Borsig a écrit :
Vous dites que la thèse d'Alain Michel correspond à ce qu'on sait de Vichy. Vous ne semblez pas avoir remarqué qu'AM a révélé l'existence d'une « doxa » en France.
Il est vrai que le bouquin d'AM a souligné que l'antisémitisme de Vichy n'était pas exterminationniste. Mais l'auteur ne se limite pas à cet aspect des choses. Il pousse la réflexion beaucoup plus loin.
Je retombe sur ces propos et je suis étonné que personne n'ait relevé ce point : En se rendant complice, et de façon très active, de la déportation des Juifs étrangers, Vichy a bel et bien participé à l'extermination.
J'entends bien que les choses se sont passées différemment - dans l'ensemble, parce qu'ils n'ont pas bénéficié d'une immunité totale, loin de là - pour les Juifs français, mais comme l'a fait remarquer Calade, le Vichy de 1944 est totalitaire. (Je crois qu'il faut toujours dire de quel "Vichy" on parle) Cette fois les Juifs français étaient clairement ciblés. C'est l'histoire, en quelque sorte, qui les a sauvés : il était trop tard pour les nazis, les miliciens et même la police et la gendarmerie, sollicitées elles aussi, comme l'a montré l'activité de Maurice Papon, par exemple : le débarquement puis la Libération ont mis fin à la chasse à l'homme.
Cela dit on a beaucoup tué des Juifs, en France même, dans les six premiers mois de 1944. Et davantage encore, déporté des Juifs, français cette fois.
Mais la thèse selon laquelle les réticences et les tractations de Vichy ont laissé aux Juifs français le temps de s'organiser me semble juste. Encore n'aurait-elle rien été sans la mobilisation diffuse mais réelle, d'une grande partie du peuple français.
Vu dans un documentaire sur RMC, l'intervention de Jacques Sémelin - je pense ne pas me tromper d'historien, ça date de quelques mois - avec des propos qui m'ont frappé : (je cite en gros)
"Il y a un facteur que l'on a tendance à oublier quand on parle de la survie des Juifs de France : ce sont les juifs eux-mêmes. Très tôt, les Juifs en France, ont pris conscience qu'ils étaient en danger de mort. Oh bien sûr ils ne pouvaient pas imaginer Auschwitz, qui était impensable, mais leur connaissance de la haine nazie, des modalités des premières déportations, les ont clairement amené à estimer, avec justesse, que cette histoire de camps de travail en Pologne contenait un danger mortel. Et donc il y a eu une mobilisation très rapide des associations, et même des relations individuelles, mobilisation massive, pour trouver des stratégies de sauvegarde."
Je trouve juste de rendre cette justice aux Juifs de l'époque, que s'ils n'avaient pas agi eux-mêmes, et avec une efficacité certaine, ils seraient morts.
Jacques Sémelin souligne aussi que le cas de la France, s'il est important par la population juive impliquée, se retrouve peu ou prou dans tous les pays d'Europe où une autorité locale a existé et cela même dans le cas d'autorités fantoches imposées par les nazis.
Il attribue cela au fait que l'existence de ce pouvoir local posait d'entrée des relations de négociations avec les nazis, dans lesquelles les juifs n'étaient pas forcément, ou pas en permanence, l'enjeu prioritaire.