C'est la thèse que soutient Zeev Sternhell dans son livre "La Droite révolutionnaire 1885/1914", un de ses meilleurs selon moi.
Les thèses de ZS sont toujours intellectuellement stimulantes mais elles peuvent appeler certaines réserves. C'est le cas ici, cette assertion me laisse un peu perplexe.
Je commence par résumer ce que dit Sternhell:
il note tout d'abord que la France aurait été, plus que l'Allemagne et l'Italie, et avant elles (dès le boulangisme à peu près) le véritable laboratoire européen des idées fascistes. Il y relève un foisonnement de livres , de journaux, de partis et de mouvements politiques et syndicaux par lesquels s'élabore absolument toute la thématique fasciste dès la fin du XIXe siècle. Ces mouvements ne sont pas moins virulents que leurs homologues étrangers quelques décennies plus tard; on pourrait croire l'antisémitisme français par exemple, moins homicide que l'antisémitisme allemand, mais ZS cite extraits sur extraits d'articles ou de livres français développant des vues antisémites sur un ton extrémement violent et qui ne parlent que d'écrasement et d'extermination.
Et pourtant, comme il le rappelle, vagues après vagues de cette droite révolutionnaire et populaire finiront par s'enliser dans le marais de la politique politicienne et du parlementarisme français, les quelques mouvements fascistes nationaux échoueront à rallier les masses au delà d'un seuil quantitatif décisif, ou perdront peu à peu leur mordant comme l'Action française, et la droite politique restera largement l'affaire de la droite bourgeoise classique dans ce pays.
Si la droite fasciste a triomphé en Allemagne, ce serait d'après ZS parce que la droite classique allemande n'était pas capable de gérer les crises économiques et l'agitation marxiste dans ce pays et qu'elle a du laisser la droite socialiste/révolutionnaire faire le travail.
Et il ajoute à propos de la droite classique française: "jamais le fascisme ne parviendra à ébranler les robustes assises d'une société où la droite traditionnelle est suffisamment puissante pour sauvegarder elle-même ses intérêts... Jamais la droite libérale ne permet aux révoltés (NDLR de la droite révolutionnaire) de la déborder, jamais elle ne se trouve acculée à cette extrémité que représente la nécessité de s'en remettre aux fascistes."
Et:
" Dans toute l'Europe, on constate le même phénomène: le fascisme obtient ses succès les plus éclatants là où la droite est trop faible pour préserver elle-même ses positions. C'est pourquoi en période de crise aigue, elle s'en remet au mouvement révolutionnaire, seul capable--pense t'elle--de barrer la route au communisme. Tout en ne lui accordant d'ailleurs qu'une confiance médiocre. En revanche, là où elle se sent bien armée, là où comme en France ses positions sont suffisamment confortables et ses assises sociales robustes, la droite traditionnelle fait tout pour que l'aventure fasciste ne prenne pas des proportions démesurées".
Laissons de côté les points de la longue tradition démocratique en France comme obstacle au fascisme et du manque de ces traditions en Allemagne qui ont déjà été traités dans ce fil:
viewtopic.php?f=48&t=4966&hilit=fascisme+en+FranceLe sujet ici est autre: c'est spécifiquement la thèse paradoxale de ZS, celle d'une droite classique forte qui a protégé la France contre le fascisme, et d'une droite classique faible qui lui a ouvert la porte en Allemagne.
Or pratiquement tout ce que j'ai lu jusqu'ici sur la droite classique allemande avant les nazis allait au contraire dans le sens: c'est l'existence d'une droite classique très forte, très structurée et très agissante en Allemagne qui permis l'arrivée au pouvoir du nazisme, et ce à plusieurs titres: en lui préparant le terrain en diffusant largement les principaux thèmes idéologiques qu'il a repris et dont il a opéré la synthèse plus tard, en concluant des alliances politiques avec lui, etc.
En fait, le dernier mot qui vient à l'idée en évoquant la droite classique allemande d'inspiration junker, militaire et impériale est "faible".
Que cette droite junker/militaire/impériale ait perdu de son prestige suite à la défaite de la PGM, certes. Qu'elle ait été plus archaique que la droite classique française, sans doute. Mais c'est le mot faible qu'utilise Sternhell , pas le mot "archaique" ou "moins prestigieuse".
Qu'en pensez-vous?