Nebuchadnezar a écrit :
Pierma a écrit :
CEN_EdG donnerait une description plus précise, mais en gros il y a deux armées françaises : celle sur laquelle on compte pour entrer en Belgique et y livrer la bataille décisive - ce sont les unités les mieux équipées, et je pense que seules celles-là ont bénéficié d'un entraînement à peu près correct. (il faut toujours garder en mémoire que la consigne, bêtement financière, est de ne pas trop gaspiller à l'entraînement.) Ces unités sont placées à l'ouest en vue de leur entrée en Belgique.
La seconde armée est celle des divisions de "série B", dont l'encadrement est essentiellement formé d'officiers de réserve, qui manquent pour le moins de combativité, voire même d'autorité. Ce sont des unités de ce genre qui "meublent" l'espace charnière des Ardennes, et par ailleurs on en trouve un grand nombre derrière la ligne Maginot, où le commandement escompte en gros qu'elles n'auront pas à combattre.
J'aimerais savoir quand cette division en deux armées a été théorisée et planifiée, si elle l'a été !?
Le pouvoir politique avait-il conscience de cet état de fait quand il échangeait avec les militaires ?
je n'ai pas assez expliqué la cause de cet état de fait : elle réside tout simplement de la différence entre l'armée d'active - celle des soldats qui sont sous les armes - et l'armée de réserve.
Sauf erreur, il y a donc des divisions de série A, celles de l'active, et des divisions de série B, celles de la réserve. Cet état de fait est naturel et existe dans toutes les armées du monde. La question est plutôt celle de l'écart d'équipement et d'instruction qui existe entre les deux. La situation des divisions de série B n'a jamais été "théorisée" et pensée, elles sont sont simplement, pour des raisons budgétaires (et peut-être pas systématiquement, malgré tout ?) les parents pauvres de l'armée.
Très logiquement aussi, lorsque l'on crée un bataillon équipé de char, et à fortiori une division équipée de chars, on choisit une division d'active. De même, lorsqu'on crée une division d'infanterie portée sur camion, (j'ignore sous quel nom) destinée à combattre en commun avec la division de chars en question, on choisit une division d'active : elle est formée de soldats du contingent, donc les plus jeunes, et encadrée (uniquement ?) par des officiers professionnels.
Comme dans cette armée il n'y a que des chapelles et des coteries, entre lesquels Gamelin ne tranche qu'à regret, pourrait-on dire, il existe deux sortes de divisions équipées de chars, dont les matériels et la vocation sont différents. (Cela dit, comme on n'a pas les moyens de construire 36 sortes de chars, certains sont communs aux deux.)
On a donc ainsi des divisions de chars conçues par la cavalerie, les DLM (Division Légère Mécanisée) destinées à "l'éclairage" et à la protection d'une armée, comme leurs ancêtres à cheval. Elles sont à priori capables de se déplacer rapidement, et à ce titre, elles seront engagées dès le début en Belgique. Elles y feront bonne figure, les Allemands n'ayant pas davantage de chars lourds, en proportion, que les Français.
(Pratiquement chaque fois qu'il y a eu affrontement direct chars contre chars, ce sont les Français qui l'ont emporté. Mais à chacune de ses occasions, les Allemands ont contourné le problème, littéralement, en s'attaquant aux divisions d'infanterie voisines, et on a donc vu des généraux de chars vainqueurs sur le terrain, recevoir à leur grande fureur un ordre de repli, l'armée ayant reculé : comme pendant la Grande Guerre, le commandement était obsédé par l'alignement de ses unités et la continuité du front : surtout pas de "brèche" !) Je pense sans en être sûr à la bataille de Hannut : si quelqu'un peut être plus précis sur les exemples, il est le bienvenu.
