Jerôme a écrit :
Pierma a écrit :
Effectivement, que les Français (ou "des Français") puissent retrouver la fierté d'eux-même sur ce sujet est important.
Très juste . On devrait d'ailleurs se demander comment et pourquoi les thèses contraires ont pu se répandre aussi facilement. En général se sont les mensonges flatteurs qui se diffusent vite. Pas les mensonges avilissants.
Sans doute y avait il dans les années 1970 une volonté de certains milieux universitaires de mettre à bas la double épopée résistante , celle des Gaullistes et celle des communistes.
Les milieux universitaires des années 70, vous n'allez tout de même pas repartir sur "Mai 68" ? Pourquoi, première chose, les milieux universitaires ?
A cette époque, effectivement, on commence à démonter les mythes. Paxton met en lumière la collaboration de Vichy, on se rend compte que la rafle du Vel'd'Hiv a été menée par les policiers français sous autorité française. De même "Le chagrin et la pitié" fait apparaître une France beaucoup plus désunie que ne le veut la légende gaulliste. (il est fou de penser que la diffusion de ce documentaire a été interdite, dans un premier temps, sauf erreur de ma part : il ne fait pas bon toucher à la légende officielle.)
C'était dans l'ordre des choses : que la légende dorée gaulliste, et plus encore la légende à gros chiffres du PCF ("le parti des 100 000 fusillés", alors qu'il n'y a pas eu 100 000 fusillés en France) aient tenu 25 ans est sans doute une bonne chose pour la cohésion nationale, mais n'était pas tenable dans la durée : on ne pouvait éternellement cacher qu'il y ait eu un Vichy, et pas tombé du ciel.
Vous demandez pourquoi les vilenies ont marqué les esprits de façon précoce ? J'y vois, de façon paradoxale, le fait que beaucoup de gens, ont de près ou de très loin, fait "un peu quelque chose" pour la Résistance.
Dans les années 60, celles de mon enfance, on me disait qu'l y avait des gens, pendant la guerre, qui dénonçaient les gens, qui écrivaient des lettres aux Allemands... A moins de 10 ans, je ne savais pas tout de la participation de ma famille paternelle à la Résistance, mais je savais que les résistants, et tous ceux qui leur ont rendu service, avaient vécu avec cette crainte : qu'une lettre meurtrière les expédie dans un camp de concentration, dont on me disait aussi de quoi il s'agissait. (De fait mon grand père avait eu droit à une provocation de la Milice, qui lui avait envoyé deux faux résistants, qu'il a reniflés et insultés comme mauvais Français, traitres au Maréchal. Malgré tout il a dormi dans les champs pendant un mois, craignant une arrestation. Au départ de ça, il y a nécessairement un informateur ou une lettre de dénonciation, l'un ou l'autre d'ailleurs assez peu renseignés, pour que les deux individus ne repassent plus. - Auraient-ils eu une certitude que les choses se seraient passées de façon plus dramatiques.)
J'ai tendance à penser que c'est cette crainte diffuse chez les résistants et leur amis, tous ceux qui ne figurent sur aucune statistique (parce qu'ils n'ont fait que transmettre un mot occasionnel, ou guidé un inconnu - à tort ou à raison, je pense que cette France de bonne volonté dépasse de beaucoup les chiffres répertoriés pour la Résistance. Je ne suis même pas certain que mon grand-père, ni son ainé qui en 44 courait les bois la Sten à la main, aient jamais été répertoriés ni encartés) que cette crainte les accompagnait tous.
A la fin de la guerre, une partie des résistants déportés sont revenus, les actualités et les journaux ont décrit ce qu'était un camp de concentration, et ça a été un choc : c'était donc ça que l'on risquait si l'on était dénoncé ! L'enfer sur terre ! un frisson rétrospectif a dû faire vibrer bien des échines.
Que dans ce contexte l'épouvante des lettres de dénonciation - mêmes rares dans les villages, en réalité, parce que le postier ou un voisin pouvait parfaitement repérer qui avait posté un lettre à l'adresse de la Kommandatur, tandis que les facteurs regardaient aussi ce qu'ils ramassaient, et pour beaucoup devaient faire le tri, bref le métier de dénonciateur n'y était pas si simple - que ces lettres de dénonciation aient laissé le souvenir durable d'un risque toujours présent et de l'existence de "mauvais Français" me semble assez naturel.
Bref, même à une époque où la légende dorée de la Résistance ne souffrait pas d'exception, existait en même temps, sans doute amplifiée par les soucis que les dénonciations avaient causé - très au delà de leur impact réel, pourtant sensible - une "légende noire" des mauvais comportements pendant l'occupation.
Vous remarquerez que je ne parle pas des Juifs : si on m'a expliqué très tôt ce qu'était Auschwitz et ce qu'on avait fait aux Juifs (là aussi, il faut tenir compte de l'effet de sidération : des abattoirs humains !) en revanche, aider les Juifs - ils l'auraient fait volontiers, je pense - le cas ne s'était pas posé dans ces villages de Haute-Saône. A moins que certains s'y soient réfugiés sans qu'on le sache, ce n'est pas ce curé là qui les aurait refusés, mais en tous cas ils ne faisaient pas partie de ce qui se racontait parfois à la veillée, au détour de la conversation. (j'ai tout appris par morceaux, de ce qu'ils avaient fait, tous.) Il n'étaient pas dans la légende.
S'il y avait donc, dans cette famille et dans ces villages, la légende noire des dénonciations, en revanche elle ne concernait pas les difficultés des Juifs. A cet endroit là, on n'avait pas vu le problème. Ils étaient passés en dehors de la légende, en quelque sorte.
Au demeurant il faut se méfier des idées préconçues : j'ai découvert (grâce à ce fil, et il me semble venant de Calade) qu'en 1939 le maire de Gray s'appelait Lévy, un juif incontestable. Que cette bourgade perdue, sur la Saône, et au centre d'une région strictement agricole, ait pu élire avant guerre un maire juif est très à l'envers de l'idée d'un antisémitisme catholique omniprésent. (Il a survécu à la guerre en allant se cacher dans le Haut-Doubs, où pourtant il n'était pas question de couper à la messe, les "montagnons" auraient trouvé la chose difficilement acceptable. J'imagine qu'il a bénéficié de quelques cours de catéchisme accélérés...
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