En Juin 1940 Monnet, qui avait été secrétaire adjoint de la SDN, a une bien plus grande expérience politique que De Gaulle. Celui-ci était sous-secrétaire depuis seulement le 6 juin 1940, comme il a surtout passé son temps dans les transports (PC Weygand, Orléans, Briare, Londres, Bordeaux ) il n'a pas eu le temps d'apprendre le métier. En tant que militaire, De Gaulle avait eu une carrière moyenne, il est colonel en 1937, alors que Juin, son camarade de promotion, devint général en 1938. Quand le 23 juin Monnet écrit à De Gaulle, celui-ci n'a pas encore fait son annonce à la BBC et il ne propose pas de devenir le chef du futur comité. Churchill pris par défaut la solution De Gaulle sans pour cela que le gouvernement britannique reconnaisse officiellement le Comité National Français. En réponse à sa démission du 2 juillet de la présidence du Comité de coordination franco-anglais, qui n'avait plus de raison d'être, Churchill proposa à Monnet le 17 juillet de poursuivre aux USA ces mêmes services ayant trait aux fournitures américaines. En 1940, De Gaulle n'était le sauveur de personne, il eut le courage qui manqua à d'autres plus qualifiés. Monnet fut tout aussi utile que De Gaulle pour la France Libre, il est vain de projeter sur leur rencontre de 1940, la relation qu'ils auront après 1950 dans un tout autre contexte. Un peu de chronologie :
Télégramme du 19 juin de De Gaulle à Noguès (De Gaulle, Mémoires) : "Suis à Londres en contact officieux et direct avec gouvernement britannique. Me tiens à votre disposition, soit pour combattre sous vos ordres, soit pour toute démarche qui pourrait vous paraître utile."
Lettre du 20 juin de De Gaulle à Weygand (De Gaulle, Mémoires) :"J'ai reçu votre ordre de rentrer en France. Je me suis donc tout de suite enquis du moyen de le faire, car je n'ai, bien entendu, aucune autre résolution que celle de servir en combattant.
Je pense donc venir me présenter à vous dans les vingt-quatre heures si, d'ici là, la capitulation n'a pas été signée.
Au cas où elle le serait, je me joindrais à toute résistance française qui s'organiserait où que ce soit. A Londres, en particulier, il existe des éléments militaires, — et sans doute en viendra-t-il d'autres, — qui sont résolus à combattre, quoi qu'il arrive dans la Métropole.
Je crois devoir vous dire très simplement que je souhaite pour la France et pour vous, mon Général, que vous sachiez et puissiez échapper au désastre, gagner la France d'outre-mer et poursuivre la guerre. Il n'y a pas actuellement d'armistice possible dans l'honneur.
J'ajoute que mes rapports personnels avec le gouvernement britannique, — en particulier avec M. Churchill, — pourraient me permettre d'être utile à vous-même ou à toute autre haute personnalité française qui voudrait se mettre à la tête de la résistance française continuée.
Je vous prie de bien vouloir agréer, mon Général, l'expression de mes sentiments très respectueux et dévoués."
Lettre du 23 juin de Monnet à De Gaulle (Monnet, Mémoires):Mon cher Général,
Après vous avoir rencontré, j'ai eu une conversation avec sir Alexander Cadogan, et je lui ai répète ce que je vous avais dit ainsi qu'au brigadier Spears : Je considère que ce serait une grande faute que d'essayer de constituer en Angleterre une organisation qui pourrait apparaître en France comme une autorité créée à l'étranger sous la protection de l'Angleterre. Je partage complètement votre volonté d'empêcher la France d'abandonner la lutte ; je suis convaincu que le gouvernement de Bordeaux aurait dû mettre en Afrique du Nord le chef de lEtat, les présidents des deux Chambres, ainsi quun certain nombre de membres du gouvernement qui, d'accord avec le général Noguès, auraient fait de l'Afrique du Nord un bastion de la résistance française.
Je persiste à croire que, aujourd'hui encore, la décision par le général Noguès de résister permettrait de rallier tous ceux qui en France désirent continuer la lutte et rester fidèles aux engagements solennels de la France vis-à-vis de ses alliés. Si la résistance peut être organisée en Afrique du Nord, c’est-à-dire en terre française, sous l'autorité de chefs qui ont été investis de leurs fonctions dans des conditions régulières, autrement dit par un gouvernement qui n'était pas à l'époque de son investiture pratiquement sous le contrôle de l'ennemi, je suis sur qu'on trouvera un immense écho en France et dans toutes les colonies françaises à l'étranger. Mais ce n'est pas de Londres qu'en ce moment-ci peut partir l'effort de résurrection. Il apparaîtrait aux Français sous cette forme comme un mouvement protégé parl'Angleterre, inspiré par ses intérêts, et à cause de cela condamné à un échec qui rendrait plus difficiles les efforts ultérieurs de ressaisissement.
