Sir Peter a écrit :
Pour ce qui est de Gembloux voici les opinions du Maréchal Juin et du général du Vigier "le 15 au soir, le 16ème corps blindé allemand était battu. Mais ce n'était qu'un succès tactique, très localisé sur l'ensemble de la bataille engagée par le 5ème groupe d'armées du nord, bataille déjà stratégiquement perdue...... Le succès de Gembloux ne représentait donc dans la bataille des frontières qu'un Rezonville ou un Mars la Tour, avant de connaître les rigueurs d'un enroulement progressif et d'un encerclement total. L'Armée française....... était revenue dans son engourdissement au point de vue doctrinal aux erreurs funestes de 1870"
Lors d'une commémoration en 1960, il devait déclarer" si j'avais opéré en Italie de la manière tactique préconisée en 1940, je n'aurais pas mis à notre actif le Garigliano. Le 15 mai au soir, quand vint l'ordre de repli, certains régiments, comme le 7èmeTirailleurs, se trouvaient fort mal traités alors que d'autres unités, à l'instar de ma 15ème division étaient pratiquement intactes cependant que les Allemands avaient des ennuis qui ne venaient pas seulement des coups encaissés par leurs chars mais aussi de leur manque d'essence. L'occasion d'une brillante victoire nous était offerte. Nous l'avons perdue avec des conséquences incalculables. " Avis totalement partagé par du Vigier qui devait déclarer " Du point, ici où nous sommes, je pouvais voir les avions allemands parachuter des bidons d'essence pour leurs chars. J'ai immédiatement rendu compte en demandant l'autorisation d'attaquer. La réponse a été: "Nous vous rappelons que vous êtes en position défensive"
Mais le GA n°1 aurait pu prendre une posture offensive
pour faire quoi au juste ? Le XVI. Armeekorps (motorisiert) aurait été battu à plate couture à Gembloux, quels auraient été les effets d'une telle mise en échec sur le déroulement de la campagne ? N'aurait-ce pas été optimal pour la manoeuvre globale allemande (en attirant les Français encore plus à l'est) ?
On touche ici du doigt un concept déterminant dans la manoeuvre : tout succès trop marqué dans le secteur qui n'a pas l'effort peut mettre en péril la réussite de la mission principale en forçant l'ennemi à changer son plan.
Pour prendre un exemple, si une unité engagée dans une action de freinage (en préparation d'une contre-attaque de flanc) freine trop bien son opposante, le second échelon ennemi pourra décider de se réorienter dans un secteur plus "mou". La contre-attaque - qui a pour objet de neutraliser ou de détruire, d'"attritionner", le second échelon - tombera ainsi sur le vide, et l'intention du chef ne sera pas accomplie. Le subordonné trop agressif qui réalise trop bien sa mission (en appliquant trop strictement la lettre de celle-ci) au lieu de se concentrer sur l'esprit (en comprenant exactement ce que veut son chef et en dosant son effort en fonction) est ainsi en tort.
En l'occurrence, il eut mieux valu pour l'armée française se faire sèchement repousser de Belgique, plutôt que de s'y accrocher : elle aurait pu plus facilement s'en dégager et à moindre frais. Surtout, c'était exactement ce que voulaient les Allemands. Tout succès obtenu dans ce cadre est donc contreproductif : il ne faisait qu'enfoncer les Alliés dans leur erreur initiale. C'est d'ailleurs toute la subtilité d'un plan tel que celui du "Sichelschnitt" (inspiré directement d'un même schéma, celui de Cannae, quand le succès romain au centre, où l'armée carthaginoise est à deux doigts de rompre sous la pression des légions, n'est que le premier symptôme de la débâcle à venir).
A titre de comparaison, les Allemands en 1914 commettent une erreur majeure en s'accrochant à l'Alsace-Moselle, à tout le moins en y positionnant des forces suffisantes pour en conserver la domination, alors qu'ils avaient tout intérêt, dans la logique "porte à tambour" du plan Schlieffen, à ce que les Français y pénètrent largement (donc à défendre les Reichsländer avec le minimum de forces). Cela eût été le cas, jamais Joffre n'aurait pu réaliser son mouvement de rocade et envisager une contre-offensive sur la Marne... Les 6. et 7. Armeen ont donc été trop performantes dans leur mission défensive, là où leur défaite (tactique) aurait eu des conséquences très bénéfiques stratégiquement (en enferrant les Ire, IIe et IIIe Armées françaises loin en territoire allemand, consacrant leur encerclement sans remède à brève échéance). Mais je sors du sujet...
CNE EMB