Bonjour/soir,
Ayant posé les bases du débat en citant largement les parties des écrits de de Gaulle qui pourraient être considérées comme véritablement visionnaires dans l'art de la guerre, ou à tout le moins suffisamment novatrices pour en être très significatives, voici quelques réflexions supplémentaires que je me suis faites avec un peu de recul : 1) Le livre de de Gaulle s'appelle Vers l'armée de métier. Pas Vers l'armée blindée mécanisée, pas Vers la mécanisation des armées. Le cœur du sujet en est bien l'organisation générale de l'armée, avec une déclinaison de celle-ci, très originale pour le coup, en deux pôles, l'un de professionnels suréquipés, surentraînés et surmotivés, l'autre de conscrits aux qualités (et aux défauts…) plus classiques. Cette thèse, centrale, est bien éloignée de l'intégration mécanique des armées de demain et de l'application de la puissance du cheval vapeur à la guerre de mouvement qui ne manquera pas d'éclater. Ergo, de Gaulle ne parle de la mécanisation que de manière indirecte, pour servir son propos qui est celui de l'organisation générale de l'armée (c'est-à-dire, pour peser sur une éventuelle refonte des grandes lois d'organisation de 1927-1928, elles-mêmes grandement inspirées des lois de 1873-1874) ;
2) Il est plus légitime de se demander ce qui appartient à la vision d'un homme en avance sur son temps, et ce qui n'est que l'extension de procédés observés antérieurement. Ainsi, de Gaulle ne peut pas ne pas savoir qu'à l'automne 1918, l'armée française déploie 21 bataillons de chars légers FT (à 72 machines par unité), soit théoriquement plus de 1 500 chars. De plus, plus de 2 600 ont été produits, et l'objectif fixé pour 1919 est de 4 000, renforcés alors de chars nouveaux (lourds avec le "Liberty", super-lourds avec le 2C, pour 700 unités supplémentaires). Si la concentration en des entités interarmes comme le préconise de Gaulle est clairement innovante par rapport à 1918, on a tendance à oublier le formidable outil blindé mis en ligne par la France et ses alliés à la fin de 1918. Pour l'aviation, c'est pareil. Outre les succès enregistrés par la division aérienne du général Duval après mai 1918, les 331 escadrilles regroupant près de 3 600 appareils fournissaient un appui aux forces terrestres qui n'a pas été pour rien dans les victoires obtenues après juillet 1918. Une partie importante de ces volumes était consacrée à l'observation du champ de bataille.
3) Et surtout, au moment où de Gaulle écrit Vers l'armée de métier, qu'avons-nous dans le monde ? - l'URSS a mis sur pied deux corps mécanisés en 1932. Même s'il est douteux qu'ils soient constitués aussi fortement que ceux de la période 1938-1941, il s'agit là d'unités interarmes regroupant des masses de chars conséquentes, leurs appuis et leurs soutiens. Je vais m'attacher, sauf si quelqu'un en a le coeur et dispose des sources adéquates, à creuser le sujet ; - l'Allemagne a mis sur pied des forces mécanisées sous le couvert depuis 1928. Le 12 octobre 1934, elle crée une "division légère" (on la trouve sous d'autres noms : "division rapide" ou "3. Kavallerie Division (motorisiert)" ou encore et surtout "division blindée expérimentale") qui comprend une brigade de deux régiments de chars, une brigade de fusiliers motorisés et des éléments d'appui et de soutien divisionnaires, certes embryonnaires. C'est-à-dire peu ou prou au moment où de Gaulle écrit, les Allemands constituent leur première grande unité mécanisée interarmes... - les Etats-Unis ont initié la mise sur pied d'une force mécanique autonome en 1930 (après des tests à grande échelle en 1928). Son abandon en 1931 n'a pour principale raison qu'on lui privilégie la motorisation intégrale des forces terrestres ! - les Britanniques, enfin, ont mis sur pied une "force mécanisée expérimentale" (Experimental Mechanized Force, puis Experimental Armoured Force en 1928) en août 1927, autour d'une brigade de circonstance avec appuis intégrés (mais limités, et pas de soutiens). Ils la supprimeront en 1929, et poursuivront leurs essais autour d'une "brigade de chars mixte" (Mixed Tank Brigade). Il est difficile, dans ce contexte, de ne pas voir une inspiration étrangère, les armées soviétique et allemande, au moins, dans une moindre mesure britannique et américaine, ayant initié des essais et déjà mis sur pied des grandes unités mécanisées pour partie. Sans compter qu'en France même, je le rappelle, des grandes manoeuvres ayant eu pour objet notamment de tester la validité du concept de grande unité de cavalerie mécanique se sont tenues en Champagne à l'été 1933, et que le général Weygand (chef d'état-major général français de 1930 à 1935), a ordonné peu après de mettre sur pied une division légère mécanique à l'automne 1933. La mécanisation est donc déjà initiée, à l'étranger (et très largement comme en URSS), mais même en Allemagne et en France.
CNE EMB
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