Il y a également 4 divisions cuirassées, conçues par la direction de l'infanterie, dont les chefs sont à peu près les seuls à comprendre et à intégrer qu'elles doivent agir de façon autonome. Elles seront engagées lorsque le mouvement allemand à partir de la Meuse deviendra évident, et connaîtront des fortunes diverses. l'une d'elle sera tout bonnement répartie le long du front en soutien de l'infanterie, par petits paquets, sur ordre du général commandant l'armée (Huntzinger, je pense) La 2e DCR sera surprise par les Stukas en cours de ravitaillement - les chars alignés à côté des camions citerne - et détruite en quasi-totalité.
(les Allemands, eux, ravitaillaient leurs chars en première ligne avec des jerricans, une innovation. - Le mot est anglais :"Jerry" est le soldat allemand, comme "Ivan" désigne le soldat russe. Il s'agit donc des "bidons de Jerry".)
la 4e DCR, en cours de formation au moment de l'attaque allemande, est rassemblée en urgence et confiée au colonel De Gaulle, dont personne ne risque d'ignorer les théories, et qui a déjà commandé un régiment de chars. Elle fera ce qu'elle pourra contre "le couloir des panzers", mais c'est beaucoup demander à une unité unique. (A noter que dans sa tentative de réduction de la poche d'Abbeville, au sud de la Somme, elle n'eut pas à affronter de chars ennemis, sauf erreur. Elle sera repoussée par les Stukas, l'artillerie, et par les très dangereux canons de DCA de 88 mm, utilisés en antichar, une improvisation que Guderian, je crois, a été contraint d'utiliser au début de l'attaque allemande, alors que ses chars étaient en difficultés, et dont la pratique à été transmise rapidement à toute la Wehrmacht, cette utilisation inattendue des pièces de flak se révélant décisive.)
Vous posez la question de ce que les politiques savaient de l'armée et de la faiblesse des divisions de série B : je pense que les politiques (a l'exception de Paul Reynaud, convaincu par De Gaulle, et qui a milité, en vain, pour la création de "l'armée de métier" blindée) ont repris une tradition très républicaine, qui consiste à ne pas interférer dans le travail des militaires - qui est affaire de spécialistes - et donc à faire confiance au commandement. Ils conçoivent leur rôle essentiellement comme le devoir de répondre aux demandes de matériel et d'effectifs des militaires, autrement dit, plus largement, la direction de l'état de guerre du pays.
@Nebuchadnezar : Oui, il y a aussi le problème Gamelin. Qui - entre autres erreurs - engage sa seule réserve moderne, la 7ème armée, au secours... de la Hollande (C'est sa fameuse "variante Bréda", planifiée uniquement si les Allemands violent la neutralité hollandaise) et donc, penaud, qui avoue devant Churchill et Reynaud effarés, qu'il n'a plus de réserve. Philippe Masson parle à ce propos de "péché contre l'esprit", et de mépris de toutes les règles militaires établies.
mais Gamelin est un cauchemar vivant. L'organisation même du commandement de l'armée - l'organigramme du haut commandement - est un défi au bon sens. Par exemple Gamelin n'intervient pas dans le travail de son état-major, dont il estime qu'il doit gérer les ordres directs aux généraux, lui-même n'étant qu'un "inspirateur". (on le verra intervenir auprès de ses officiers, en pleine bataille, avec cette phrase :"Sans vouloir m'immiscer dans la conduite des affaires courantes...") Il y a en région parisienne un second état-major, dont je ne sais même plus ce qu'il dirige (Les troupes de l'est ?) et surtout, il existe un Etat-Major du Nord Ouest, commandé par le général Georges, qui commande toutes les troupes destinées à entrer en Belgique, et accessoirement le secteur des Ardennes. Je passe sur les conflits d'attribution associés et les problèmes de liaisons... (Général Georges qui s'effondre en sanglots le 14 mai au soir, devant ses officiers, après s'être écrié :"le front est percé".)
Marc Bloch, qui en signale bien d'autres, a bien résumé le problème en une seule phrase : "ce fut une défaite intellectuelle."