intellectuelles.
Certes Staline n'est pas un intellectuel mais il n'est pas dépourvu d'une forme d'intelligence. On pourrait le trouver "roublard", ce fut l'erreur de certains.
Citer :
La fin de cette liberté sous Staline s'est traduite par le suicide de Maïakovski.
Il semble que beaucoup d'intellectuels prennent conscience de la tournure des évènements et que la Révolution telle qu'ils l'avaient pensée et soutenue leur a échappé.
Dans les premiers temps, on voit les défilés avec des drapeaux représentants Engels, Lénine et Staline puis petit à petit les deux autres figures disparaissent tout comme disparaissent les témoins des débuts de Koba. Apparaissent alors des images géantes où l'on voit un Lénine assis, semblant écouter un Staline debout et inspiré. On voit le chemin pris. Staline ne cherche plus même à être l'égal, il n'y a plus que place pour personne.
A longue échéance, les penseurs doivent être oubliés et la Révolution le fruit de personnes choisies et validées par le "petit père du peuple". Comme ces personnes sont sur sièges éjectables qui ont faits leurs preuves ou tenues (Molotov). On arrive donc à une sorte de Révolution des penseurs qui n'a engendré que chaos et l'arrivée de Staline. Finie l'utopie, Staline incarne la Révolution qui va s'ancrer définitivement. C'est certain : "Les lendemains chanteront". La population est prête à l'endurance, au sacrifice suprême. "Aller de l'avant pour les générations futures" est le crédo. Tout recul est perdu, la culpabilité ou la crainte se substitue à la pensée, la personne est mûre pour la cueillette.
C'est là que le cynisme de Staline vaut son pesant. Lénine croit en l'homme, Staline croit en lui.
Citer :
La brutalité est grande mais on peut penser que cela ne répond pas à une planification mais à une nécessité impérieuse de "tenir" le pays.
Il semble que rien n'était totalement joué. En frappant fort l'ennemi "commun" (les Blancs), on pouvait montrer alentour comment seraient frappés ceux dont les divergences ajouteraient à la difficulté ambiante. L'heure n'était pas à la division et à l'étude d'éventuels courants. Il fallait frapper vite et fort. Une fois l'assise prise, on pourrait aviser. Ces coupes sombres ne semblent pas des coupes à visée personnelle concernant Lénine. C'est le prix à payer, simplement. Il est aisé ensuite pour ceux qui sont totalement déconnecté du contexte, du moment, d'une connaissance de la culture etc. de chercher "l'omelette" et de faire cas de son absence. Avec de tels phrases, on ne construit pas l'Histoire, on n'amène pas même une brique. Ceci ne tient pas même du bon mot.
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Il reste la prise de pouvoir. Elle se fait au nom d'une idéologie et d'un parti tout puissant sensé l'incarner (alors qu'il existe évidemment d'autres tendances marxistes en Russie). Le coup d'Etat en faveur d'un parti qui incarne une idéologie me semble relever du totalitarisme.
Ceci se retrouve lorsque la Révolution piétine : la situation se délite et entraîne un chaos ; c'est le fameux épisode de la Révolution qui dévorent ses propres enfants. Il existe toujours une personne qui "siffle la fin de la récréation", des divers courants avec souvent les mêmes mots : corruption (de la pensée ou réelle) etc. La personne semble alors la seule capable de défendre et perpétuer l'oeuvre entamée. La prise de pouvoir de Lénine est faite dans une idéologie bien différente que la récupération de Staline. Ce qui a beaucoup aidé Staline fut la maladie de Lénine. On peut le lire chez certains compagnons de lutte. Le retrait aussi et le fait que l'homme était essentiellement secondé par son épouse.
Le totalitarisme peut prendre des formes bien différentes et c'est en ceci que c'est fort car dans l'action, même l'acuité la plus aiguisée ne voit parfois rien venir. Sous Lénine, Boukharine peut s'exprimer, sous Staline... Il n'a rien vu venir. Il ne sera pas le seul, je songe à Rykov. Le pays est mûr pour les purges, personne ne s'en offusquera.
Je trouve votre conclusion très pertinente et très humaniste cependant les révolutions faites par l'homme et pour l'homme ne peuvent au final s'encombrer, dans leur mouvement infernal, d'humanisme. Ceci se construit comme un sophisme : le premier prémisse est beau, le second "patauge" et la conclusion est faussée. L'espoir fait avancer même si parfois il prend des chemins abrupts. La littérature s'arrangera avec les angles.
Il est étrange de voir comment sont perçues en Russie, les idées des Lumières sous Catherine II puis le revirement lors de la Révolution française, conclusion inévitable de ces idées. Tout comme il est étrange d'analyser les réactions occidentales face à la Révolution Russe et les espoirs qu'elle fera naître "un peu trop longtemps" ?...