Ces dernières réflexions nous ramènent au débat "qu'est-ce qu'une défaite ?" et "qu'est-ce qu'une victoire ?".
Au sens classique, dans le modèle occidental de la guerre en tout cas, est victorieux celui qui reste maître du champ de bataille, même si ses pertes sont infiniment plus lourdes que celles de l'adversaire obligé de se retirer. C'est en ce sens que Malplaquet est une victoire coalisée, et Eylau une victoire française. C'est aussi en ce sens que Bir Hakeim comme Rethel sont des défaites : dans les deux cas, le terrain a été abandonné à brève échéance.
De manière plus moderne, en intégrant le niveau opératif et donc des concepts comme celui de la défense élastique, perdre le contrôle du champ de bataille peut ne pas être corrélé avec la défaite puisque l'ennemi peut perdre dans l'affaire bien plus qu'il ne gagne : il peut tomber dans un piège, et avancer dans une nasse, ce qui fait du contrôle du champ de bataille un leurre, un appât ; il peut subir de telles pertes ou subir un tel déséquilibre de son dispositif qu'une contre-offensive le met à la merci de son adversaire dans le cadre d'une "attaque en retour" ; il peut perdre un temps précieux en s'obligeant à repousser l'adversaire coûte que coûte que celui l'empêche d'atteindre ses objectifs.
Mais, dans le cas de Rethel, cela n'a en rien menacé la manoeuvre allemande globale, n'a pas empêché les Allemands de franchir l'Aisne en amont et en aval, bref n'a eu aucune autre incidence que morale (et encore, a posteriori). On peut difficilement parler de victoire, même si la défense fut héroïque et mérite d'être honorée à ce titre. Je ne parlerais pas de défaite non plus, en tout cas pas à Rethel, mais l'opération "Rot" étant une victoire stratégique décisive des Allemands, j'évoquerais plutôt un baroud d'honneur.
Dans le cas de Bir Hakeim, à part le succès psychologique et symbolique (et c'est déjà beaucoup !), je ne vois pas où serait la victoire française... La résistance française a certes retardé la progression de la Panzerarmee "Afrika", mais pas de manière à influer sur le sort de la bataille de Gazala ; la 1re BFL en sort hors de combat, alors que les pertes infligées n'altèrent pas significativement la capacité de combat des Germano-Italiens qui lui étaient opposés ; il n'y a rien dans la suite de la bataille qui ait permis aux Alliés de s'appuyer dessus pour inverser la tendance. Il serait un peu osé d'affirmer que Bir Hakeim est un succès germano-italien, mais c'est le cas si l'on prend le sens classique, et c'est au moins autant un succès germano-italien qu'un succès français : le "box" a été réduit, la 1re BFL affaiblie et désorganisée durablement, la manoeuvre globale est restée largement cohérente et son tempo linéaire.
Pour ma part, je vois dans Malplaquet une victoire française et dans Eylau une défaite napoléonienne, si cela peut vous aider à cerner mon point de vue profond
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