Je tiens à attirer votre attention sur un phénomène politique, essentiellement : les rapports qu'ont entrenus les populations allemandes surtout les SA du NSDAP (puisque je puise ma source dans le livre de Johann Chapoutot,
Le meurtre de Weimar, PUF, pp. 26-31, 2019 dont j'ai parlé ailleurs) et polonaises dans les territoires en partie de langue polonaise et de religion catholique, annexés à l'Empire au 3e partage de la Pologne en 1795.
Je fais aussi le lien avec l'intérêt que vient de susciter Loïc sur l'Histoire de la Pologne dans le fil
Que lisez-vous en ce moment ?, p. 12
Pour ma part sans ignorer totalement ces problèmes, je découvre en partie l'importance de ce phénomène dans la République de Weimar directement issu des conséquences du traité de Versailles, et la création d'un nouvel État polonais en 1921 (dont je ne remets pas en cause le bien-fondé), associée à toute l'ambiance politico-sociale et économique de l'époque.
Johann Chapoutot a écrit :
Martyrs de la cause nationale, les SA sont des combattants, des soldats du front intérieur. Le Völkischer Beobachter ne cesse de clamer qu’il existe ce que les historiens appellent une guerre civile latente, mais qui n’est pour les nazis rien moins que «civile» : les communistes, les sociaux-démocrates, les Juifs sont tout simplement étrangers à la substance raciale et au corps national allemand (Deutscher Volkskörper). C’est en ennemis extérieurs qu'ils sont combattus par des hommes qui sont bien plus que la simple milice d’un parti quelconque «Le SA est et demeure le soldat du mouvement national. Ceci vaut pour toute l’Al1emagne, mais plus encore pour le cas spécifique de la Silésie, zone frontalière avec le monde polonais et slave, véritable marche du Reich et de la race face au monde de l’Est.
LE COMBAT DES SA SUR LE FRONT SILÉSIEN
La Silésie est une province qui au cours du XVIIIe siècle échoit à la Prusse a l’issue des différents partages de la Pologne dont le dernier, qui met fin à l’existence du royaume polonais, se déroule en 1795. Entre 1795 et 1871, la Prusse maille le territoire silésien de ses bureaux de poste, perceptions et casernes. L’intégration est territoriale et administrative et ne répond à aucun projet d’assimilation nationale : la Prusse reste au XIX° siècle une monarchie patrimoniale à l’ancienne, qui annexe sans germaniser. La langue polonaise est employée par les populations polonophones, et l’administration, comme l'enseignement, use des deux langues. Quant au catholicisme, il jouit, plus encore que dans la vallée rhénane, de la traditionnelle politique de tolérance des souverains prussiens qui estiment, selon la fameuse formule de Frédéric II, que «chacun doit se sanctifier à sa façon ». Avec les premiers projets d’unification nationale allemande dans les années 1840, la situation se tend entre la Prusse, de Berlin, protestante, et ses marges catholiques, surtout rhénanes. Mais 1’inflexion majeure, pour la Silésie date de 1871. Le 18 janvier 1871, l’Empire est proclamé dans la galerie des Glaces du château de Versailles. L’empire qui naît n’est homogène ni linguistiquement, ni religieusement. Pour parfaire son œuvre d’unification, Bismarck initie des dispositions législatives qui combattent les particularismes régionaux, dans le Schleswig-Holstein danois, en Alsace-Moselle, et en Silésie. Celle-ci est la première à pâtir de cette volonté normalisatrice : une loi de 1872 rend obligatoire l'enseignement en langue allemande dans les provinces polonaises de Silésie et de Posnanie. En 1876, la seule langue administrative autorisée est désormais l’allemand: le rapport à l'autorité, dès qu’il s’agira d’aller à la poste, d’agir en Justice, de rédiger un testament, d’acquérir un bien ou de payer ses impôts, se déroulera en allemand. L’offensive culturelle vise, outre la langue, la religion. Bismarck est convaincu que deux ennemis allogènes, apatrides, menacent son œuvre unificatrice: les socialistes, car ils appartiennent à une internationale qui a juré la perte des gouvernements nationaux, et les catholiques, car ils relèvent d’une obédience romaine qui, en Allemagne, est fort mal vue depuis le Moyen-Âge au moins, depuis la Réforme certainement. Bismarck décide de mener un véritable «combat pour 1a civilisation» (Kulturkampf) en affaiblissant une Église qui, depuis la décennie 1860, a tendance à vouloir compenser sa perte de puissance réelle par une affirmation de supériorité symbolique : le pape, à qui l'unité italienne a ravi 1'essentiel du patrimoine de Saint-Pierre, se veut infaillible. La querelle du Sacerdoce et de l’Empire est réactivée par Bismarck, qui s’émeut de l'émergence d'un catholicisme politique dans la vallée du Rhin, en Bavière et en Pologne : entre 1872 et 1875, il laïcise l’inspection de l'enseignement primaire, autorise le mariage civil, expulse les jésuites, et fait établir les programmes par l’État. Comme le note Horst Bienek, célèbre romancier silésien, né en 1930 à Gleiwitz, tout polonophone qui «avait grandi dans les années du Kulturkampf [...] en avait été profondément marqué. La politique prussienne en Haute-Silésie, à Breslau comme à Berlin, fut toujours menée par des protestants qui ne comprenaient pas à quel point le catholicisme (notamment le dogme de Marie) était profondément enraciné en Haute-Silésie» A cela s ’ajoute «l’intolérance des professeurs allemands à l'égard de tout ce qui était polonais»., et qui a déterminé de nombreuses vocations de nationalistes polonais.
