Cher Aigle,
J'ai quelques doutes sur la qualité relative de cette synthèse. Il me semblait avoir déjà mieux résumé ma position, en tout cas plus clairement, sur un autre fil dédié - que j'ai été incapable de retrouver
En tout état de cause, je pense qu'il était illusoire d'attendre autre chose de la France en septembre 1939, encore plus ensuite, avec le retour du gros des forces allemandes de Pologne vers les frontières occidentales du Reich. Elle n'en avait guère envie, d'une part, et ce pour d'excellentes raisons ; et n'en était de toute manière guère capable, l'eut-elle voulu.
Ce que vous mettez en exergue par ailleurs est juste :
1) le pacte germano-soviétique rend caduque la réédition de la stratégie de 1914, quand le blocus maritime des Empires centraux était quasiment hermétique. A ce titre, on ne peut attendre les mêmes effets que le blocus de 1914-1918, qui a déjà pris trois bonnes années à les faire sentir de manière sensible aux Allemands... Mais c'est mieux que rien, et l'Allemagne de 1939 n'a absolument pas la même solide assiette industrielle, énergétique et en ressources stratégiques que celle de 1914. On notera de plus que les stratégies périphériques alliées visant l'URSS - que ce soit l'envoi d'un corps pour renforcer la valeureuse armée finlandaise ou bien l'opération "Pike" - plutôt que l'Allemagne visent bel et bien à rééquilibrer les données stratégiques sur un pied identique à la Première Guerre mondiale : en faisant sortir de l'équation les immenses ressources russo-soviétiques, sinon à son profit comme en 1914, en tout cas en les déniant à l'ennemi allemand.
Je suis en revanche plus circonspect sur l'apport italo-espagnol : si ce n'est pas le cas de l'Italie qui lui est frontalière au sud et qui peut espérer utiliser à cet effet quelques cols alpins, l'Espagne est totalement isolée de l'Allemagne sous blocus, que ce soit par la voie terrestre qui passe obligatoirement par la France ou la voie maritime étroitement contrôlée par les flottes franco-britanniques. En revanche, ces deux économies sont totalement sinistrées en 1939-1940, et loin d'être une aide pour l'Allemagne, elles ne lui procureraient rien d'autre que des charges insupportables en matières premières (par exemple en hydrocarbures, en biens de consommation, mais pour l'Espagne il y a également pénurie de céréales si je ne m'abuse, celle-là même qui guette l'Allemagne !).
2) absolument rien n'assurait que l'armée allemande resterait l'arme au pied : tout à fait, c'est pour cela que les plans alliés prenaient en compte cette hypothèse d'une offensive allemande, où qu'elle se déclenche (même par la Suisse). Ils l'espéraient même, en souhaitant la mettre en échec sèchement et améliorer ainsi d'autant en leur faveur la balance des potentiels allié d'un côté, allemand de l'autre. Mais les Allemands ont adopté une stratégie d'une témérité qui aurait été folle si elle n'avait été couronnée de succès, d'abord en lançant l'opération "Weserübung", un modèle de prise de risque stratégique des plus conséquentes avec des moyens parfaitement calibrés* ; ensuite en jouant le sort de la campagne sur la première utilisation concentrée à l'échelle opérative de moyens mécanisés à l'endroit le plus improbable qu'ils soient utilisés, et utilisés concentrés. Bref, ils - Hitler en particulier - ont parfaitement identifié quelles étaient les contraintes de leur situation stratégique, en particulier celles qui allaient en se renforçant plus le temps passait, et ils en ont déduit comme impératif, entre autres, qu'il leur fallait abattre la puissance militaire alliée dans l'ouest du continent européen au printemps 1940 au plus tard. Pour ce faire, il était inutile de procéder classiquement et de reproduire ce qu'il s'était produit en 1914, il fallait obtenir un succès décisif, à la portée stratégique, en un laps de temps réduit.
A contrario, nous avons été incapables de "penser rouge", d'imaginer que les Allemands comprendraient que la réédition de 1914 ne pouvait être, que cela signifiait pour eux perdre la guerre irrémédiablement en étant incapable de l'emporter décisivement sur la France. Et donc qu'ils agiraient avec une audace stupéfiante, loin des canons de la stratégie post-1918. A notre décharge, vu que nous n'avions que des capacités offensives extrêmement limitées, avec notamment l'absence de grande unité mécanisée autonome capable d'opérer dans la profondeur, nous n'avions jamais pu tester la capacité de celle-ci en réel, et ne pouvions qu'esquisser ce qui pouvait être. Les Allemands procèdent le 10 mai 1940 à une expérimentation en temps réel, jusqu'alors jamais réalisée, pas même en Pologne en septembre précédent : le regroupement dans une structure de niveau opératif de la majeure partie de leurs grandes unités mécanisées. Même eux n'étaient pas sûrs du résultat, alors qu'ils savaient pertinemment quelles étaient les capacités en action, d'autant plus qu'ils les avaient testées tactiquement en Pologne. Comment aurions-nous pu savoir là où eux-mêmes ne faisaient que tâtonner ?
* Car elle n'engageait pas une composante aéroterrestre suffisante pour obérer le potentiel là où il était absolument nécessaire qu'il soit concentré, face à la France. Ainsi, seule une poignée de divisions a été déployée au Danemark et en Norvège, tandis que la contribution de la Luftwaffe, pour significative qu'elle fut sur le sort de la campagne, resta très limitée en volume. En revanche, la quasi-totalité de la Kriegsmarine, dont le potentiel était absolument inutile face à la France ou au Royaume-Uni, a été engagée, y compris dans des conditions de sûreté notoirement insuffisantes qui soulignent bien l'audace de la manoeuvre combinée retenue et lancée à distance d'interception de la principale flotte de combat européenne et même mondiale, comme l'illustrent la destruction du "Blücher" le 9 avril 1940 ou des dix contre-torpilleurs de Narvik les 10 et 13 avril 1940.
CNE EMB