Bonjour à tous,
La réaction des généraux français n'est pas vraiment constante… Attention je vais tomber un peu dans la psychologie de bas étage mais : les généraux tombent d'abord dans le franc pessimisme avant de passer à une phase d'optimisme exagéré. Je crois que c'est assez classique dans ce genre de catastrophe, on commence par voir tout noir, puis la moindre éclaircie aperçue nous fait voir tout blanc, avant de retomber dans le noir, etc. En tous cas je connais ça.
Ainsi après le défaitisme qui suit la percée initiale on trouve aussi bien au niveau des armées que du GQG des moyens de se rassurer. La situation ne semble pas se dégrader aussi rapidement que prévu, les Allemands ne semblent pas si fort, les renforts arrivent, etc. On se souvient du miracle de la Marne ou de l'échec des offensives allemandes de 1918 pourtant initialement victorieuses…
Quelques exemples : dans les jours suivant le 13 mai, la 2e armée semble s'être ressaisie et tient ses positions, on lui a envoyé le XXIe CA en renfort on va pouvoir contre-attaquer. En fait, c'est parce que l'effort se porte sur la 9e armée. Pas grave là encore, les renforts arrivent aussi bien du sud (détachement d'armée Touchon) que du nord (1re DCR, 4e DINA), et puis ça tient à Monthermé. De son coté la 1re armée a encaissé le choc dans la trouée de Gembloux, ouf ! Elle pourra se dégager. La 7e armée se retire de sa position aventureuse et va libérer des forces. La 9e armée devrait pouvoir se rétablir sur une position intermédiaire, au nord elle le fera avant de replier sur la frontière. Tout cela semble possible et la situation pas si désespéré car au GQG comme aux QG d'armées on est pas encore au courant de tout, de la situation de nos unités comme celles de l'ennemi.
Et puis il y a Corap, le chef de la 9e armée : pour le GQG c'est lui le responsable du désastre, on le remplace par Giraud, un mec énergique qui va redresser la situation. Giraud arrive lui aussi avec un certain optimisme… il ignore en effet à combien de divisions blindées il fait face ! Et comme on lui a donné deux DCR, et que les renforts affluent de son ancienne armée… Mais ce qu'il ignore aussi, c'est que la 1re DCR, à sa disposition, n'existe plus que sur la carte…
Le GQG compte sur l'intervention de ces DCR (entre autres) pour passer à la contre-offensive sur ce qu'il n'estime qu'être qu'une avant garde blindée qui va s'essouffler ! Oui coté français on ne croit pas que ça ne s'arrêtera jamais, bien au contraire on est trop optimiste sur la prétendue fatigue des divisions blindées. On pense bien que les unités blindées sont dans une position aventuré loin de son infanterie… Las ! Nos forces sur lesquelles le GQG pensait compter n'existent plus, sont en réalité trop faibles ou occupés, de son coté l'ennemi ne tire pas la langue et son infanterie suit promptement…
Quelques citations extraites du livre de Bruno Chaix précédemment cité :
Georges le 18 mai : « il importe de mettre à profit la situation aventureuse du groupement de Panzerdivisionen… »
Gamelin le 19 mai juste avant son départ : « [jeter] des forces spécialement mobiles sur les arrières des Panzer-Divisionen… Il semble qu'il y ait actuellement, derrière ce premier échelon, un vide »
Quand Weygand arrive il contacte Billotte (chef du GA n° 1) pour lui demander de « se battre comme les chiens contre les Panzerdivisionen qui doivent être à bout de souffle »
Après tout ça il y a comme espoir au sud la mise en place de l'armée du général Frère avec deux DCR et bientôt une division blindée britannique, au nord le repli vers la frontière est un succès, les britanniques et le corps de cavalerie qui arrive tant bien que mal à se libérer vont pouvoir contre attaquer, on se prépare à déblayer la forêt de Mormal, Cambrai, etc.
Bref ça ne reste pas inactif ni sans espoir ! Nos généraux n'ont rien loupé de fondamental, mais sur le terrain ça ne se met pas en place, pour plusieurs raisons, les Allemands qui sont plus fort qu'on ne le pense, et nous donc pas assez de moyens, mais aussi qu'on est pas capable de monter une véritable offensive ! Ça ne s'improvise pas…
À noter enfin que si le GQG tarde à replier ses forces de la ligne Maginot (question que je ne connais pas très bien), c'est qu'il pense pouvoir refaire le coup du miracle de Dunkerque ou les Allemands avaient paru trop essoufflés pour profiter de leur succès. Pour les unités de forteresse, leur principal problème est d'être très peu mobile. Les soldats peuvent toujours marcher à pied mais sans rien pour les couvrir et en abandonnant toutes leurs armes un tant soit peu lourdes… Ainsi la 102e DIF sur la Meuse, qui a bien tenu à Monthermé, Nouzonville et Mézières, disparaît sans coup férir en quelques heures lorsqu'elle se replie au milieu des Allemands.
