J'attire votre attention sur un fait de «micro histoire» tiré du chapitre «Évasions et captivités en Russie» de
Jean Louis Cremieux-Brilhac dans l'ouvrage sous la direction de Maurice Vaïsse,
De Gaulle et la Russie, pp. 75-90, Éditions Biblis, N° 16.
Il s'agit de prisonniers de l'armée française capturés en 1940 lors de la défaite de mai-juin, transférés en Poméranie, en Prusse Orientale ou dans le Gouvernement général de Pologne, qui s'évadent là où ils le peuvent c'est-à-dire en URSS (Russie selon la terminologie gaullienne!!), puisque après l'invasion de la Pologne par l'Allemagne d'un côté et par l'URSS de l'autre, la frontière germano-soviétique est commune . Seul un arrivera à s'évader vers la Lituanie à Kaunas à 100km de la frontière.
- Cette nouvelle frontière a des caractéristiques : il n'y pas de fortifications «au sol, par des obstacles matériels sérieux donc la surveillance est assez légère surtout du côté allemand. Elle est plus en profondeur du coté russe par des effectifs nombreux de militaires et de gardes-frontière «chargés d'interdire toute infiltration». De sorte que 217 militaires français, auxquels s'ajoutèrent 12 soldats britanniques, évadés le plus souvent par deux ou trois, quelques fois seuls, furent arrêtés ou dénoncés auparavant.
- Ils furent de suite soupçonnés d'espionnage et immédiatement arrêtés et mis au secret. Ils étaient passibles de poursuites en vertu de l'article 84 du Code pénal, qui punissait de 1 à 3 ans de camp le passage illégal de la frontière.
Ni leur statut de français ni, pour quelques-uns, leur appartenance au parti communiste ne leur furent d'aucun secours.
Après un délai variable d'incarcération dans les geôles infectes et surpeuplées de la zone frontière, puis de Grodno ou de Bialystok, ils furent expédiés à Moscou à la prison Loubianka. (ex du jeune sergent de carrière Paul Fauvelle, fait prisonnier le 1er juillet 1940 toujours au secret à Loubianka en mi-janvier 1941.
Dès octobre cependant, les autorités soviétiques avaient reconnu qu'il y avait un cas spécifique des évadés militaires occidentaux. Elles les regroupent à la prison de Moscou de Boutyrki.. Lesd évadés bénéficièrent désormais d'un traitement sans aménité mais incomparablement moins rude que celui des militaires polonais.
Au début de février 1941, quelque 70 militaires français dont 4 sous-officiers de carrière et 4 aspirants se trouvaient ainsi à la prison Boutyrki, répartis en 3 cellules. Le 3 février quelques-uns entament une grève de la faim. Le Directeur du NKVD pour les affaires concernant les prisonniers de guerre et internés, Soprounenko ordonna l'évacuation de la majorité (français) dans un camp de delestage : annexe du monastère de Kozielsk. Une fraction demande alors à être rapatriée en France (De Gaulle)
Les russes firent preuve d'un curieux mélange de rigueur et de mansuétude : les deux grèves furent matées brutalement, mais sans autre sanction. Soprounenko se déplace lui-même pour «parlementer». Une nouvelle phase arrive grâce à ces deux grèves. Français et Anglais dispensés de «stage» et malgré les chiens des gardes on laisse ces prisonniers s'autogérer. «Leur collectif forme une sorte de village concentrationnaire dans l'immensité russe» (p.79). C'est le propre fils du général Billotte, le capitaine breveté d'État-major Pierre Billotte qui devient à son arrivée le «starchi» (directeur du camp).
Cela n'empêche pas les rapports de se politiser et de se durcir :entre français eux-mêmes, et entre Français et Soviétiques. Neutralité soviétique (ambassadeur à Vichy et Pravda)
Opposition entre les non-communistes de plus en plus nombreux contre les communistes ou sympathisants.
Après le 22 juin 1941 (Barbarossa) les prisonniers anglais sont remis à l'ambassade anglaise à Moscou.
Le sort des prisonniers français est plus incertain : avec le déplacement des troupes russe ils sont acheminés vers le nord ( wagons à bestiaux cadenassés) sur le camp de Grazoviets près de Vologda.
Le 24 juillet 1941 le général De Gaulle alors au Caire a vent de l'affaire. Les anglais sont prévenus mais méfiants quant à la libération de prisonniers potentiellement agents de Moscou.
Billotte est libéré et accueilli avec les honneurs d'un chef de délégation.
Il opère un criblage des prisonniers : ils exclue les 14 communistes et également les derniers à avoir souscrit à la demande d'engagement dans les Forces Française libres .
Ce sujet peut déborder sur les prisonniers de guerre pendant le second conflit mondial. Je mets d'ailleurs quelques éléments bibliographiques que j'avais déjà notés dans le fil sur les prsionniers allemand et De Gaulle lors de la campagne de Tunisie.
Fabien Théofilakis,
Les Prisonniers de guerre allemands (France, 1944-1949), Fayard, 2014
Yves Durand,
La Captivité. Histoire des Prisonniers de guerre français (1939-1945), 1980
Jean-louis Crémieux-Brilhac,
Prisonniers de la liberté, Paris, Gallimard, 2003
Et désolé si le résumé/présentation est un peu décousu...
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«Κρέσσον πάντα θαρσέοντα ἥμισυ τῶν δεινῶν πάσκειν μᾶλλον ἢ πᾶν χρῆμα προδειμαίνοντα μηδαμὰ μηδὲν ποιέειν»
Xerxès,
in Hérodote,
L'Empereur n'avait pas à redouter qu'on ignorât qu'il régnait, il tenait plus encore à ce qu'on sût qu'il gouvernait[...].
Émile Ollivier, l'
Empire libéral.