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Message Publié : 23 Juin 2017 11:15 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Pierma a écrit :
les Japonais ayant sur l'ile des espions capables de signaler les préparatifs.
C'est important à souligner. Il y avait de très nombreux résidents japonais ou d'origine japonaise sur les territoires américains du Pacifique. Tous, de loin s'en faut, ne se comportaient pas avec une parfaite loyauté à l'égard de la nation américaine. Ils étaient une source abondante de renseignement au profit du Japon et, au moment de l'attaque, les autorités américaines redoutaient plus des transmissions d'informations confidentielles ou des actes de sabotage qu'un bombardement par des avions japonais. Aussi, sur la base de Pearl Harbour, les avions avaient-ils été regroupés pour minimiser le risque de sabotage alors qu'il aurait fallu les disperser pour minimiser les dégâts d'une attaque.

Par ailleurs, sur tout le territoire des Etats-Unis, des mesures exceptionnelles attentatoires aux libertés individuelles avaient été prises à l'égard des citoyens américains d'origine japonaise. Elles ont certes donné lieu à des abus qui ont été abondamment et à juste titre dénoncés, parce qu'il s'agissait d'une certaine manière d'instaurer une présomption de culpabilité incompatible avec l'état de droit, mais, objectivement, il y avait une menace réelle qui appelait à des mesures adaptées.


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Message Publié : 23 Juin 2017 13:09 
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Barbetorte a écrit :
Par ailleurs, sur tout le territoire des Etats-Unis, des mesures exceptionnelles attentatoires aux libertés individuelles avaient été prises à l'égard des citoyens américains d'origine japonaise. Elles ont certes donné lieu à des abus qui ont été abondamment et à juste titre dénoncés, parce qu'il s'agissait d'une certaine manière d'instaurer une présomption de culpabilité incompatible avec l'état de droit, mais, objectivement, il y avait une menace réelle qui appelait à des mesures adaptées.

Réelle menace... et pour les citoyens d'origine allemande, encore en plus grand nombre ? :rool:

Non, il y a un parti-pris raciste, la couleur de peau des Japonais n'est pas la même.

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Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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Message Publié : 23 Juin 2017 14:06 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Dupleix a écrit :
Commettre une erreur d’appréciation ne signifie pas forcément être irrationnel.
Dans son livre «choix fatidiques » Ian Kershaw décrit de manière passionnante le processus de cette prise de décision. Elle comporte à mon sens une part rationnelle et une part irrationnelle.
Commettre une erreur d’appréciation ne signifie pas forcément être irrationnel, certes, mais lorsque l'erreur d'appréciation procède d'un déni des réalités, on tombe bien dans l'irrationnel.

Ian Kershaw observe qu'il y a consensus des dirigeants japonais pour refuser d'accepter les exigences américaines, essentiellement que les forces japonaises se retirent de Chine. Il est bien évident que si le Japon est déterminé à poursuivre son entreprise d'expansion et que si les Etats-Unis sont déterminés à s'y opposer, l'affrontement armé devient inéluctable. Or le gouvernement des Etats-Unis a montré sa détermination en imposant un embargo sur le pétrole et l'acier, qui, s'il doit se poursuive, constitue un casus belli. Doit alors se poser la question pour les dirigeants japonais de savoir s'ils ont les moyens de sortir gagnants du conflit. Pour cela il faut faire un bilan des capacités. Dans l'immédiat, l'avantage est du côté japonais. Mais les Etats-Unis sont tout de même la première puissance industrielle mondiale, ils sont plus avancés technologiquement et ils comptent une population de 130 M d'individus contre 72 M, pour le Japon. Ils seront donc, à plus ou moins brève échéance, en mesure de mobiliser plus de soldats et de disposer d'un armement supérieur tant en performances qu'en quantité. Même compte tenu d'une probable entrée en guerre contre l'Allemagne, le rapport est défavorable au Japon. Une commission, intitulée Institut d'études sur la guerre totale (https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C5%8Dry ... ky%C5%ABjo) nommée en octobre 1940 conclut, ainsi qu'en fait état l'écrivain Inose Naoki, qu'au vu de la disparité des forces, un conflit total avec les États-Unis est perdu d'avance, que si un conflit devait débuter mi-1941, les approvisionnement maritimes de l'archipel seraient sérieusement menacés dès la fin 1943 et que le Japon serait hors d'état de continuer à combattre un an plus tard, à la fin 1944, enfin que, sur la fin du conflit, l'URSS pourrait entrer en guerre à son tour contre le Japon. Le premier ministre, le prince Konoe, est convaincu par ce rapport et, bien qu'il soit l'un des initiateurs de l'idée de sphère de coprospérité asiatique, s'oppose à un conflit armé contre les Etats-Uni, raison pour laquelle il est remplacé par le général Tôjô. Il en est de même de l'amiral Yamamoto jugé défaitiste. Le général Tôjô lui-même était sceptique.

En résumé, il ne fallait pas le faire, ils le savaient et pourtant ils l'ont fait. J'en conclus logiquement qu'ils étaient fous.

Dupleix a écrit :
La part irrationnelle de la décision prise par « le Japon » est que, telle que décrite par Kershaw, elle résulte d’un jeu d’acteurs entre les représentants de l’armée, de la flotte, des affaires étrangères et de l’économie, dans lequel chacun (en particulier les deux premiers) a davantage en vue les intérêts particuliers de son lobby que les intérêts généraux du Japon. Une difficulté qu’aucun premier ministre ne parvient à surmonter.
Oui, mais c'est tout aussi vrai pour les Etats-Unis où divers lobbys exercent de fortes pressions souvent occultes et où les intérêts électoraux prévalent parfois sur les intérêts de la nation.


