Sébastien d. a écrit :
Pourtant, Barrès, ce ne fut pas que le pourfendeur de Dreyfus.
C'est vrai, si Maurice Barrès fut un fervent anti-dreyfusard, il fut aussi bien d'autres choses, et en premier lieu lors de l'Affaire Dreyfus. On se souvient souvent de ces propos sur la nécessité de sacrifier Dreyfus, on oublie souvent qu'il fut le premier à introduire le terme d'intellectuel en politique. Critique de cette présence intellectuelle dans le débat politique, accusant la présence des valets de Zola, il se montre véhément à l'égard des jeunes soutiens du dreyfusisme et "les amis personnels de Zola", les jeunes intellectuels "pâles et parfumés" (Barrès, Impressions d'audience, in
Le Figaro, février 1898).
Sébastien d. a écrit :
Cet homme exceptionnel, dans la tradition d'un Saint-Simon, d'un Hugo ou d'un Lamartine, met tout son verbe en combat, et jusqu'à sa mort, bien après la mort du général Boulanger et la désintégration du parti révisionniste, il garda son poste de député.
Discutable. Dans la tradition d'un Saint-Simon, sûrement pas, car Barrès est avant tout un homme de traditions, attaché à la terre et aux morts, quand Saint-Simon prônait la suprématie de la science. Dans la tradition d'un Hugo, peut-être, à la fois homme de lettres et engagé politique, peut-être encore par la proximité de leur style. Dans la traduction d'un Lamartine, là encore, peut-être mais avec une hésitation dans la comparaison.
Après l'éclatement du mouvement boulangiste (1893), Barrès eut le génie de se rapprocher du socialisme pour conserver sa position de parlementaire. Intellectuellement, ses idées restaient quasi-identiques puisqu'il se classait lui-même parmi les boulangistes de gauche. Cependant, ce qu'il qualifiait en 1894 de "révolte socialiste" n'était plus qu'une "plaisanterie de jeunesse" dans les années 1920, et Zeev Sternhell a bien montré l'évolution de son rapport au boulangisme dès 1894-1900.
Sébastien d. a écrit :
Je pense que le Barrès de la revanche bascula totalement dans le nationalisme antisémite lors de l'affaire Dreyfus.
Je le pense aussi, très sincèrement. Barrès montra, très tôt, un antisémitisme social mais l'Affaire Dreyfus opéra une mutation de sa haine en un antisémitisme racial (accusant Dreyfus sur le seul fait de judaïté, comme vous le mentionniez).
Sébastien d. a écrit :
Effectivement, Barrès vit, dans la défense de Dreyfus, l'attaque de l'armée, la critique de l'institution qui servirait à la revanche, et il ne pouvait, dans cette vision des choses, qu'utiliser tout son verbe et mobiliser toute sa haine contre l'auteur de ces injures.
Je suis entièrement d'accord. Le discours de Barrès se basait sur la sauvegarde de la crédibilité de l'armée, le rempart contre le menaçant voisin allemand et, surtout, le bras armé de la revanche prônée par Boulanger en son temps.
Sébastien d. a écrit :
Je n'ai malheureusement pas lu assez sur la vie de Barrès pour pouvoir rapporter de ses probables opinions sur la prise de pouvoir de Mussolini, cependant, même si la nationalisme proné par Barrès avait des racines communes avec les pensées nationales-socialistes comme le wagnerisme et le darwinisme, je ne pense pas qu'une réelle filiation puisse se faire avec les pensées fascistes, qui pronaient aussi la servitude du citoyen à l'Etat, ce que réfute la Barrès de L'ennemi des lois.
Encore une fois, oui à cette excellente analyse. Barrès est parfois qualifié de proto-fasciste, ou père des fascismes avec d'autres comme Sorel, car sa pensée fut celle de nombreux mouvements fascistes des années 1930 mais lui-même n'imagina pas le fascisme et n'en fit pas un de ses buts d'existence.
Durallo a écrit :
A ce propos,a ton des témoignages de lui sur la prise de pouvoir de Mussolini.
Pas à ma connaissance mais vous trouverez peut-être votre bonheur dans les travaux de Didier Musiedlak.
Karolvs a écrit :
Idem en ce qui concerne les intellectuels (mot nouveau à l'époque) : Zola par exemple. Pour Barrès, Zola "pense tout naturellement en Vénitien déraciné". Pour Barrès, Zola est antinational parce qu'il s'imagine que la société doit se construire sur la logique et ignore ce qu'est l'instinct, la tradition...
Barrès est un des premiers anti-intellectuel de son temps et le premier à définir la notion d'intellectuel en politique. En mars 1908, son opposition à la panthéonisation de Zola est plutôt coriace.
Karolvs a écrit :
Pour Barrès (et pour Maurras), tout ce qui n'est pas relié à "notre terre, nos ancêtres..." est antinational : les juifs, mais aussi les protestants. Ce sont là deux éléments fondamentaux du nationalisme de Barrès comme de celui de Maurras.
Oui, mais deux petites précisions : (1) la doctrine de La terre et les morts est de Barrès et apparaît vers 1898-1899, la seconde date étant celle d'un discours du même nom donné à la Ligue des patriotes en mars 1899 ; (2) L'anti-judaïsme de Barrès est personnel et mute d'un antisémitisme social à un antisémitisme racial (voir plus haut), mais l'anti-protestantisme de Barrès copie la doctrine maurrassienne des Quatre Etats Confédérés.