ALEXANDRE 1ER a écrit :
Si en 39 l'armée française avait eu l'ordre d'attaquer, l'Allemagne était vaincue et le régime nazi disparaissait.
Je sais que cette position est défendue, mais il s'agit d'un lieu commun, et il est fort imprudent d'avoir des certitudes sur le sujet.
En ce qui me concerne, l'armée française était bien peu capable de faire en septembre 1939 plus que ce qu'elle a fait au cours de l'opération "Sarre", en raison de ses limitations lourdes, liées tant à la sclérose doctrinale qu'aux contraintes du processus de mobilisation qui l'empêchaient d'adopter une posture offensive suffisamment puissante pour inquiéter les Allemands avant le retour du gros du Heer de Pologne, à partir de fin septembre 1939.
J'ai longuement développé ce sujet ici :
http://www.empereurperdu.com/tribunehis ... 1&start=15Notamment :
"Je ne pense pas que telle ait été la conception du commandement français. A étudier l'armée française de l'Entre-deux-guerres, on se rend compte de la volonté de perfection généralisée qui est celle de nos grands chefs d'alors. Ils veulent vraiment que tout l'enseignement de la Grande Guerre soit intériorisé, décortiqué, étudié, expérimenté. Et ils s'attachent, comme il est normal à ce niveau de responsabilité, à cela avec le plus grand sérieux.
Si cette recherche illusoire de la perfection a été le facteur d'inhibitions et de lourdeurs qui entrent dans une large part dans les causes de notre défaite de 1940, elle les a empêché de considérer avec légèreté un engagement comme celui de la Sarre en septembre-octobre 1939.
Je pense au contraire que le commandement prenait avec le plus grand sérieux la possibilité d'une offensive limitée allemande dès septembre 1939 et qu'il donnait la priorité au processus de couverture et à la mobilisation par rapport à une action offensive contre l'Allemagne.
Si l'on ajoute à cela le manque d'intérêt stratégique complet de la Sarre pour la France (je le répète une énième fois : pourquoi s'enferrer dans un territoire allemand où on sera en butte à la résistance active et passive de la population - cf. Ruhr 1923 - et sur des positions non aménagées alors que l'on est bien tranquille derrière notre position fortifiée frontalière ? C'est d'ailleurs pour cette raison que toutes nos modestes conquêtes de septembre 1939 sont abandonnées dès le mois suivant), on comprend sans peine pourquoi la France n'a pas fait plus en septembre 1939. La seule raison d'une telle offensive, c'est soulager la Pologne. Or, le 8 septembre 1939, les Allemands sont déjà devant Varsovie, et tout apparaît déjà joué.
Après, on peut estimer en sortant de la réalité historique qu'il aurait été préférable de lancer une action de plus grande ampleur et qu'on ait voulu bien plus poussée et décisive. Certes. Mais c'est oublier 1) que nos chefs ne savaient pas trop à quel coup fourré s'attendre des Allemands alors qu'ils étaient conscients de nos grandes faiblesses avant la mobilisation (je rappelle encore que notre armée du temps de paix comprenait 33 divisions en métropole, alors que les Allemands ont devant leur frontière occidentale 42 divisions lorsqu'ils attaquent la Pologne le 1er septembre 1939) ; 2) qu'ils ne pensaient absolument pas en termes de guerre mobile, mais bien en pensant sans cesse au rythme très lent et aux procédés méthodiques de la guerre précédente.
Bref, que rien ne militait en faveur d'une telle action, ni le rapport de forces immédiat, ni l'expérience. Que ce fut une erreur, on peut aujourd'hui (et même avec une seule année de recul en septembre 1940) le dire, mais le propre de celui qui s'essaie à l'Histoire n'est pas de juger les erreurs ou de les regretter, uniquement de les constater et d'en analyser les raisons. "
Ou encore : "Ayant étudié en profondeur l'armée française en 1939-1940 ces derniers temps, je pense pouvoir fonder ma conviction initiale sur des éléments précis. Et je suis encore plus catégorique : nous ne voulions, et nous ne pouvions, guère faire plus que ce qui a été fait.
1) nous ne le voulions pas.