La germanisation n’est pas seulement culturelle, elle est aussi démographique ou, comme d’aucuns le disent déjà, biologique: le sang allemand doit faire refluer le sang polonais. En 1886, une loi permet à l’État prussien d’acheter des terres agricoles polonaises, pour les lotir et les attribuer à des colons germanophones. Cette politique de colonisation agricole, d’appropriation du sol polonais par le sang allemand, est soutenue par une organisation fondée en 1894, le Deutscher Ostmarkenverein.
Cette «Ligue des marches allemandes de l’Est» se donne pour mission, comme le proclame l'article Un de ses statuts, d’œuvrer « au renforcement et à la concentration de la germanité dans les marches de l’Est». La ligue des Marches orientales se réclame de l’archéologue Gustav Kossina, qui fait de sa discipline une «science éminemment nationale». Arguant de l’autorité du scientifique, elle affirme que les populations germaniques ont été les premières à s’installer dans des régions indûment occupées par des Polonais dont le refoulement ou la marginalisation juridique et démographique s’impose.
La germanisation est donc une reconquête, reconquista menée dans les pas des chevaliers teutoniques qui, jadis, conquirent et bonifièrent ces terres laissées en friche par des Slaves ensauvagés et primitifs. Le Drang nach Osten (poussée vers l’Est) des Teutoniques n’avait lui-même été qu’un retour sur des terres germanisées depuis la préhistoire, avant que des flots de sang slave n’effacent les Races de cette présence germanique originelle. Front de reconquête, les marches de l’Est sont donc le champ d’un entre deux principes culturels voire, certains disent des les années 1890, raciaux. Plus tard, en 1932, le parti nazi parlera ouvertement de guerre en baptisant de ses organes silésiens Deutsche Ostfront: ce «Front de l’Est», marche de reconquête, était un quotidien édité à Gleiwitz par les services du Gauleiter du NSDAP.
Ces efforts pour opposer, distinguer et séparer germano- et polonophones apparaissent bien curieux quand on voit à quel point cette région apparaît, même après la séparation de 1921, comme culturellement amphibie, a la fois polonaise et allemande. Horst Bienek écrit ainsi :
On parlait pratiquement la même langue d’un côté et de l’autre. On pouvait en tout cas se comprendre sans peine. Les villes, les paysages, les mines, les rivières se ressemblaient. Et sous les pieds, on avait la même terre.
Les paysages sont indistinguables ; de même, il est impossible de faire la part de l’élément germanophone et du polonophone :
Quiconque n’a pas grandi ou, du moins, vécu longtemps dans cette région ne peut comprendre ce que cela signifie parler polonais et être allemand. Ou inversement (ce qui était d'ailleurs beaucoup plus rare) : parler allemand et être polonais.
Le Livre d’honneur des SA de 1933 rappellera sa manière les circonstances historiques qui ont forge l’1dedtite de cette région particulière, objet d’un différend germano-polonais après la Grande Guerre. Le traite de Versailles, en application des Quatorze points du président Wilson, recrée un État polonais, disparu des cartes de l'Europe depuis le troisième partage de la Pologne de 1795. Les polonophones, jadis disperses entre la Prusse, la Russie et l'empire austro-hongrois, peuvent réintégrer un foyer national commun. Or, la Silésie est pour moitié composée de slavophones, qui entendent bien rejoindre le nouvel État. Entre 1919 et 1921, trois insurrections ont lieu en Silésie, organisées par des polonais qui veulent rattacher la région entière à Varsovie la partition linguistique entre Allemagne et Pologne. Cette partition est en effet la solution imaginée par la SDN: la Basse Silésie est rattachée à la Pologne, la Haute Silésie, mixte culturellement, devra se déterminer par plébiscite. Celui-ci a lieu le 20 mars 1921 : un tiers seulement de la Haute Silésie décide de rejoindre la Pologne, les deux autres tiers, majoritairement germanophones, étant rattachés à l’Allemagne. C’est a la suite de ce plébiscite que se déroule la troisième insurrection polonaise de Silésie, combattue par des corps francs et des volontaires silésiens allemands. Le souvenir de ces trois insurrections et des combats menés par les volontaires allemands est vif dans la région. Il est une source d’anxiété obsidionale pour les Allemands de Silésie, qui ont hissé les événements de l’époque au niveau de la légende et les reformulent en des termes mythologiques.
Ainsi le chef polonais de ces insurrections, Albert (Wojciech) Korfanty, est-il présenté comme un personnage satanique, comme le note, non sans ironie, le romancier Horst Bienek :
Les gens de la région voyaient en lui une réincarnation du malin, un Djobok (diable) qui inspirait des chansons satiriques, que l’on maudissait, que l’on agitait tel un spectre aux yeux des enfants durant les longues soirées d’hiver [. _ .]. Les femmes se signaient en entendant son nom, quand elles le prononçaient, elles se signaient trois fois de suite. Les hommes, eux, crachaient par terres.
La crainte des insurrections polonaises est pieusement entretenue par la SA, qui en revendique et annexe la mémoire. Pour les responsables SA de Silésie, il existe «une ligne directe menant des tranchées de la Grande Guerre aux corps francs puis aux Sections d’Assaut du NSDAP» «Presque tous les volontaires des corps francs, notamment les sous-officiers, sont les Führer de la SA actuelle, et mieux encore: ce sont eux qui ont créé et construit la SA.»
Cette région de la Silésie germano-polonaise est le coeur de l'ouvrage de Chapoutot et elle a des caractéristiques propres qui a en partie concentrée la haine des nazis contre les populations d'origine polonaise, parfois juives et de surcroît parfois également communistes...
y a t-il le même phénomène à la frontière française ou ailleurs ? Les polonais sont des slaves, et on sait que pour les nazis, après Hitler, c'est une source de haine particulièrement importante.