« Comme je vous l'ai indiqué plus haut, j'ai exposé ceci à sir Alexander Cadogan ; je viens de le répéter à sir Robert Vansittart et à l'ambassadeur de France. Comme vous, je n'ai qu'un but : réveiller les énergies de la France et la convaincre qu'elle ne doit pas finir ainsi. J'ai voulu que vous connaissiez complètement ma pensée.
« Je vous prie d'agréer, mon cher Général, l'expression de mes sentiments les plus distingués.
« P.-S. — Bien entendu,
la constitution d'un Comité qui serait chargé d'aider tout Français désirant continuer la lutte avec l'Angleterre à trouver sa place serait extrêmement utile. Ainsi que je l'ai dit à Spears et à vous, je suis à votre disposition à n'importe quel moment pour discuter de cette question. »
Télégramme du 24 juin de De Gaulle à Noguès (De Gaulle, Mémoires) :" Vous rendons compte de la constitution en cours d'un Comité National français pour relier tous, éléments français de résistance entre eux et avec alliés. Vous demandons donc entrer personnellement dans composition de ce Comité. Tous ici vous considèrent comme devant être le grand chef de la résistance française. Agréez l’expression de notre respect et de notre espérance."
Pour le Comité national français en formation : Général de Gaulle.
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Monnet, Mémoires : "Mais l'appel de de Gaulle (ndlr du 23 juin) fut suivi d'une communication par laquelle le gouvernement britannique reconnaissait le Comité comme représentant les éléments français indépendants déterminés à poursuivre la guerre, dans l'accomplissement des obligations internationales de la France. Cette communication, elle aussi, était un effet de la précipitation. Le cabinet anglais n'avait pas eu le temps de la discuter. On s'en aperçut et elle fut retirée de la publication. "
Churchill, Mémoires : "In spite of the Armistice and Oran and the ending of our diplomatic relations with Vichy, whither the French Government had moved under Marshal Pétain, I never ceased to feel a unity with France. People who have not been subjected to the personal stresses which fell upon prominent Frenchmen in the awful ruin of their country should be careful in their judgments of individuals. It is beyond the scope of this story to enter the maze of French politics. But I felt sure that the French nation would do its best for the common cause according to the facts presented to it. When they were told that their only salvation lay in following the advice of the illustrious Marshal, and that England, which had given them so little help, would soon be conquered or give in, very little choice was offered to the masses. But I was sure they wanted us to win, and that nothing would give them more joy than to see us continue the struggle with vigour.
It was our first duty to give loyal support to General de Gaulle in his valiant constancy. On August 7 I signed a military agreement with him which dealt with practical needs. His stirring addresses were made known to France and the world by the British broadcast. The sentence of death which the Pétain Government passed upon him glorified his name. We did everything in our power to aid him and magnify his movement.
At the same time it was necessary to keep in touch not only with France but even with Vichy. I therefore always tried to make the best of them. I was very glad when at the end of 1940 the United States sent an Ambassador to Vichy of so much influence and character as Admiral Leahy, who was himself so close to the President. I repeatedly encouraged the Canadian Premier, Mr. Mackenzie King, to keep his representative, the skilful and accomplished M. Dupuy, at Vichy. Here at least was a window upon a courtyard to which we had no other access. On July 25 I sent a minute to the Foreign Secretary in which I said: "I want to promote a kind of collusive conspiracy in the Vichy Government whereby certain members of that Government, perhaps with the consent of those who remain, will levant to North Africa in order to make a better bargain for France from the North African shore and from a position of independence. For this purpose I would use both food and other inducements, as well as the obvious arguments." Our consistent policy was to make the Vichy Government and its members feel that, so far as we were concerned, it was never too late to mend. Whatever had happened in the past, France was our comrade in tribulation, and nothing but actual war between us should prevent her being our partner in victory.
This mood was hard upon
de Gaulle, who had risked all and kept the flag flying, but
whose handful of followers outside France could never claim to be an effective alternative French Government. Nevertheless we did our- utmost to increase his influence, authority, and power. He for his part naturally resented any kind of truck on our part with Vichy, and thought we ought to be exclusively loyal to him.
He also felt it to be essential to his position before the French people that he should maintain a proud and haughty demeanour towards "perfidious Albion", although an exile, dependent upon our protection and dwelling in our midst. He had to be rude to the British to prove to French eyes that he was not a British puppet. He certainly carried out this policy with perseverance.
He even one day explained this technique to me, and I fully comprehended the extraordinary difficulties of his problem. I always admired his massive strength. Whatever Vichy might do for good or ill, we would not abandon him or discourage accessions to his growing colonial domain. Above all we would not allow any portion of the French Fleet, now immobilised in French colonial harbours, to return to France. There were times when the Admiralty were deeply concerned lest France should declare war upon us and thus add to our many cares. I always believed that once we had proved our resolve and ability to fight on indefinitely the spirit of the French people would never allow the Vichy Government to take so unnatural a step. Indeed, there was by now a strong enthusiasm and comradeship for Britain, and French hopes grew as the months passed.