phil1904 a écrit :
1° "La campagne d'Ulm" si je puis m'exprimer ainsi, ne s'est-elle pas deroulée en 1805?
Si. Mais elle n'est pas déterminante dans l'analyse que fait Clausewitz du style de guerre napoléonien, en tout cas infiniment moins que la campagne de Prusse de 1806. Comme c'est lui qui est à l'origine de cette conception de la guerre qu'est le Blitzkrieg, elle n'a pas eu l'influence qu'a pu avoir la campagne de 1806.
phil1904 a écrit :
2°Etes vous vraiment certain que la bataille d'Austerlitz n'eut aucune influence dans la conception de fall guelb? Je crois me souvenir qu'il y a quelques references a ce sujet.
Je n'en ai jamais entendu parler. C'est de Suvorov ?
Ca me paraît douteux mais je suis ouvert à toute information sur le sujet. Les officiers d'état-major allemands de la première moitié du XXe siècle - les Generalstäbler - ont généralement trois grands exemples historiques qui fondent leur conception de la guerre : la bataille de Cannae en -216 ; la campagne de 1806 ; la guerre de 1870-1871 (surtout la partie août-septembre 1870, jusqu'à Sedan). On peut y rajouter les campagnes du vieux "Fritz" pendant la Guerre de Sept Ans, mais à un moindre niveau (après tout, il a été battu plusieurs fois par Daun, et il a fallu le "miracle de la maison de Brandebourg" - pour faire simple la mort impromptue de la Tsarine Elisabeth - pour que Frédéric II sorte vainqueur de ce conflit). Ce n'est pas exclusif d'autres, bien entendu, mais aucun n'a un tropisme aussi marqué que ceux-là. Je suis sceptique sur Austerlitz même s'il est certain qu'ils en ont étudié le mécanisme - ce sont eux les inventeurs du RETEX après tout...
phil1904 a écrit :
3°Lors de la contre offensive de Karkhov en 1943 Von Manstein, adepte de la blitzkrieg, ne sut-il pas profiter de l'initiative soviétique?
C'est bien tout le problème avec votre vision du Blitzkrieg. Manstein n'est pas "adepte du Blitzkrieg". Il est un officier allemand, qui plus est un Generalstäbler et l'un des plus en vue, éduqué dans un système doctrinal qui valorise la victoire fulgurante. Il la recherche absolument par culture, parce qu'il a appris de l'histoire militaire de son pays que c'était la manière la plus sûre de mener une guerre (et il a des exemples en quantité, tant en positif qu'en négatif : Frédéric II, la campagne de 1806, les "Befreiungskriege" de 1813-1814, la guerre franco-allemande de 1870-1871, même les combats de 1914). C'est comme ça qu'il pense, comme la plupart de ses camarades, parce qu'il a été "drillé" comme ça. Mais vu que le Blitzkrieg n'est pas une recette de cuisine que l'on peut assaisonner à toutes les sauces...
Surtout que le principe de réalisme s'applique : quand on perd l'initiative, eh bien... on la perd. On ne peut pas rebooter la séquence et reprendre à la dernière sauvegarde, on est obligé d'y faire face. Comme c'est un excellent stratège, il sait ainsi profiter des circonstances, mais nul doute qu'il aurait préféré que la guerre contre l'URSS s'achève à l'automne 1941 par une victoire décisive allemande... De toute manière, sa contre-offensive de Kharkov, associée à quelques autres mouvements pertinents de l'armée allemande en cette fin d'hiver 1942-1943 (opération "Büffel", notamment), permet de regagner l'initiative.
phil1904 a écrit :
4° Vous parlez de l'importance de Clausewitz dans la génése de la blitzkrieg. Mais de toute facon, il a influencé la pensée militaire des états majors allemands aussi bien en 1870, 1914 ou 1940, par exemple, qu'ils soient partisans ou non de la blitzkrieg.
Qu'est-ce qu'être "partisans du Blitzkrieg" ? Regardez les définitions qui en sont donnés et vous comprendrez aisément que ça ne signifie rien. De toute manière, à partir de 1942, les Allemands ne mènent plus un Blitzkrieg mais une guerre d'usure puisqu'ils n'ont plus l'espoir d'achever le conflit victorieusement par les armes rapidement - ce qui est l'essence du Blitzkrieg - et visent des objectifs qui ne sont que des "buts dans la guerre" (Zweck), non plus des "buts de la guerre" (Ziel)*.
Surtout que vous allez parfaitement dans mon sens en disant que Clausewitz a influencé plusieurs générations d'officiers allemands. Eh bien oui, et ceux qui sont aux commandes en 1939-1941 ne sont pas sortis du néant, ils ont été instruits, éduqués même, par les exemples jugés glorieux de leurs prédécesseurs, qui ont su faire de la Prusse un Etat qui compte (au XVIIIe), vaincre l'un des meilleurs généraux de l'Histoire (Napoléon), unir le Reich "par le fer et le sang", tenir quatre années face à une coalition inédite. Clausewitz est déterminant dans cette appropriation culturelle, et Napoléon l'est donc par son biais au même titre que Moltke.
Et est-ce que la campagne d'août 1870 n'est pas un Blitzkrieg ? Franchement, réussir à supprimer les 9/10e de ce qui était considéré comme la plus performante des armées européennes en cinq semaines, c'est une guerre-éclair. Le seul bémol, c'est l'absence de cheval-vapeur, sinon, cela correspond absolument aux définitions données ci-dessus (par exemple : "Le Blitzkrieg est une stratégie offensive visant à emporter une victoire décisive par l'engagement localisé et limité dans le temps d'un puissant ensemble de forces
mécanisées, terrestres et
aériennes dans l'optique de frapper en profondeur la capacité militaire, économique ou politique de l'ennemi." - j'ai souligné les deux seuls éléments qui s'en distinguent même s'ils ont clairement leur importance).
Et le plan "Schlieffen", ce n'est pas un Blitzkrieg en puissance ? Planifier l'élimination de l'équation de la seconde puissance militaire continentale en six semaines pour pouvoir se retourner contre l'ogre russe, qu'est-ce d'autre ? Il n'y manque encore que le cheval-vapeur en quantités significatives (et la réussite).
Les Allemands ne font pas en 1939-1941 autre chose qu'ils n'ont fait en 1870 et 1914. Sauf qu'ils y ont ajouté des particularités - par le biais d'une révolution dans les affaires militaires, occurrence relativement rare dans l'Histoire - qui exacerbent leur potentiel militaire par rapport à leurs ennemis et leur permettent de créer une différence essentielle et donc d'obtenir la victoire qu'ils n'ont su obtenir en 1914.
Donc oui, Clausewitz est déterminant dans la genèse du Blitzkrieg, tout comme le sont logiquement les retours d'expérience des guerres de 1870-1871 et de 1914-1918 au cours desquelles ils se sont largement inspirés de l'exégèse qu'il a réalisé des campagnes de Napoléon et en premier lieu de celle de 1806. Et ?
* Si vous êtes intéressés par le sujet, les premiers actes du colloque du CEREM du 15 et 16 juin 2009, regroupé dans l'ouvrage collectif
La fin des guerres majeures ?, traite de cette différenciation fondamentale, en particulier la deuxième partie sur les manifestations de la guerre totale dans l'Histoire.
CNE EMB