Ayant pu avoir en main le document préparatoire à l'opération "Sarre" établi en juillet 1939, j'ai pu constater de visu que les objectifs opératifs étaient entièrement subordonnés à un objectif stratégique : soulager la Pologne. Celle-ci s'effondrant, l'opération devenait inutile, et toute progression en territoire allemand dangereuse et sans intérêt, la position fortifiée frontalière n'offrant de plus aucune protection aux forces ainsi aventurées.
2) nous ne le pouvions pas.
Nous n'avions pas les moyens, dans le laps de temps qui était imparti, pour faire plus qu'une action locale. Le problème se posait de plusieurs manières :
a) les seules forces disponibles rapidement, et encore sans leurs échelons b et c, sont les divisions d'active renforcées, destinées au processus de couverture de la mobilisation. Hors, la couverture se fait de la Mer du Nord à la Suisse, ce qui implique une dispersion au moins initiale de nos moyens.
b) la concentration du gros de nos forces se fait en vingt jours après la mobilisation. Or, le 22 septembre 1939, les Allemands en ont fini avec la Pologne et commencent déjà à rameuter des troupes vers l'ouest, rendant complètement aléatoire (car susceptible d'être violemment contre-attaquée) toute tentative offensive un peu développée (ce qui explique d'ailleurs notre retrait d'octobre, parfaitement justifié).
On accuse souvent le haut-commandement français d'incompétence, mais j'ajouterais qu'en l'occurrence, il a arbitré rationnellement. Face à nous, à l'ouest, 42 divisions allemandes de différents niveaux. Nos forces rapidement disponibles ne s'élèvent pas à ce chiffre, même si les Allemands doivent maintenir un dispositif face à la Belgique et aux Pays-Bas. Ensuite, le rapport de force ne peut qu'évoluer en notre défaveur, car si nous enregistrons un renforcement progressif de nos moyens (le processus de concentration s'achevant, les Britanniques rejoignant), les Allemands en bénéficient d'un encore plus massif (passant de 42 divisions à 90 en un mois quand nous ne mobilisons tous théâtres confondus que péniblement 80 divisions environ). Or, la posture offensive, vous n'êtes pas sans le savoir, implique d'avoir un avantage numérique marqué (ce qui était encore plus vrai pour des généraux imprégnés de la Grande Guerre - mais même aujourd'hui, en école de formation, on nous apprend qu'un ratio offensif minimal implique du 3 pour 1 !). Ce qui n'était garanti ni au début, ni surtout après, une fois que l'offensive se serait développée.
Et puis c'est sans compter sur un état d'esprit tourné à raison vers la défensive : pour compenser une démographie moins dynamique et un phénomène de "classes creuses" désastreux pour notre armée, nous nous sommes tournés vers un "bouclier" fortifié qui avait sa raison d'être. Pourquoi le négliger après avoir dépensé tant d'énergie et de moyens pour le construire ? Son unique raison d'être est la protection de la mobilisation et l'économie des moyens, pourquoi l'oublier en mettant en péril la première par une offensive aléatoire et en refusant la seconde en préférant risquer les poitrines plutôt que le béton ?
Si l'Histoire a montré la limite de ce raisonnement, il n'en reste pas moins très logique. Qui plus est, ce n'est pas le 8 septembre 1939, ni même en juillet 1939 qu'il aurait fallu s'en inquiéter, mais bel et bien vers 1930 ou 1935...
Pour tout dire, si jamais j'avais à changer une chose aux décisions de Gamelin entre septembre 1939 et mai 1940, ce n'est certainement pas l'opération "Sarre". C'est bien plutôt le catastrophique ajout de la manoeuvre "Breda" à l'opération "Dyle" : plus de VIIe Armée, plus de réserve stratégique, plus rien pour contre-attaquer une fois le front enfoncé sur la Meuse... Là est son erreur principale (avec la faiblesse du front des Ardennes), là est "l'occasion manquée" de clôturer le couloir des panzer ou au moins de les arrêter."
Un fil dédié existe sur PH si certains veulent poursuivre la discussion :
viewtopic.php?f=49&t=728&st=0&sk=t&sd=a&start=15CNE503