Dupleix a écrit :
Quant à la supériorité morale (qu’il faut remettre dans le contexte de ces années 30-40 où le racisme était une chose très partagée), même s’il est certain que ce sentiment était répandu dans certains milieux militaires, je ne suis pas du tout convaincu que cela ait joué dans la décision au plus haut niveau (cela n’apparaît pas dans le récit de Kershaw)
Cela sort du cadre du travail de Kershaw qui n'est pas une étude de la société japonaise. Pour cela il faut se référer à d'autres auteurs, tel Michel Vié, spécialiste du Japon contemporain plutôt que Ian Kershauw spécialiste de l'Allemagne nazi.

Un fanatisme similaire à celui de l'Allemagne nazi avait gagné le Japon de l'entre-deux-guerres. Les Japonais avaient un sens exacerbé de la supériorité de leur civilisation, voire même de leur supériorité génétique, entretenu par une propagande effarante. Par exemple, on enseignait dans les écoles les mythes japonais comme étant des vérités factuelles, que l'empereur descendait effectivement directement de la déesse du soleil ; le manuel remis à chaque soldat commençait pas cette phrase : Le champ de bataille est l'endroit où l'Armée impériale, obéissant au Commandement impérial, démontre sa vraie nature, conquérant lorsqu'elle attaque, remportant la victoire lorsqu'elle engage le combat, afin de mener la Voie impériale aussi loin que possible, de façon que l'ennemi contemple avec admiration les augustes vertus de Sa Majesté. Un tel conditionnement des esprits incline à sous-estimer l'adversaire, à altérer le jugement et à engager le pays dans des entreprises déraisonnables.


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Message Publié : 23 Juin 2017 21:15 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

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Barbetorte a écrit :
Commettre une erreur d’appréciation ne signifie pas forcément être irrationnel, certes, mais lorsque l'erreur d'appréciation procède d'un déni des réalités, on tombe bien dans l'irrationnel.

Ian Kershaw observe qu'il y a consensus des dirigeants japonais pour refuser d'accepter les exigences américaines, essentiellement que les forces japonaises se retirent de Chine. Il est bien évident que si le Japon est déterminé à poursuivre son entreprise d'expansion et que si les Etats-Unis sont déterminés à s'y opposer, l'affrontement armé devient inéluctable. Or le gouvernement des Etats-Unis a montré sa détermination en imposant un embargo sur le pétrole et l'acier, qui, s'il doit se poursuive, constitue un casus belli. Doit alors se poser la question pour les dirigeants japonais de savoir s'ils ont les moyens de sortir gagnants du conflit.

Eh non justement : comme vous le mettez en évidence, le choix qu’a alors le Japon est le suivant : soit faire la guerre avec les USA à plus ou moins long terme, avec des chances de la perdre (je reviens sur l’évaluation de ces chances plus bas)
soit renoncer non seulement à une future expansion mais aussi aux pays déjà occupés, voire à des possessions plus anciennes, aux ressources correspondantes, et donc in fine (dans l’esprit des dirigeants) au statut de grande puissance, à la prospérité du pays, etc.

Les dirigeants japonais estiment que la 2ème option est pire que la première. Nous savons qu’en choisissant la première ils ont fait le mauvais choix parce que la défaite qu’ils ont subie a été terrible. De plus, dans le monde actuel, l’importance d’être une « grande puissance » est passée de mode (et peut nous paraître irrationnelle). Pour moi, cela démontre seulement qu’il y a eu une dramatique erreur d’appréciation.

Barbetorte a écrit :
En résumé, il ne fallait pas le faire, ils le savaient et pourtant ils l'ont fait. J'en conclus logiquement qu'ils étaient fous.

Je continue de penser que vous allez un peu vite à cette conclusion. On retrouve toujours après-coup les rapports qui démontrent ce qu’il aurait fallu faire. En déduire que « ils le savaient » est facile aujourd’hui. Le dirigeant qui a reçu ce rapport avait aussi sur son bureau les rapports des états-majors de la marine et de l’armée, qui disent autre chose. Et même si le rapport sur une guerre totale parle de rupture des approvisionnements en 1943, l’espoir peut subsister de forcer les USA à négocier avant, par exemple grâce à la menace allemande.

Barbetorte a écrit :
Dupleix a écrit :
La part irrationnelle de la décision prise par « le Japon » est que, telle que décrite par Kershaw, elle résulte d’un jeu d’acteurs entre les représentants de l’armée, de la flotte, des affaires étrangères et de l’économie, dans lequel chacun (en particulier les deux premiers) a davantage en vue les intérêts particuliers de son lobby que les intérêts généraux du Japon. Une difficulté qu’aucun premier ministre ne parvient à surmonter.
Oui, mais c'est tout aussi vrai pour les Etats-Unis où divers lobbys exercent de fortes pressions souvent occultes et où les intérêts électoraux prévalent parfois sur les intérêts de la nation.
Oui, et c’est aussi vrai dans beaucoup de démocraties, et peut donc aussi les conduire à des décisions irrationnelles. Mais pour en revenir à la décision japonaise d’attaquer les USA, je n’ai pas assez insisté sur le fait que dans ce jeu d’acteurs, le pouvoir des militaires est hors de proportion avec celui des civils, puisque (notamment) les états-majors dépendent directement de l’Empereur. Un peu comme l’armée allemande en 1914-18. Là où le système démocratique (ou même à la rigueur les dictatures italienne et allemande) favorise un arbitrage rationnel en mettant sur un même pied l’ensemble des ministres, avec un pouvoir au-dessus qui décide, on a au Japon un système biaisé où les décisions des civils peuvent être contournées et remises en question par les militaires, lesquels en l’occurrence ont en vue l’intérêt supposé de l’armée ou de la marine et non celui du pays.
Barbetorte a écrit :
Cela sort du cadre du travail de Kershaw qui n'est pas une étude de la société japonaise. Pour cela il faut se référer à d'autres auteurs, tel Michel Vié, spécialiste du Japon contemporain plutôt que Ian Kershauw spécialiste de l'Allemagne nazi.

