J'écris :
Doit alors se poser la question pour les dirigeants japonais de savoir s'ils ont les moyens de sortir gagnants du conflit. et vous répondez
Eh non !. Essayons de discuter sérieusement.
Les dirigeants japonais ont-ils cherché à savoir s'ils avaient les moyens de sortir victorieusement d'un affrontement armé avec les Etats-Unis ?
Première hypothèse : ils ne se sont même pas posé la question. En ce cas, ils étaient fous.
Deuxième hypothèse : ils ne la sont posée, ils ont conclu oui et, ce faisant, ils ont commis une erreur d'appréciation. Reste maintenant à expliquer l'erreur. Se sont-ils livrés à une analyse sérieuse de la situation ? Il me semble que oui mais qu'ils ont refusé d'admettre les conclusions de leur analyse. La décision était alors irrationnelle et j'ai expliqué brièvement pourquoi avec des arguments peut-être insuffisamment convaincants. Il faut peut-être examiner les faits plus en détail.
Il s'agissait pour le Japon, je le rappelle, d'affronter un pays presque deux fois plus peuplé disposant de capacités industrielles nettement supérieures, d'une avance technologique et qui, de plus, ne souffrait pas des mêmes difficultés d'approvisionnement que le Japon en matières de base comme le charbon, le fer, le caoutchouc et autres produits agricoles.
Les dirigeants japonais pouvaient-ils raisonnablement conclure qu'ils sortiraient victorieux d'un conflit armé malgré leurs handicaps ?
La tension avec les Etats-Unis a atteint un niveau critique lorsqu'en septembre 1941 le Japon a envahi l'Indochine française et signé le Pacte Tripartite avec l'Allemagne et l'Italie. Les USA ont réagi en mettant fin aux exportations de pétrole. Les deux gouvernements étaient en pourparlers ininterrompus depuis janvier 1945 par l'intermédiaire du secrétaire d'Etat et de l'ambassadeur japonais à Washington mais ces pourparlers n'étaient qu'un dialogue de sourds. Le Japon affirmait bien haut ses intentions pacifiques et exigeait en conséquence la liberté des échanges commerciaux. Les Etats-Unis répondaient qu'ils étaient fondamentalement pour la paix et le libre-échange mais que le Japon devait traduire ses intentions pacifiques par des actes concrets. Ils n'étaient pas très exigeants : retrait des troupes japonaises de l'Indochine, déclaration de volonté de mettre fin au conflit avec la Chine et engagement à entrer en négociations ainsi que reconnaissance de la neutralité des Philippines lorsque celles-ci auront acquis leur indépendance. Le représentant japonais faisait savoir en substance qu'il était d'accord sur le principe des exigences américaines et, qu'une fois les échanges commerciaux rétablis, les choses étant ce qu'elles étaient, le gouvernement japonais verrait ce qu'il pourrait faire en Chine et en Indochine. En fait, le Japon exigeait des Etats-Unis le pétrole dont il avait besoin pour faire la guerre aux Etats-Unis et les Etats-Unis ne l'entendaient pas ainsi.
Le temps jouait contre le Japon et c'est ce qui a poussé à la décision d'entrer en guerre. Mais il ne suffisait pas de se contenter de ce constat. Encore fallait-il s'assurer que la position favorable dans laquelle se trouvait le Japon l'était suffisamment pour assurer une victoire décisive. Comment ? Ecraser les Etats-Unis comme l'Allemagne avait écrasé la France ? Difficile à envisager. Ont-ils supposé que les Etats-Unis défaits dans le Pacifique jetteraient l'éponge et laisseraient le Japon dominer le Pacifique ? C'était jouer aux dés. Or décider sur un coup de dés n'est pas rationnel.
Ce l'était d'autant moins que cela ne réglait pas la question du pétrole. On a besoin de charbon. Le charbon vient de Corée et de la Mandchourie. On envahit la Corée et la Mandchourie. On a besoin de caoutchouc. On peut trouver du caoutchouc en Indochine. On envahit l'Indochine. On a besoin de riz. Il y a des rizières en Birmanie. On envahit la Birmanie. On a besoin de pétrole. Le pétrole vient du Texas. On envahit le Texas ?
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On retrouve toujours après-coup les rapports qui démontrent ce qu’il aurait fallu faire.
Il ne s'agissait pas du rapport d'un obscur comité Théodule noyé dans une masse d'informations et d'avis plus ou moins autorisés. Le dirigeant qui avait reçu ce rapport était le premier ministre, Konoe Fumimaro.
Premièrement, Konoe Fumimaro, n'était pas seulement un chef de gouvernement de circonstance. Il était avant cela le plus éminent des auteurs de la théorie de la suprématie japonaise et des concepteurs de l'objectif qui en découlait, celui de la
Sphère de Coprospérité,
Deuxièmement, c'est lui qui avait ordonné la constitution de la commission ayant rédigé le rapport.
Troisièmement, non seulement il avait lu le rapport, mais encore celui-ci l'avait convaincu, bien qu'il adhérât au but de placer l'Asie-Pacifique sous hégémonie japonaise, .
Quatrièmement, comme chef du gouvernement, il était très bien placé pour faire connaître son avis et il s'est opposé à l'entrée en guerre contre les Etats-Unis autant qu'il l'a pu, ce qui lui a valu de devoir céder la direction du gouvernement à Tôjô Hideki.
