Dupleix a écrit :
Barbetorte, je pense qu’on n’arrivera pas à se mettre d’accord.
Je pense effectivement que, non seulement nous ne tomberons pas d'accord, mais encore que ce débat est stérile. En fait, vous jouez sur les mots. Les termes de rationalité et de folie vous déplaisent. Couper les cheveux en quatre sur une question de sémantique ne m'intéresse pas. Je veux bien vous suivre jusqu'à un certain point mais pas jusqu'à nier le fait que le Japon n'avait pas les moyens de sortir vainqueur d'une guerre contre les Etats-Unis et que les dirigeants japonais le savaient, ou refusaient de le savoir, ce qui revient au même.
Dupleix a écrit :
Je comprends bien votre raisonnement, je ne pense simplement pas que c’était celui qu’ont tenu les dirigeants japonais qui considéraient qu’ils n’avaient le choix qu’entre deux mauvaises solutions.
Mais évidemment que ce n'était pas le raisonnement tenu par les dirigeants japonais ! Ils ont tout simplement refusé de raisonner ! Ceux qui ont emporté la décision n'ont pas pesé le pour et le contre en tenant compte des réalités, ils ont engagé leur pays dans la guerre parce qu'ils voulaient faire la guerre aux Etat-Unis. Si vous y tenez absolument, vous pouvez y voir une certaine rationalité : Je veux faire la guerre, donc je fais la guerre. Vu ainsi, c'est effectivement cohérent...
Dupleix a écrit :
Pour ma part je pense que connaître le processus de la prise de décision peut aider à se positionner sur sa rationalité et le cas échéant à comprendre pourquoi une décision irrationnelle a été prise.
Vous-même soulignez que les premiers ministres successifs Konoe et Tojo étaient défavorables ou au moins dubitatifs sur cette décision. On peut donc supposer que, seuls, ils auraient peut-être pris la décision rationnelle de ne pas entrer en guerre. Pour expliquer que la décision contraire soit prise, soit on se contente comme vous de dire « ils étaient fous » (qui « ils », d’ailleurs?) ; soit on peut s’intéresser à la manière dont la décision a été prise.
Tout d'abord, expliquer le mécanisme du processus selon lequel un acte a été accompli et juger de la rationalité de cet acte sont deux choses distinctes. Le psychiatre sait expliquer comment le paranoïaque a agi, mais cette explication n'annule pas son diagnostic de paranoïa. Ensuite, je me suis aussi intéressé à la manière dont la décision a été prise. Relisez-moi.
Dupleix a écrit :
Alors finalement, comment analysez-vous les effets de ce fanatisme ? Il altère le jugement des décideurs, ou bien il n’empêche pas de comparer rationnellement populations et productions industrielles ?
Le fanatisme conduit à un déni de réalité. Tous les dirigeants partageaient la même idéologie nationaliste. Mais les uns avaient conservé le sens des réalités tandis que les autres l'avaient perdu. Considérer sur un fondement idéologique que le Japon doit tendre à la suprématie en Asie est une chose, décider qu'il faut coûte que coûte faire la guerre aux Etats-Unis en est une autre.
Dupleix a écrit :
Là est le coeur du sujet. Vous supposez qu’une décision rationnelle ne peut être prise que sur des certitudes.
En réalité, toutes les décisions rationnelles sont prises en considérant des risques et des incertitudes - ce que vous appelez « coup de dés ».
Avec des généralités de ce genre, on peut prouver tout et son contraire et vous me faites dire le contraire de ce que j'ai dit. Tout d'abord, l'avenir n'est pas connu à l'avance, mais il y a cependant des certitudes. Par exemple, le fait qu'en 1940 il y avait 70 millions de Japonais et 130 millions d'Américains était une certitude. Ensuite, je n'ai pas dit que la mesure des risques et des incertitudes était un jeu de dés mais exactement le contraire. Soit on pèse les risques en prenant en compte tous les paramètres, soit on joue aux dés. Le gouvernement japonais a joué aux dés.
Dupleix a écrit :
A défaut d’envahir le Texas, récupérer le pétrole indonésien était tout de même mieux que ce qu’ils avaient (c’est-à-dire rien).
Raisonner sur une prémisse fausse conduit à une conclusion fausse. Le Japon n'avait pas rien, il avait les moyens d'acheter tout le pétrole qu'il voulait et les Etats-Unis et les Pays-Bas le lui fournissaient. Ces deux pays avaient certes fermé les vannes mais étaient tout à fait disposés à les rouvrir à deux conditions : retirer les troupes d'Indochine et engager un processus de paix en Chine. Evacuer l'Indochine où l'armée japonaise n'avait rien à faire et mettre fin à la guerre en Chine où l'armée japonaise était empêtrée depuis quatre ans était peut-être mieux que partir à l'aventure dans une guerre non seulement contre les Etats-Unis mais aussi contre le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et ce qui pouvait rester de la France et des Pays-Bas, avec encore la perspective d'une entrée en guerre de l'URSS.