CEN_EMB a écrit :
Puis-je demander votre source (Tooze ?) ?
Merci.
CEN EMB
Ce chiffre vient de notes prises sur Der synthetishe Treibstoff 1933-1945 de Wolfgang Birkenfeld, c’est malheureusement en allemand et vraiment très spécifique. Une alternative, mais peut-être le connaissez-vous déjà, serait le très intéressant Annuaire statistique de la société des nations disponible en ligne :
http://digital.library.northwestern.edu ... tique.htmlPlus précisément page 6 de ce document :
http://digital.library.northwestern.edu ... 0277ah.pdf Pour l’Allemagne en 1930, on y trouve 345.000t d’essence (y compris les mélanges avec l’essence étrangère) contre 4.000t de « pétrole lampant ». En 1933, en production indigène seule, on a 296.000t contre 21.000t. Il faudrait cependant intégrer le benzol de la page 5 pour avoir un total (une vérification au passage des 89% pour les USA arrive aussi au bon résultat).
cush a écrit :
La raison principale du choix du diesel pour les "Deutschland" est l'autonomie: elle était presque le double de celle d'une installation classique vapeur - turbines (en gros 17000 nautiques pour 8 à 9000), ce qui pour un bâtiment destiné à opérer loin de toute base pour une durée indéterminée est un paramètre de première importance.
La notion d’autonomie par rapport au système de propulsion est assez délicate : soutes, carène, tonnage, type de combustible et échelles des installations comme des bâtiments ont une grosse influence. D’autre part, là où une turbine a un rendement maximal à charge nominale, le diesel arrive dans la zone où son rendement va s’effondrer. Inversement, à allure réduite de la vapeur sera produite et condensée « pour rien », tandis que le rendement de la turbine s’effondre. Dans la pratique, en croisière et sous variations d’allures, la consommation des diesels augmente beaucoup plus fortement que son homologue. L’idée de pouvoir faire route à allure économique stabilisée, sans parler de dériver, s’étant montrée impraticable (surtout après les cordialités échangées entre le Deutschland et un sous-marin anglais), il faudrait reprendre les tables d'autonomies pratiques, mais je ne les ai pas sous la main. Il me semble qu'elles étaient disponibles dans des archives en lignes de la Bundeswehr.
Mais même en restant sur l'autonomie théorique, un équivalent US des Deutschland serait la classe Pensacola de 1929, équipée d’antiques turbines Parson (pas redoutables d'efficacité mais dans la catégorie moteur de renault16 "c'est pas cher, c'est solide et ça suffit"). Si son rayon d’action est inférieur, il n’emporte que 70% du combustible des Deuschland, de sorte qu’en calculant l’autonomie comparée à 15nds, on est à environ à 5% d’écart. L'autonomie sur le cahier des charges était inférieur à l'allemand, d’où son emport. Cependant, lors du passage en chantier et de la refonte après l’explosion des soutes du Pensacola dans le pacifique, les options allaient jusqu’à 2.900t. Ce qui lui aurait donné une autonomie supérieure aux Deutschland. Leur grande autonomie vient surtout de leur emport.
Le fait est que, si un diesel est moins gourmand qu’une turbine à faible puissance, ce n’est plus si évident sur des diesels de moyenne ou forte puissance et encore moins quand les moteurs se multiplient. Le cas inverse a même été observé pendant la valse des innovations des années 20-30 et on rentre sur du cas par cas. Il faut voir qu’en 1933, B&W tient le record de rendement diesel dans sa catégorie marine en se hissant péniblement au-dessus des 30% en gazole. On attendait encore le turbocompresseur.
Ca n’engage que moi, mais je pense qu’il faut être très méfiant à propos des articles concernant la marine allemande : Koop a fait une série de livres de vulgarisation très sympathiques, mais complètement aux fraises d’un point de vue technique ( ainsi qu'un penchant pour l’interprétation velue ou la citation parfois apocryphe) et il a été malheureusement beaucoup repris.
Dans le cas des Deutschland, ce qu’on retrouve dans les résumés des réunions, c’est avant tout la contrainte de poids du traité de Versailles. Partant de là, on a un triangle entre armement, vitesse et blindage avec pour limite 10.000t.
Partir sur des 28cm, là où les autres pays se contentaient généralement de 20cm au mieux, a eu un effet direct et indirect monstrueux sur le poids (et la carène, réduisant déjà la vitesse). Même en acceptant une vitesse à la limite extrême de 26nds et un blindage léger, une conception traditionnelle était loin de tenir dans les 10.000t.