Un fanatisme similaire à celui de l'Allemagne nazi avait gagné le Japon de l'entre-deux-guerres. Les Japonais avaient un sens exacerbé de la supériorité de leur civilisation, voire même de leur supériorité génétique, entretenu par une propagande effarante. Par exemple, on enseignait dans les écoles les mythes japonais comme étant des vérités factuelles, que l'empereur descendait effectivement directement de la déesse du soleil ; le manuel remis à chaque soldat commençait pas cette phrase : Le champ de bataille est l'endroit où l'Armée impériale, obéissant au Commandement impérial, démontre sa vraie nature, conquérant lorsqu'elle attaque, remportant la victoire lorsqu'elle engage le combat, afin de mener la Voie impériale aussi loin que possible, de façon que l'ennemi contemple avec admiration les augustes vertus de Sa Majesté. Un tel conditionnement des esprits incline à sous-estimer l'adversaire, à altérer le jugement et à engager le pays dans des entreprises déraisonnables.

Certes. Mais la question est de savoir jusqu’à quel point les cercles dirigeants eux-mêmes étaient victimes de cette propagande, et jusqu’à quel point cela a effectivement joué dans la décision en question, décision qui (pardonnez la pauvreté de mes références, je ne suis pas spécialiste en la matière) est bien le propos de Kershaw. Je ne suis pas sûr que les amiraux en chef aient lu le manuel que vous citez, et inversement ce que pense l’homme de la rue ou le soldat de base n’a sans doute pas eu beaucoup d’influence sur la décision dans le type de régime du Japon de 1941. Or, parmi les dirigeants, vous m’en avez cité 3 (il y en a d’autres) qui n’étaient pas convaincus d’une victoire contre les USA et donc sans doute pas aveuglés par la « supériorité » japonaise. Ce sont surtout les militaires (peut-être plus ou moins auto-intoxiqués par la propagande? mais aussi pour d’autres raisons) qui poussent le plus à la guerre.


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Message Publié : 26 Juin 2017 12:15 
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Hérodote
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Une des difficultés de l'espionnage (au sens large), et on s'en rend compte en lisant des mémoires de personnes ayant travaillé dans ce milieu, est de trier les informations vraies des fausses (j'estimerais à 10% de réel et 90% d'intox). Pour donner des exemples de rumeur: pendant la drôle de guerre, retournement des italiens en faveur des alliés, régiments mutinés en Allemagne etc...
Donc, les américains savaient que la flotte de combat majeure du Japon était partie en mer (et pas forcément pour des manoeuvres) mais sa destination...
Un objectif sur Pearl Harbour a pu arriver aux oreilles des services de renseignement (mais écarter cette info n'est pas absurde)


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Message Publié : 26 Juin 2017 12:39 
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Jules Michelet
Jules Michelet
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Pierma a écrit :
Réelle menace... et pour les citoyens d'origine allemande, encore en plus grand nombre ? :rool:
Non, il y a un parti-pris raciste, la couleur de peau des Japonais n'est pas la même.

Il est plus facile d'identifier un "potentiel ennemi" lorsque la couleur de sa peau n'est pas la même... et effectivement, de nombreux américains ayant fait souche bien plus anciennement sont d'origines germaniques... surtout qu'américains, anglais et autres germaniques se considèrent un peu de la même famille. Durant la Première Guerre Mondiale, les USA se sont longtemps montrés neutres pour ne pas froisser leurs ressortissants d'origines allemandes (les USA auraient même pu basculer dans le camp prussien) et certains anglais n'auraient pas été contre un rapprochement avec les allemands... du moins en début de guerre... Et puis allemands, anglais et américains sont pour la plupart des WASP...

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Message Publié : 26 Juin 2017 15:22 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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J'écris : Doit alors se poser la question pour les dirigeants japonais de savoir s'ils ont les moyens de sortir gagnants du conflit. et vous répondez  Eh non !. Essayons de discuter sérieusement.

Les dirigeants japonais ont-ils cherché à savoir s'ils avaient les moyens de sortir victorieusement d'un affrontement armé avec les Etats-Unis ?

Première hypothèse : ils ne se sont même pas posé la question. En ce cas, ils étaient fous.

Deuxième hypothèse : ils ne la sont posée, ils ont conclu oui et, ce faisant, ils ont commis une erreur d'appréciation. Reste maintenant à expliquer l'erreur. Se sont-ils livrés à une analyse sérieuse de la situation ? Il me semble que oui mais qu'ils ont refusé d'admettre les conclusions de leur analyse. La décision était alors irrationnelle et j'ai expliqué brièvement pourquoi avec des arguments peut-être insuffisamment convaincants. Il faut peut-être examiner les faits plus en détail.

Il s'agissait pour le Japon, je le rappelle, d'affronter un pays presque deux fois plus peuplé disposant de capacités industrielles nettement supérieures, d'une avance technologique et qui, de plus, ne souffrait pas des mêmes difficultés d'approvisionnement que le Japon en matières de base comme le charbon, le fer, le caoutchouc et autres produits agricoles.

