Ce n'est que l'interprétation la plus rationnelle et raisonnable de la situation stratégique entre septembre 1939 et mai 1940. Le seul moment où nous pouvons prendre l'offensive avec une chance raisonnable et de succès, et d'obtenir des avantages un tant soit peu significatifs (car à quoi sert de lancer une offensive, même couronnée de succès, si ce n'est que pour gagner quelques arpents de terre sans aucune valeur tactique ou stratégique ?), est septembre 1939, lorsque le gros de l'armée allemande est engagée en Pologne. C'est à ce moment, et à ce moment seulement, que le rapport de forces général sur le théâtre d'opérations nous est favorable. Plus jamais, avec le retour des divisions engagées en Pologne à compter de la dernière décade de septembre 1939, ce rapport de forces ne sera en notre faveur.
Qui plus est, nous prenons effectivement l'offensive en septembre 1939. Le 8, nous lançons l'opération "Sarre", afin de soulager les Polonais en menaçant le flanc occidental allemand. Il nous était impossible de lancer cette action auparavant compte tenu des contraintes liées au processus de mobilisation/concentration, et déjà le 8, nous savons que c'est plié pour les Polonais, et que cette offensive ne les soulagera nullement vu que leur sort est scellé. La situation stratégique générale eut été autre, nous aurions peut-être pu développer notre action en appui des Polonais, conquérir une zone plus vaste, aborder plus franchement le "Westwall". Mais la vérité toute crue est là : avec un rapport de forces favorable, nous n'avons été capables que de s'emparer de quelques kilomètres carrés de territoire allemand défendus très mollement et sans aucun intérêt. Les rares actions à dominante offensive que nous avons essayé de lancer entre le 10 mai et le 25 juin 1940 se sont révélées être soit d'une ampleur dérisoire, soit impossible à initier en raison de difficultés de coordination et de frictions lourdes entre les différents protagonistes. De là à penser que nous étions incapables de mener une action offensive coordonnée de quelque ampleur, il y a un pas que je ne franchis pas, mais par pure timidité maladive...
Alors quand je lis que nous aurions dû prendre l'offensive en janvier ou en mars 1940, face à des Allemands qui comptent plus de trente divisions de plus que nous (pour mémoire, en septembre 1939 ils comptent 107 divisions mais seulement 42 à l'ouest, nous en avons 81 dont une partie non négligeable dans les colonies ; à partir d'octobre 1939 ils en ont plus de 115, nous en avons 88 plus six britanniques moins celles déployées dans les colonies ; en mai 1940 ils en ont 153, nous 117 dont plusieurs au Levant et en AFN, mais il faut rajouter les dix divisions britanniques) et sont retranchés derrière des fortifications de qualité établies en profondeur, je me dis qu'il faut être incapable d'appréhender la réalité et des capacités offensives françaises, et du potentiel de l'armée allemande.
Car quand bien même nous aurions mené une action offensive, pour quel objectif ? S'emparer de la Ruhr ? De Berlin ? Soyons sérieux, ces objectifs sont largement au-delà de nos moyens, tout au plus aurions-nous pu prendre un mouvement de terrain favorable à quelques kilomètres, une poignée de localités sans importance ou une tête-de-pont derrière un cours d'eau secondaire. Et cela au prix modique de plusieurs milliers de tués, blessés et disparus, de dizaines de milliers d'obus tirés ? Et puis en plus, s'enfoncer en territoire allemand, c'est perdre le bénéfice de l'appui de la ligne fortifiée frontalière qui nous assure un confort tactique sans commune mesure avec la petite fortification de campagne...
L'offensive avant le 8 septembre 1939 est impossible pour des raisons de mise sur pied de guerre, inutile par la suite. Toute action offensive menée entre octobre 1939 et mai 1940 aurait été non seulement condamnée à l'échec, mais surtout périlleuse et coûteuse pour des objectifs aléatoires, mais même plus que ça, nuls.
La seule stratégie possible, c'est celle qui a été suivie. Encore fallait-il avoir un plan d'opérations défensif qui tienne la route une fois que les Allemands, conscients que le temps joue en leur défaveur, se seraient décidés à prendre l'offensive. Et c'est là que le bât blesse et que l'on peut incriminer Gamelin, pas ailleurs.
CEN EMB
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