Par ailleurs, ce n'est pas anecdotique dans le Japon de l'ère Shôwa, dans la sphère aristocratique, Konoe Fumimaro occupait une position en comparaison de laquelle un duché-paierie français n'était que de la gnognote. Sa famille était aussi ancienne que celle de l'empereur et son ascendance divine était, comme celle de l'empereur, attestée dans le
kojiki. Les avis que pouvaient donner le prince Konoe avaient plus de poids que ceux d'un simple pékin.
Les militaires ayant pris la décision d'attaquer la base de Pearl Harbour avaient en main tous les éléments nécessaires. S'ils n'avaient pas su, c'est qu'ils avaient refusé de savoir.
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Et même si le rapport sur une guerre totale parle de rupture des approvisionnements en 1943, l’espoir peut subsister de forcer les USA à négocier avant, par exemple grâce à la menace allemande.
Négocier quoi ? Le Texas ?
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Oui, et c’est aussi vrai dans beaucoup de démocraties, et peut donc aussi les conduire à des décisions irrationnelles. Mais pour en revenir à la décision japonaise d’attaquer les USA, je n’ai pas assez insisté sur le fait que dans ce jeu d’acteurs, le pouvoir des militaires est hors de proportion avec celui des civils, puisque (notamment) les états-majors dépendent directement de l’Empereur. Un peu comme l’armée allemande en 1914-18. Là où le système démocratique (ou même à la rigueur les dictatures italienne et allemande) favorise un arbitrage rationnel en mettant sur un même pied l’ensemble des ministres, avec un pouvoir au-dessus qui décide, on a au Japon un système biaisé où les décisions des civils peuvent être contournées et remises en question par les militaires, lesquels en l’occurrence ont en vue l’intérêt supposé de l’armée ou de la marine et non celui du pays.
La question n'est pas de savoir d'où venait la décision qui a été prise mais de savoir si la décision était rationnelle ou irrationnelle, pour ne pas dire complètement folle. Le Japon de 1940 était une dictature. S'il y avait un jeu d'acteurs, il n'opposait pas les civils aux militaires. Il n'opposait pas non plus des intérêts de clans contre les intérêts de l'Etat. Il y avait consensus de tous les acteurs qui se partageaient ou se disputaient le pouvoir sur l'idéologie de la suprématie de la civilisation japonaise et sur l'objectif de dominer la région Asie-Pacifique. Il y avait divergence entre l'armée et la marine - les généraux pesaient pour privilégier les actions sur le continent, les amiraux pesaient pour privilégier les actions sur les archipels du Pacifique - mais tous étaient d'accord sur l'objectif ultime. Le jeu le plus déterminant était celui dans lequel s'opposaient réalistes et jusqu'au-boutistes. Il y avait des militaires parmi les réalistes et des jusqu'au-boutistes parmi les civils.
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Mais la question est de savoir jusqu’à quel point les cercles dirigeants eux-mêmes étaient victimes de cette propagande
Curieuse question. Faut-il poser la question de savoir si les dirigeants nazi croyaient en la supériorité de la race aryenne ?
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jusqu’à quel point cela a effectivement joué dans la décision en question
Jusqu'à quel point ? Mais cela explique tout ! L'opération Barbarossa s'explique par
Mein Kampf. L'attaque de Pearl Harbour s'explique par le
Kokutai no Hongi (
Principes cardinaux des structures de l'Etat) et le
Shinmin no Michi (
La Voie des sujets) rédigés sous l'égide du premier ministre Konoe, même si le même Konoe, idéologue extrémiste mais homme d'Etat réaliste, s'était opposé à cette opération.
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Je ne suis pas sûr que les amiraux en chef aient lu le manuel que vous citez,
Dans une armée, les chefs connaissent la teneur des manuels d'instruction distribués à la troupe. Ces manuels sont rédigés selon leurs directives et sous leur contrôle.
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inversement ce que pense l’homme de la rue ou le soldat de base n’a sans doute pas eu beaucoup d’influence sur la décision dans le type de régime du Japon de 1941
Sur la décision, non, mais sur la mise en œuvre, oui. Il était important que le soldat se sacrifie en criant
Banzai Tennô et que le civil accepte sans murmurer de se serrer la ceinture (au sens propre du terme, 1 800 calories par jour à la fin de la guerre) pour la gloire de l'empereur.
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Or, parmi les dirigeants, vous m’en avez cité 3 (il y en a d’autres) qui n’étaient pas convaincus d’une victoire contre les USA et donc sans doute pas aveuglés par la « supériorité » japonaise. Ce sont surtout les militaires (peut-être plus ou moins auto-intoxiqués par la propagande? mais aussi pour d’autres raisons) qui poussent le plus à la guerre.
Tout d'abord, la propagande émanait de civils. En Allemagne aussi : Goebbels était un civil. Les militaires n'étaient pas forcément les plus intoxiqués ni les plus va-t-en-guerre. Ensuite, être idéologiquement convaincu de la supériorité de la civilisation japonaise et être persuadé qu'un soldat japonais est supérieur physiquement et moralement à un soldat américain n'empêche pas d'admettre le fait qu'il y a plus d'Américains que de Japonais et que les usines Ford produisent plus d'automobiles que les usines Toyota.