Les dirigeants japonais pouvaient-ils raisonnablement conclure qu'ils sortiraient victorieux d'un conflit armé malgré leurs handicaps ?

La tension avec les Etats-Unis a atteint un niveau critique lorsqu'en septembre 1941 le Japon a envahi l'Indochine française et signé le Pacte Tripartite avec l'Allemagne et l'Italie. Les USA ont réagi en mettant fin aux exportations de pétrole. Les deux gouvernements étaient en pourparlers ininterrompus depuis janvier 1945 par l'intermédiaire du secrétaire d'Etat et de l'ambassadeur japonais à Washington mais ces pourparlers n'étaient qu'un dialogue de sourds. Le Japon affirmait bien haut ses intentions pacifiques et exigeait en conséquence la liberté des échanges commerciaux. Les Etats-Unis répondaient qu'ils étaient fondamentalement pour la paix et le libre-échange mais que le Japon devait traduire ses intentions pacifiques par des actes concrets. Ils n'étaient pas très exigeants : retrait des troupes japonaises de l'Indochine, déclaration de volonté de mettre fin au conflit avec la Chine et engagement à entrer en négociations ainsi que reconnaissance de la neutralité des Philippines lorsque celles-ci auront acquis leur indépendance. Le représentant japonais faisait savoir en substance qu'il était d'accord sur le principe des exigences américaines et, qu'une fois les échanges commerciaux rétablis, les choses étant ce qu'elles étaient, le gouvernement japonais verrait ce qu'il pourrait faire en Chine et en Indochine. En fait, le Japon exigeait des Etats-Unis le pétrole dont il avait besoin pour faire la guerre aux Etats-Unis et les Etats-Unis ne l'entendaient pas ainsi.

Le temps jouait contre le Japon et c'est ce qui a poussé à la décision d'entrer en guerre. Mais il ne suffisait pas de se contenter de ce constat. Encore fallait-il s'assurer que la position favorable dans laquelle se trouvait le Japon l'était suffisamment pour assurer une victoire décisive. Comment ? Ecraser les Etats-Unis comme l'Allemagne avait écrasé la France ? Difficile à envisager. Ont-ils supposé que les Etats-Unis défaits dans le Pacifique jetteraient l'éponge et laisseraient le Japon dominer le Pacifique ? C'était jouer aux dés. Or décider sur un coup de dés n'est pas rationnel.

Ce l'était d'autant moins que cela ne réglait pas la question du pétrole. On a besoin de charbon. Le charbon vient de Corée et de la Mandchourie. On envahit la Corée et la Mandchourie. On a besoin de caoutchouc. On peut trouver du caoutchouc en Indochine. On envahit l'Indochine. On a besoin de riz. Il y a des rizières en Birmanie. On envahit la Birmanie. On a besoin de pétrole. Le pétrole vient du Texas. On envahit le Texas ?

Citer :
On retrouve toujours après-coup les rapports qui démontrent ce qu’il aurait fallu faire.
Il ne s'agissait pas du rapport d'un obscur comité Théodule noyé dans une masse d'informations et d'avis plus ou moins autorisés. Le dirigeant qui avait reçu ce rapport était le premier ministre, Konoe Fumimaro.

Premièrement, Konoe Fumimaro, n'était pas seulement un chef de gouvernement de circonstance. Il était avant cela le plus éminent des auteurs de la théorie de la suprématie japonaise et des concepteurs de l'objectif qui en découlait, celui de la Sphère de Coprospérité,

Deuxièmement, c'est lui qui avait ordonné la constitution de la commission ayant rédigé le rapport.

Troisièmement, non seulement il avait lu le rapport, mais encore celui-ci l'avait convaincu, bien qu'il adhérât au but de placer l'Asie-Pacifique sous hégémonie japonaise, .

Quatrièmement, comme chef du gouvernement, il était très bien placé pour faire connaître son avis et il s'est opposé à l'entrée en guerre contre les Etats-Unis autant qu'il l'a pu, ce qui lui a valu de devoir céder la direction du gouvernement à Tôjô Hideki.

Par ailleurs, ce n'est pas anecdotique dans le Japon de l'ère Shôwa, dans la sphère aristocratique, Konoe Fumimaro occupait une position en comparaison de laquelle un duché-paierie français n'était que de la gnognote. Sa famille était aussi ancienne que celle de l'empereur et son ascendance divine était, comme celle de l'empereur, attestée dans le kojiki. Les avis que pouvaient donner le prince Konoe avaient plus de poids que ceux d'un simple pékin.

Les militaires ayant pris la décision d'attaquer la base de Pearl Harbour avaient en main tous les éléments nécessaires. S'ils n'avaient pas su, c'est qu'ils avaient refusé de savoir.

Citer :
Et même si le rapport sur une guerre totale parle de rupture des approvisionnements en 1943, l’espoir peut subsister de forcer les USA à négocier avant, par exemple grâce à la menace allemande.
Négocier quoi ? Le Texas ?

