Il a raison sur ce fait (la division du commandement supérieur en un état-major général qui n'est en fait qu'un cabinet particulier d'enregistrement d'Hitler, et un état-major de l'armée de terre qui se veut l'héritier de l'Oberste Heeresleitung d'Hindenburg et de Ludendorff, mais n'en est plus que le pâle reflet, est en effet une hérésie en terme d'efficacité militaire, entièrement voulue et assumée par Hitler qui veut diviser pour mieux régner), mais tout ce qu'il écrit est orienté dans le sens du storytelling d'après-guerre visant à exonérer la Wehrmacht de ses crimes, de ses manquements, de ses fautes. Et à accabler Hitler, le bouc émissaire idéal de la défaite. Donc c'est à prendre avec une pince à linge sur le nez, une bonne dose de recul et de doute cartésien. Et ce n'est certainement pas à prendre au pied de la lettre. Bizarrement, Manstein n'évoque pas les raisons pour lesquelles il a été condamné le 18 décembre 1949 à 18 ans de prison pour négligence envers son devoir de contrôle de ses subordonnés dans l'application des lois de la guerre, le rendant coupable de participation à une entreprise génocidaire, ainsi que pour avoir ordonner des déportations massives, autoriser des violences sur des civils ou des prisonniers, et autoriser l'exécution sans jugement de prisonniers de guerre et de commissaires politiques.
J'ai trouvé les mémoires de Manstein, de toute manière, relativement anecdotiques. Bien moins intéressantes que le journal de Bock (qui, tué le 2 mai 1945, n'a pu le retoucher), ou que le journal de guerre d'Halder, dont on sait qu'il n'a pas été retouché significativement après-guerre. Ces témoignages sont de plus bien plus factuels, puisque ce sont des carnets écrits au jour le jour et non une collection de souvenirs écrite bien plus tard. Celles de Manstein sont du même acabit que le recueil de conférences faits par Paulus en Allemagne de l'est au début des années 1950 : orientées, biaisées, mensongères même. Elles ne sont pas dénuées de valeur, mais plus par ce qu'elles indiquent sur le schéma de pensée d'après-guerre de Manstein que sur les évènements qu'il relate, au-delà de quelques faits généralement très confidentiels. J'ai par ailleurs trouvé ces mémoires assez imprécises sur de nombreux épisodes.
Ca fait au moins la quatrième fois que je le dis, mais apparemment ça n'interpelle personne...
Quant au blocage défensif "bien connu" (sic) de Hitler, voilà une assertion bien cavalière. Outre que Hitler a promu aux plus hautes responsabilités des généraux passés maîtres dans la défense en profondeur (cf. mon message plus haut : Model, Friessner, Heinrici, Rundstedt, etc, etc) ce qui rend son "blocage défensif" bien fluctuant, cela se conçoit aisément en raison de l'approche "fridéricienne" de la conduite du conflit qu'a adoptée Hitler à partir de fin 1941 : puisque le sort des armes seul ne peut suffire à obtenir la victoire, il faudra qu'un coup du sort la favorise, comme le "vieux Fritz" a été favorisé par une révolution de palais à Saint-Pétersbourg en 1762, au moment où son étoile pâlissait, son armée disparaissait, sa chance se dilapidait, ses rêves de grandeur s'effondraient. Dans cette optique comparative qui détient une rationalité certaine, défendre ferme afin de gagner du temps n'est pas incohérent sur le plan stratégique, même si cela a des implications très négatives à l'échelle tactico-opérative. Mais Hitler est un homme d'Etat, en rien un homme de guerre, et il agit en politique, pas en militaire. On peut le lui reprocher, mais dire que c'est parce qu'il a un blocage psychologique me semble être tout à fait erroné.
CNE EMB
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