Dans
Souvenirs personnels et témoignages, j'ai raconté la campagne de 1939-40 de mon grand-père.
L'hiver 1944-45 fut plus éprouvant encore car il fut marqué par de violents combats de la libération, particulièrement ravageurs dans le Pays de Bitche. Comme je l'ai raconté, mon grand-père était démobilisé et vaquait à ses occupation civiles (il était agriculteur).
Début décembre 1944, les américains entrent sans combats dans le village, puis se replient sur les hauteurs qui le surplombent ; les soldats allemands prennent immédiatement possession des lieux ; duels d'artillerie et escarmouches de patrouilles dans le village ; la famille de mon grand-père (dont ma mère, 17 ans et son frère, 9 ans), doit se réfugier dans les caves. Quelques jours avant Noël, mon arrière-grand-mère monte à l'étage de la maison pour récupérer un objet ; elle est tuée par un obus.
Comme les combats se prolongent, mon grand-père décide d'emmener sa famille en dehors de la zone dangereuse. A la faveur d'une accalmie, ils quittent le village à pied, le 27 décembre 1944, à travers la campagne enneigée, sous un grand soleil mais dans un froid glacial. Ils atteignent les lignes américaines, d'où on les escorte dans un village voisin tenu par les troupes US. Là on les interroge et le lendemains, ils sont évacués loin vers l'arrière, à une quinzaine de kilomètres, où ils resteront réfugiés jusqu'au printemps 1945.
Pendant la nuit du 31 décembre 1944 au 1er janvier 45, dans le prolongement de l'offensive des Ardennes, les Allemands déclenchent leur contre-offensive "Nordwind", dont l'objectif stratégique est Strasbourg. Ceux qui sont restés au village -dont mon père- sont les témoins directs de ces combats, d'une violence parfois inouïe : les vagues d'assaut allemandes (un régiment de Waffen SS de la 17e Panzergrenadierdivision "Götz von Berlichingen") se forment dans le village, et c'est dans les caves du village que les blessés affluent par centaines. A un certain moment, la ligne de front traverse le village ; une partie est américaine, l'autre allemande. Des civils sont tués. L'offensive allemande échoue, Strasbourg est sauvée, mais la ligne de front ne bouge pas du village, qui reste le théâtre de combats de patrouilles et donc la cible de duels d'artillerie. Cela dure pendant tout le mois de janvier, et se prolonge en février, jusqu'au 23 février 1945. Ce jour-là le village subit un bombardement aérien. Des bombes américaines tombent sur plusieurs maisons, tuant 70 personnes réfugiées dans les caves. C'est énorme pour un "patelin" où vivaient 300 personnes avant la guerre.
Mon grand-père apprend la nouvelle, mais ce n'est que fin février qu'il peut se rendre au village, où il arrive le jour de l'enterrement des victimes : il n'oubliera jamais les dizaines de cercueils alignés devant l'église ; de petits cercueils d'enfants, pour la plupart.
Le village est définitivement libéré de tous combats en mars 1945 ; il est détruit à 80% ; les autorités veulent évacuer la population, qui refuse ; on lui construit rapidement des chalets en bois (dites "baraques de sinistrés") ; on panse les plaies ; on remet les champs en culture (ravagés par les chars etc... ) ; on commence à déblayer les décombres et à reconstruire les maisons ; deux enfants sont tués par des engins de guerre qui trainent ; en gardant les vaches, mon oncle s'exerce au tir sur cible avec un fusil mitrailleur allemand trouvé dans une haie ; le jour de sa communion il joue dans une carcasse de panzer (où il déchire son costume ; râclée mémorable...) ; ma mère n'a d'yeux que pour le jeune homme de la baraque d'à côté...