Citer :
Oui, et c’est aussi vrai dans beaucoup de démocraties, et peut donc aussi les conduire à des décisions irrationnelles. Mais pour en revenir à la décision japonaise d’attaquer les USA, je n’ai pas assez insisté sur le fait que dans ce jeu d’acteurs, le pouvoir des militaires est hors de proportion avec celui des civils, puisque (notamment) les états-majors dépendent directement de l’Empereur. Un peu comme l’armée allemande en 1914-18. Là où le système démocratique (ou même à la rigueur les dictatures italienne et allemande) favorise un arbitrage rationnel en mettant sur un même pied l’ensemble des ministres, avec un pouvoir au-dessus qui décide, on a au Japon un système biaisé où les décisions des civils peuvent être contournées et remises en question par les militaires, lesquels en l’occurrence ont en vue l’intérêt supposé de l’armée ou de la marine et non celui du pays.
La question n'est pas de savoir d'où venait la décision qui a été prise mais de savoir si la décision était rationnelle ou irrationnelle, pour ne pas dire complètement folle. Le Japon de 1940 était une dictature. S'il y avait un jeu d'acteurs, il n'opposait pas les civils aux militaires. Il n'opposait pas non plus des intérêts de clans contre les intérêts de l'Etat. Il y avait consensus de tous les acteurs qui se partageaient ou se disputaient le pouvoir sur l'idéologie de la suprématie de la civilisation japonaise et sur l'objectif de dominer la région Asie-Pacifique. Il y avait divergence entre l'armée et la marine - les généraux pesaient pour privilégier les actions sur le continent, les amiraux pesaient pour privilégier les actions sur les archipels du Pacifique - mais tous étaient d'accord sur l'objectif ultime. Le jeu le plus déterminant était celui dans lequel s'opposaient réalistes et jusqu'au-boutistes. Il y avait des militaires parmi les réalistes et des jusqu'au-boutistes parmi les civils.

Citer :
Mais la question est de savoir jusqu’à quel point les cercles dirigeants eux-mêmes étaient victimes de cette propagande
Curieuse question. Faut-il poser la question de savoir si les dirigeants nazi croyaient en la supériorité de la race aryenne ?

Citer :
jusqu’à quel point cela a effectivement joué dans la décision en question
Jusqu'à quel point ? Mais cela explique tout ! L'opération Barbarossa s'explique par Mein Kampf. L'attaque de Pearl Harbour s'explique par le Kokutai no Hongi (Principes cardinaux des structures de l'Etat) et le Shinmin no Michi (La Voie des sujets) rédigés sous l'égide du premier ministre Konoe, même si le même Konoe, idéologue extrémiste mais homme d'Etat réaliste, s'était opposé à cette opération.

Citer :
Je ne suis pas sûr que les amiraux en chef aient lu le manuel que vous citez,
Dans une armée, les chefs connaissent la teneur des manuels d'instruction distribués à la troupe. Ces manuels sont rédigés selon leurs directives et sous leur contrôle.

Citer :
inversement ce que pense l’homme de la rue ou le soldat de base n’a sans doute pas eu beaucoup d’influence sur la décision dans le type de régime du Japon de 1941
Sur la décision, non, mais sur la mise en œuvre, oui. Il était important que le soldat se sacrifie en criant Banzai Tennô et que le civil accepte sans murmurer de se serrer la ceinture (au sens propre du terme, 1 800 calories par jour à la fin de la guerre) pour la gloire de l'empereur.

Citer :
Or, parmi les dirigeants, vous m’en avez cité 3 (il y en a d’autres) qui n’étaient pas convaincus d’une victoire contre les USA et donc sans doute pas aveuglés par la « supériorité » japonaise. Ce sont surtout les militaires (peut-être plus ou moins auto-intoxiqués par la propagande? mais aussi pour d’autres raisons) qui poussent le plus à la guerre.
Tout d'abord, la propagande émanait de civils. En Allemagne aussi : Goebbels était un civil. Les militaires n'étaient pas forcément les plus intoxiqués ni les plus va-t-en-guerre. Ensuite, être idéologiquement convaincu de la supériorité de la civilisation japonaise et être persuadé qu'un soldat japonais est supérieur physiquement et moralement à un soldat américain n'empêche pas d'admettre le fait qu'il y a plus d'Américains que de Japonais et que les usines Ford produisent plus d'automobiles que les usines Toyota.


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Message Publié : 26 Juin 2017 17:31 
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Barbetorte a écrit :
Première hypothèse : ils ne se sont même pas posé la question. En ce cas, ils étaient fous.

Au cours de la discussion sur l'opportunité de la guerre, un des membres du conseil impérial a dit :"Il faut parfois avoir le courage de sauter de l'auvent du temple [Shimano ?] à Kyoto."

Or, vu la hauteur du bâtiment, si on fait ce saut on se tue. En un sens, le conseil impérial était conscient de faire un choix quasi-suicidaire. (Après on aligne les raisonnements objectifs alambiqués, mais pour moi à la base il y a ça : de l'irrationnel.)

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Message Publié : 26 Juin 2017 22:58 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

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La rationalité des uns n'est pas forcément celle des autres, celle de l'occident peut être différente de celle de l'orient...
Je me souviens avoir lu dans le "Journal de Goebbels" quelques vérités premières au sujet de la capacité industrielle des USA, j'ai retrouvé le passage en date du 14 janvier 1942: "Hunke m'a remis un dossier très solide sur le potentiel d'armement des puissances ennemies. Selon ce texte, il existe des limites naturelles à l'armement des Etats-Unis et à ses possibilités. Surtout, outre-Atlantique, comme chez nous, on manque de main d'œuvre. Et il n'y a pas non plus une surabondance de matières premières...
... En revanche, Roosevelt ne pourra réaliser qu'une partie du programme aéronautique qu'il a annoncé parce qu'il n'a pas l'aluminium nécessaire. La comparaison des potentiels des deux camps n'a rien de décourageant." La myopie semble ne pas avoir été l'apanage des Japonais...
En 1895, et à l'encontre de toutes les prévisions, le Japon défait la Chine.
En 1905, poisson bien plus gros, c'est la Russie qui doit s'incliner.
David a déjà terrassé deux Goliath.
La décision japonaise me semble au contraire très rationnelle et réfléchie (sans même faire appel à un pseudo sentiment de supériorité raciale - qu'on peut davantage voir de l'autre côté, il n'est que de regarder les actualités de l'époque pour le comprendre). C'est un pari risqué, très risqué même mais en 1941 et sous embargo pétrolier alors que le pays pense avoir vécu 20 années d'humiliation, il ne voit d'autre choix que la guerre (il faut reprendre l'ensemble des lois américaines sur l'immigration et le commerce nippo - américain depuis 1920 pour avoir une idée de ce qu'on pu ressentir les Japonais dans les années 40).
Le sujet mériterait un long développement et je n'en ai pas le temps. Une dernière chose, pourquoi s'intéresser au Texas lorsqu'on a les Indes néerlandaises sur le pas de sa porte?


