Aigle a écrit :
... Jean Monnet, ...tout en travaillant dans l'ombre le plus loin possible des électeurs - ce qui ne pouvait qu'agacer un patriote pragmatique très attaché au lien entre le peuple et ses dirigeants comme le général.
"Pour l'homme politique, l'objectif de tous les instants est d'être au gouvernement — et d'y être le premier. Cet exercice est lié inévitablement à une certaine présentation des choses — et cette présentation compte autant sinon plus que les choses en soi. Tout finit par tourner autour de la lutte pour l'investiture, et l'objet du pouvoir, le problème à régler, est oublié. Je n'ai pas connu de grand homme politique qui ne soit fortement égocentrique, et pour cause : s'il ne l'avait pas été, il n'aurait pas imposé son image et sa personne.
Je n'aurais pas pu l'être — non que je fusse modeste, mais on ne peut pas être concentré sur une chose et sur soi-même. ... Cette chose a toujours été la même pour moi : faire travailler les hommes ensemble, leur montrer qu'au-delà de leurs divergences ou par-dessus les frontières, ils ont un intérêt commun.
Si la concurrence était vive aux abords du pouvoir, elle était pratiquement nulle dans le domaine où je voulais agir, celui de la préparation de l'avenir qui, par définition, n'est pas éclairé par les feux de l'actualité. Ne gênant pas les hommes politiques, je pouvais compter sur leur appui. De plus, s'il faut beaucoup de temps pour arriver au pouvoir, il en faut peu pour expliquer à ceux qui y sont le moyen de sortir des difficultés présentes : c'est un langage qu'ils écoutent volontiers à l'instant critique. A cet instant où les idées manquent, ils acceptent les vôtres avec reconnaissance, à condition que vous leur en laissiez la paternité. Puisqu'ils ont les risques, ils ont besoin des lauriers.
Dans mon travail, il faut oublier les lauriers. Je n'ai aucun goût pour l'ombre, quoi qu'on en dise, mais si c'est au prix de l'effacement que je puis le mieux faire aboutir les choses, alors je choisis l'ombre." (Monnet, Mémoires)