Dalgonar a écrit :
Il semble que lors des recensements sous Vichy, la question de la religion (présentée par Vichy comme également "race") ait été souvent, ou toujours, auto-déclarative. Un juif pouvait-il répondre qu'il ne l'était pas? Si oui, qui était chargé de "détecter" ceux qui auraient omis ce point? Si une personne athée issue d'une famille juive ne se déclarant pas comme "juive" était dénoncée comme juive, quels étaient les critères qui permettaient aux autorités de les classer comme "juifs"? Etait-ce laissé à la discrétion de chaque fonctionnaire? Le statut des juifs en France était calqué sur celui de l'Allemagne, donc les mêmes règles s'appliquent-elles? Quid des familles athées depuis plusieurs générations? (*)
Non, la conception de Vichy n'était pas celle de l'Allemagne, puisque le deuxième statut des juifs prévoyait qu'un Juif cessait d'être Juif s'il était baptisé avant le 25 juin 1940 et produisait le certificat
adhoc (art 2, alinéa 2 de la loi du 2 juin 41). Inimaginable dans la vision allemande qui est 100% raciale.
Comment définir qui est juif, qui ne l'est pas? Intéressante question sur laquelle se sont penché les tribunaux pendant toute la guerre. A la mi-44, commençait tranquillement à émerger une jurisprudence en la matière (!)
1- notons de manière liminaire que
pas une seule fois un seul tribunal, qu'il fut civil, pénal ou Conseil d'Etat ne s'est estimé incompétent pour trancher en la matière. Cela n'a fait sourciller aucun magistrat d'avoir à décider si quelqu'un était Juif ou pas.
(rappelons une fois encore qu'il n'y a pas un seul magistrat français dans la liste des Justes Parmi les Nations) .
2- les premières affaires sont venus des affaires familiales. Des ménages dont un conjoint était Juif voyaient leur régime matrimonial modifié, leur patrimoine réorganisé et cela a donné lieu à des contentieux. Ce sont donc naturellement des juridictions civiles qui se sont penché sur le sujet, d'autant qu'elles avaient non seulement la compétence dans les affaires familiales mais aussi en ce temps en matière d'état-civil. En janvier 44, le Tribunal de la Seine dans un arrêt très détaillé, estime la justice civile seule compétente en la matière.
3- Les tribunaux civils ont donc considéré qu'il décidaient d'eux-mêmes qui serait juif ou qui ne le serait pas. Comme ils décident par exemple qui a besoin d'être placé sous tutelle.
En ce qui concerne la preuve, il y a eu de tout, jusqu'au plus baroque. Mais les juristes observent globalement un
inversion de la charge de la preuve, c'est à dire
globalement une "présomption de judéité". Le pompon en la matière revient au Tribunal de Rabat, qui en 1941, affirme: un homme baptisé, s'affirmant athée, est juridiquement déclaré juif. Le tribunal cite pourtant les instructions "Vallat" selon lequel:
Citer :
l’adhésion à l’Église catholique ou à l’Église réformée de France ou à l’Église de la confession d’Augsbourg [...] est le seul mode de preuve positif admis par le législateur pour établir la non-appartenance à la religion juive de l’individu né de deux grands-parents juifs.
Mais le tribunal décide dans ce cas d'espèce d'aller outre les instructions du ministre, puisqu'il déclare l'individu Juif quand même, dans la mesure où il est circoncis.
Il y a eu des tribunaux qui ont gardé plus de bon sens, Toulouse ou Aix-en-Provence par exemple. En gros, "ce n'est pas parce qu'on a un nom à consonance alsacienne qu'on est forcément juif" Ouf!
4- Le Conseil d'Etat se penche très rapidement sur le sujet aussi, voyant arriver les contentieux des fonctionnaires chassés de leurs offices ou contestant leur calcul de droits à la retraite. Là aussi, pas d'émoi pour trancher entre qui est vraiment Juif ou qui ne l'est pas. Pas un mot de réserve sur la compétence, ou sur la légalité de la Loi etc.
5- à la marge, des juridictions pénales ont eu aussi à se pencher sur le sujet. Il semble qu'elles n'ont pas adopté cette "présomption de judéité". Ayant d'une part la culture
le doute doit profiter à l'accusé. Peut-être ayant aussi mieux conscience de l’inextricable b...l qu'était la définition d'un Juif (rappelons les critères: 3 grands-parents Juifs, ou deux si on est soi-même marié à un Juif... ).
Source:
Le Conseil d’État et le régime de Vichy : le contentieux de l’antisémitisme, Philippe Fabre, mémoire de DEA en Droit Public à Paris I, 1998