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Message Publié : 27 Juin 2017 4:38 
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cush a écrit :
Le sujet mériterait un long développement et je n'en ai pas le temps. Une dernière chose, pourquoi s'intéresser au Texas lorsqu'on a les Indes néerlandaises sur le pas de sa porte?

Vous vous faites rare, Cush, votre présence nous manque.

En revanche je ne comprends pas cette allusion au Texas. 8-|

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Message Publié : 27 Juin 2017 7:34 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

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Merci pour votre remarque Pierma, simple manque de temps, aucunement d'intérêt, soyez rassuré!

Je faisais allusion à une remarque de Barbetorte:
"Ce l'était d'autant moins que cela ne réglait pas la question du pétrole. On a besoin de charbon. Le charbon vient de Corée et de la Mandchourie. On envahit la Corée et la Mandchourie. On a besoin de caoutchouc. On peut trouver du caoutchouc en Indochine. On envahit l'Indochine. On a besoin de riz. Il y a des rizières en Birmanie. On envahit la Birmanie. On a besoin de pétrole. Le pétrole vient du Texas. On envahit le Texas ?"


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Message Publié : 27 Juin 2017 14:45 
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Salluste
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Inscription : 22 Mars 2011 13:45
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Le théâtre pacifique a une caractéristique distinctive qui est l'importance des distances. Il faut pouvoir projeter ses forces sur des milliers de km. Et c'est particulièrement difficile dans le pacifique est où les îles sont rares sans parler des infrastructures nécessaires aux armées. Il n'est pas idiot de penser qu'une attaque éclair s'emparant du pacifique ouest, il serait impossible aux américains de franchir avec une force suffisante le pacifique est.
Bien sûr cela implique d'être capable de contrôler l’Australie ou du moins d'empêcher les USA d'en faire une base d'attaque. Et la bataille de Midway, si elle avait été gagné par les japonais, aurait sérieusement mis à mal la situation des anglo-saxons dans la région.
La question que je me pose: n'aurait-il pas mieux valu frapper les infrastructures de pearl harbor plutôt que les navires? Nous en revenons aux regrets japonais, post guerre, sur une troisième vague.

Et puis les japonais pouvaient-ils anticiper les capacités logistiques des américains?


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Message Publié : 27 Juin 2017 15:27 
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Il y a ce mot curieux de Hiro-Hito lorsque le Conseil Impérial décide la guerre :
"Les tempêtes traversent les océans dans les deux sens, et tous les océans communiquent."

Sans s'opposer aux militaires - le pouvait-il ? - il lance une sorte d'avertissement prémonitoire.

_________________
Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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Message Publié : 27 Juin 2017 15:29 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 27 Déc 2013 0:09
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Ce qui a motivé le Japon à poursuivre une expansion japonaise entre 1870 et 1945 est complexe et demanderait de longs développements. Je n'ai pas parlé d'un sentiment de supériorité raciale, mais du sentiment d'appartenir à une civilisation supérieure. J'observe que le fascisme italien, le nazisme et le militarisme nippon ont coïncidé et qu'ils ont tous reposé sur des bases idéologiques tendant à un nationalisme exacerbé. Mussolini a puisé dans l'antiquité romaine, Hitler dans l'antiquité germanique et les théoriciens nationalistes japonais dans les mythes propres au Japon. Des causes similaires ont produit des effets similaires.

Le Japon avait remporté de façon inattendue deux victoires, la première sur la Chine en 1895 et la seconde sur la Russie en 1905. Mais il ne me paraît pas possible de parler de David contre deux Goliath et à d'extrapoler à une possible victoire contre les Etats-Unis. La Chine était en pleine décomposition. Quant à la Russie, c'était un pays très en retard à maints égards par rapport à l'Europe de l'ouest qui avait été attaqué à l'extrémité orientale de la Sibérie très loin de son centre de gravité. Enfin, en passant de la Russie de 1905 aux Etats-Unis de 1941, on change de catégorie. Nous avons vaincu la Chine en 1894, puis la Russie en 1905, maintenant, nous allons vaincrons les Etats-Unis … Sauf que les arbres ne montent pas jusqu'au ciel et qu'à trop tirer sur l'élastique on le casse.

Les années 1920 – 1940 auraient été des années d'humiliation ? Je vois mal. Les Etats-Unis ont certes privilégié l'immigration d'origine européenne. Mais, de leur côté, les Japonais étaient-ils disposés à accepter une immigration d'où qu'elle vienne ? En ce qui concerne les relations commerciales, je n'en ai qu'une maigre connaissance. Je sais toutefois qu'entre 1937 et 1940, bien que les Etats-Unis aient soutenu diplomatiquement la Chine et condamné le Japon, ils vendaient beaucoup plus d'armements au Japon qu'à la Chine, et qu'il fournissait le Japon en produits pétroliers à hauteur de 80% de sa consommation. Je pense que le ressenti ne devait pas correspondre à la réalité factuelle.