Pour ce qui est de faire de multiple lignes de défenses pour tenir le plus longtemps possible… Là on est déjà dans l'admission de la défaite en métropole. Et là il y a ce choix là, ou celui de l'armistice. Ça me paraît déjà un tout autre débat.
Mais pour ce qui est des combats retardateurs en métropole, le gros problème pour se défendre au moins de juin, c'est qu'on a presque plus de mobilité. Une fois que les forces rapides allemandes passent à l'exploitation d'une brèche, l'ensemble de la défense risque d'être prise au piège et un rétablissement ultérieur est difficile. Après la chute de la Somme, la Seine tombe sans difficulté dans la suite. Sur notre aile droite, Guderian et cie foncent vers la Suisse et il n'y a rien qui puisse les arrêter. Notre armée est à nouveau coupée en deux, aucune défense cohérente ne peut avoir lieu et nos éléments défensifs à gauche sont longuement dépassés au sud. Notre extrême gauche (10e armée, armée de Paris) disparaît peu à peu et ne doit ses quelques répits qu'à nos maigres forces motorisées (DLM, DCR). Ainsi notre centre parvient à se replier sur la Loire, en particulier la 7e armée qui tient remarquablement bien, par réquisition elle finit par être quasiment totalement motorisée et échappe à l'enveloppement de ses ailes qui sont sans cesses débordées. Pour les Pyrenées, seul l'armistice pouvait arrêter les Allemands dans cette direction. Il n'y a pratiquement plus rien d'autre. Le 24 juin les avant gardes de Hoth sont vers Saintes. Tout ce qu'on aurait pu faire c'était tenir quelques temps une tête de pont couvrant la Méditerranée avec le repli de la 7e armée et de l'armée des Alpes et de quelques autres restes.
Mais je ne vois pas en quoi à partir du 13 mai on aurait pu renverser la situation. L'essoufflement d'une offensive ennemie n'est pas nouveau, Clausewitz en parlait déjà avec son « point culminant de la victoire ». Ce n'est pas pour autant que l'offensive est vouée à l'échec.
Citer :
une certaine ligne l'apparition de n'importe quel véhicule à chenille entraine la reddition immédiate des troupes françaises. Il y a quelques résistances, mais c'est plutôt rare.
Là dessus je pense qu'on en revient à la doctrine qui a conduit à un entraînement ne prévoyant pas ce genre de cas. L'effet de surprise (car ils n'y était pas préparés) a eu un fort impact sur des soldats pas forcément très motivé à la base. la surprise de la physionomie des combats, si différente de celle à laquelle on les a préparé a été très déstabilisateur.
Du reste je doute que ça soit une explication fondamentale. Un chenillé reste un chenillé et un combat contre lui ne s'improvise pas… Surtout si vous êtes dans les services à l'arrière.
Qu'on ne s'y trompe pas avec l'URSS, qui disposait de troupes sur plusieurs échelons stratégiques (ce qu'ignorait les Allemands), de réserves matérielles et humaines importantes qui ont permis de mobiliser par le temps gagné, aussi parce que la boue devient l'un des ennemis principaux des Allemands, très peu de routes sont en dur. À l'ouest c'était du billard. Il y a aussi les voies ferrés d'écartement différent et des gares trop espacées pour les locos allemandes. Les Allemands c'était pas que des camions on le rappelle souvent en rappelant le coté hippomobile, mais par contre on oublie le rôle du rail.
Citer :
Je serais curieux de connaître l'appréciation portée sur les divisions, active, réserves A et B. Je trouve qu'on ne parle pas assez de l'aspect qualitatif de la troupe dans les fora.
Les divisions A et surtout B sont mauvaises par rapport à l'active c'est normal car les gars ont fait l'active il y a bien longtemps, les officiers aussi ne sont pas de première fraîcheur. Et puis il faut aussi se dire qu'ils sont plus vieux donc physiquement moins frais, qu'ils ont fondés des familles etc. et donc sont moins motivés à se faire trouer la peau que des jeunes un peu inconscient… Ce coté mauvais est accentué par le fait qu'elles touchent leur matériel après les autres, il me semble que la 55e DI à Sedan n'a pas de DCA par exemple et ses régiments d'infanterie n'ont pas perçu ou presque leur dotation antichars. Ça marche aussi pour les moyens de transmissions, liaison, déplacement…
Avant la Première Guerre mondiale, l'état-major parlait ainsi des réservistes pour le plan XVII :
« Sans doute on ne saurait dans aucun cas assimiler des unités de réserve à des unités actives. C'est à ces dernières unités que le commandement fera surtout appel pour l'exécution des manœuvres offensives dont dépend le succès des opérations, comptant sur leur instruction meilleure, sur leur entrainement supérieur et sur la solidarité des liens tactiques qui unissent tous leurs éléments »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_XVII , cité par
Les armées françaises dans la Grande guerre, vol. I, p. 48, lire en ligne :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6 ... /f89.image