Si l'intention était de réaliser l'idée de sphère de coprospérité, il n'y avait pas d'autre choix que la guerre, j'en conviens. Mais avant de s'interroger sur le moyen, il faudrait s'interroger sur le but qui était de créer un empire colonial en s'emparant des colonies néerlandaises, britanniques, américaines et françaises. L'empire colonial n'était pas le seul modèle envisageable. J'aime bien évoquer la Suisse. Toutes proportions gardées, la Suisse, encerclée bien plus que le Japon, est devenue une grande puissance industrielle et financière en se passant fort bien d'un empire colonial. Evidemment, on imagine mal un samurai séduit par le modèle suisse plutôt que par le modèle prussien et cela nous ramène à la question initiale des motifs de l'expansion par la force militaire.

Pourquoi s'intéresser au Texas lorsqu'on a les Indes néerlandaises sur le pas de sa porte? Parce que les Indes néerlandaises ne produisaient pas assez pour satisfaire les besoins du Japon. Celui-ci importait 80% de sa consommation des Etats-Unis et 10% des Indes Néerlandaises. Les Etats-Unis assuraient 60% de la production mandiale, l'URSS 10%, le Vénézuella 10% et les Indes Néerlandaises 3% seulement. Outre l'exploitation autant qu'il était possible des ressources des Indes Néerlandaises, le Japon a eu recours à la production de carburants synthétiques comme l'Allemagne. L'approvisionnement en pétrole a été un très gros problème tout au long de la guerre. Les infrastructures indiennes n'ont pu être immédiatement exploitées parce qu'elles avaient été sabordées. De nouveaux forages ont été entrepris, mais ils ne produisaient pas encore lors de la capitulation en août 1945.


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Message Publié : 27 Juin 2017 16:58 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 11 Oct 2012 21:58
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Barbetorte a écrit :
Ce qui a motivé le Japon à poursuivre une expansion japonaise entre 1870 et 1945 est complexe et demanderait de longs développements. Je n'ai pas parlé d'un sentiment de supériorité raciale, mais du sentiment d'appartenir à une civilisation supérieure. J'observe que le fascisme italien, le nazisme et le militarisme nippon ont coïncidé et qu'ils ont tous reposé sur des bases idéologiques tendant à un nationalisme exacerbé. Mussolini a puisé dans l'antiquité romaine, Hitler dans l'antiquité germanique et les théoriciens nationalistes japonais dans les mythes propres au Japon. Des causes similaires ont produit des effets similaires.


Il n'y a malheureusement pas que les dictatures qui ont développé ce sentiment, et ce n'est pas non plus uniquement valable pour le passé. Je me souviens avoir lu un passage du manuel d'instruction de l'USAAF des années 40 qui précise que les Japonais sont de piètres pilotes car ils n'ont pas les capacités physiques pour maitriser un avion. Sans parler des avions eux-mêmes bien sûr qui sont de par leur conception bien inférieurs aux avions américains... Pour ce qui est de la pseudo civilisation supérieure, les Japonais n'ont pas le monopole de cette tare (il suffit de reprendre les discours colonialistes de la première moitié du XXeme siècle). Les Japonais tablent sur un effondrement moral de leur adversaire et ils se trompent, c'est exact mais les Français qui ont tenu 4 ans en 1914 se sont effondrés en 15 jours 25 ans plus tard...

Barbetorte a écrit :
Le Japon avait remporté de façon inattendue deux victoires, la première sur la Chine en 1895 et la seconde sur la Russie en 1905. Mais il ne me paraît pas possible de parler de David contre deux Goliath et à d'extrapoler à une possible victoire contre les Etats-Unis. La Chine était en pleine décomposition. Quant à la Russie, c'était un pays très en retard à maints égards par rapport à l'Europe de l'ouest qui avait été attaqué à l'extrémité orientale de la Sibérie très loin de son centre de gravité. Enfin, en passant de la Russie de 1905 aux Etats-Unis de 1941, on change de catégorie. Nous avons vaincu la Chine en 1894, puis la Russie en 1905, maintenant, nous allons vaincrons les Etats-Unis … Sauf que les arbres ne montent pas jusqu'au ciel et qu'à trop tirer sur l'élastique on le casse.


Il ne faut pas comprendre la victoire du Japon sur la Chine en termes européens mais asiatiques. La Chine, quel que soit son état de décrépitude est, et de toute éternité, la Puissance (régionale à minima). Une victoire sur la Chine est donc bien plus qu'une victoire militaire: c'est une victoire morale, c'est l'émancipation du petit poucet.
La Russie de 1905 n'est pas à des années lumières des Etats Unis de l'époque. Le Japon se modernise à partir des années 1870 et 35 ans plus tard, il affronte l'une des plus formidables puissances mondiales et la vainc sans (presque) coup férir... Aujourd'hui, il est évident que la flotte de la Baltique n'avait aucune chance mais à l'époque elle représente un formidable outil de combat (11 cuirassés russes contre 4 japonais, à l'époque où le cuirassé est le roi des océans, ça n'est pas rien...). Preuve que les capacités industrielles, militaires ou humaines ne constituent pas des obstacles insurmontables.
Les USA de 1941 ne sont pas la Russie de 1905, soit. Je le sais, vous le savez et il ne vient à personne l'idée de prétendre le contraire. Mais en 1941, Goebbels lui même se leurre sur les capacités des USA, et il n'est pas le seul (voir les réflexions de Darlan et de certains autres...). Pour mémoire, en 1918, l'armée américaine est équipée de matériel français... A la vérité, tout comme personne n'avait imaginé le formidable effort industriel des Soviétiques avant Babarossa, personne n'avait une idée exacte du potentiel des Etats-Unis en 1940.

Barbetorte a écrit :
Les années 1920 – 1940 auraient été des années d'humiliation ? Je vois mal. Les Etats-Unis ont certes privilégié l'immigration d'origine européenne. Mais, de leur côté, les Japonais étaient-ils disposés à accepter une immigration d'où qu'elle vienne ? En ce qui concerne les relations commerciales, je n'en ai qu'une maigre connaissance. Je sais toutefois qu'entre 1937 et 1940, bien que les Etats-Unis aient soutenu diplomatiquement la Chine et condamné le Japon, ils vendaient beaucoup plus d'armements au Japon qu'à la Chine, et qu'il fournissait le Japon en produits pétroliers à hauteur de 80% de sa consommation. Je pense que le ressenti ne devait pas correspondre à la réalité factuelle.


Les Japonais ont eu le sentiment, à tort ou à raison (souvent à tort, je suis d'accord avec vous) de n'être pris par les Américains (et les Européens) que comme un pays de deuxième classe (restriction sur l'immigration, traités commerciaux fluctuant au gré des bonnes fortunes économiques, traités navals "injustes"...). Le Japon pensait avoir acquis ses "titres de noblesse" en 1914 en se rangeant aux coté des Alliés mais à la fin de la guerre, ils ont le sentiment de n'avoir été que des Alliés de deuxième ordre, de ceux qu'on utilise puis qu'on jette lorsque le besoin n'est plus là. Ce n'est pas une question de lucidité ou d'objectivité mais d'impression, de sentiment.

Barbetorte a écrit :
Si l'intention était de réaliser l'idée de sphère de coprospérité, il n'y avait pas d'autre choix que la guerre, j'en conviens. Mais avant de s'interroger sur le moyen, il faudrait s'interroger sur le but qui était de créer un empire colonial en s'emparant des colonies néerlandaises, britanniques, américaines et françaises. L'empire colonial n'était pas le seul modèle envisageable. J'aime bien évoquer la Suisse. Toutes proportions gardées, la Suisse, encerclée bien plus que le Japon, est devenue une grande puissance industrielle et financière en se passant fort bien d'un empire colonial. Evidemment, on imagine mal un samurai séduit par le modèle suisse plutôt que par le modèle prussien et cela nous ramène à la question initiale des motifs de l'expansion par la force militaire.


Le but n'était certainement pas de créer une "sphère de coprospérité" mais bien un empire colonial permettant au Japon une autosuffisance alimentaire et énergétique tout en assurant à son industrie des débouchés stables.. Le rêve de tout colonisateur. Le principe n'est pas joli (et nous savons qu'il est à la fois illusoire et dangereux) et félicitations à la Suisse pour avoir évité cet écueil (en même temps, vu leurs façades maritimes...). Ce n'est pas le cas du Japon, dont acte. Ni de l'Angleterre, de la France, de l'Allemagne, des Pays bas, de l'Italie... Un samurai des années 40 est bien plus souvent un fonctionnaire qu'un guerrier... La caste est influente certes, mais pas forcément dans le sens que vous imaginez.


Barbetorte a écrit :
Pourquoi s'intéresser au Texas lorsqu'on a les Indes néerlandaises sur le pas de sa porte? Parce que les Indes néerlandaises ne produisaient pas assez pour satisfaire les besoins du Japon. Celui-ci importait 80% de sa consommation des Etats-Unis et 10% des Indes Néerlandaises. Les Etats-Unis assuraient 60% de la production mandiale, l'URSS 10%, le Vénézuella 10% et les Indes Néerlandaises 3% seulement. Outre l'exploitation autant qu'il était possible des ressources des Indes Néerlandaises, le Japon a eu recours à la production de carburants synthétiques comme l'Allemagne. L'approvisionnement en pétrole a été un très gros problème tout au long de la guerre. Les infrastructures indiennes n'ont pu être immédiatement exploitées parce qu'elles avaient été sabordées. De nouveaux forages ont été entrepris, mais ils ne produisaient pas encore lors de la capitulation en août 1945.


Je n'ai pas les chiffres de production du sud est asiatique dans la première moitié du XXeme ni ceux de la consommation du Japon. Je vais regarder tout ça (à moins que vous les ayez). Il me semble que les ressources en question suffisaient plus que largement à assurer les approvisionnements du Japon?

Si vous considérez les options du point de vue japonais, vous vous apercevrez que le calcul est beaucoup moins irrationnel qu'on l'imagine 70 ans plus tard: en 1941, les USA disposent de 7 porte avions dont un de peu d'utilité (le Ranger) et deux de taille moyenne (les Hornet et Wasp). En face, la Kido Butaï aligne une force surentraînée dont les pilotes ont l'expérience de la guerre. Comme signalé dans un post précédent, le Pacifique est vaste: si l'on élimine les PA, aucune intervention possible pour les Américains pendant plus d'une année (le PA de nouvelle génération et les "Independance" ne sortiront des chantiers que début 1943). Une période assez longue pour établir ce fameux cercle défensif et entraîner les USA dans une guerre de longue haleine dont on peut espérer que le peuple se désintéressera puis se fatiguera assez vite. Mais en 1941, imaginer que l'US Navy disposera de 26 portes avions d'escadre et de 71 autres d'escorte en 1945, je pense que même Nimitz n'en était pas capable.


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