Il a fallu rogner partout ; souder la quasi-totalité de la coque pour éliminer le poids du rivetage, utiliser le blindage comme structure (structure trop légère qui était le royaume des fissures d’après le rapport d’inspection US de 1946) etc. On en était au point où les volants et poignées de manœuvre des vannes avaient été allégés. Dans ces conditions, le gain de poids du diesel n'était tout simplement pas évitable (et même les bâtis des diesels étaient allégés avec certaines conséquences). Ce qui n'enlève toutefois rien à ses qualités et à ce qu'il a apporté.
cush a écrit :
Pour le reste, la vapeur est très loin d'être une technologie rustique et/ou plus économique.
En ce qui concerne la rusticité et le coût de la vapeur, je vais devoir camper sur mes position, officier de marine ayant été embarqué sur un turbinard 60bars et un temps détaché chez un constructeur, la vapeur est restée mon violon d'Ingres.
La turbine est plus impressionnante que méchante aujourd'hui comme à l'époque. Si l’optimisation, notamment par les géométries des turbines est très complexe, cela reste essentiellement des machines tournantes. En forçant le trait, on peut considérer que le reste est un foyer, des caisses, de la plomberie, des pompes et de la régulation, beaucoup de régulation. Il faut voir que le vrai défi technique et facteur limitant à l’époque en marine est la réduction. En 1904 les turbines Parson de 10.000 ch éclairent déjà les villes et les turbines à gaz sont en prototypes avec des conditions bien plus délicates. En 1910 on en est à 25.000ch et les turbines 50.000kw n’ont pas tardé.
Face à une intallation vapeur, les diesels montent à 1600°C, 400bars d'injection, les anciens double-effet avaient une chambre de combustion en-dessous et une au-dessus du piston, 3 bielles par piston, les contraintes de la conversion translation-rotation etc... Si les vapeurs ont l’inconvénient de leurs auxiliaires, les diesels ont leurs chaudières à vapeur, leurs séparateurs à combustibles etc… C’est à cause de cette complexité qu’il faudra attendre 1933 pour atteindre les 20.000ch et 30 ans pour dépasser ce record.
Si les conditions sont différentes pour les unités civiles, il est intéressant de noter qu’en 1960, il se lançait encore 102 navires à turbines pour 37 diesels dans les plus de 15.000gt, pour des raisons de faible entretien, fiabilité et coût (outre le fait d’être moins difficile en combustible). Et après la transition, de la même façon que pendant les trente années précédentes ont été chantées les louanges de la turbine « sans casse et sans entretien » comparé à la vapeur alternative, pendant 30 ans la marine marchande gémira sur le diesel qu’on démonte à longueur de journée « parce qu’il casse ou qu’il est l’heure » comparé à la turbine.
En ce qui concerne le coût turbine/alternatives, en 1892 et dans les puissances supérieures à 100ch, on en est à un identique 300 francs par cheval pour la turbine Laval et l’alternative. En 1911, pour l’appel d’offre concernant les cuirassés Oklahoma et Nevada, Fore River propose 30.862.000fr en version turbine et 30.966.000fr en alternative, tandis que NY Shipping propose 30.815.200fr et 31.018.600fr. C’est à peu près la dernière donnée qu’on a pour les navires de guerre et il faut se rabattre sur la marine marchande pour la suite.
En 1917, apparaissent les cargos en bois standardisés US conçus en urgence. Suffisamment peu fiables pour qu’on les qualifie à l'époque de "première flotte sous-marine devant les U-boat", ils migrent vers les turbine Parson et Curtis, moins chères et plus faciles à produire en nombre pour remplacer les pertes. Vers 1920 - 1925, les évolutions de la turbine font monter les coûts et on arrive à un pic d’environ 5%-10% en défaveur de la turbine, les courbes se recroisant rapidement avec l’évolution de l’appareil industriel. Dans la fin des années 20, début 30, les navires à passagers et pétroliers lourds faisaient rarement d'études de prix, étant quasiment tous d'office en turbine, mais les rares l'ayant fait avaient des résultats similaires.
L’une des dernières conceptions de vapeur alternative sera sur la série des liberty ship ainsi que ses cousins et le coût n’a pas été pris en compte, les devis étant similaire à performances égales. Cependant, les turbines civiles et les lignes de production étaient réquisitionnées par la marine de guerre et il a fallu se rabattre sur la conception d’un nouveau moteur qui aurait été jugé obsolète 15 ans plus tôt. Pour la corvette Flower, même topo : même coût, mais capacités industrielles déjà réquisitionnées. Autre point très important : si le remplacement des alternatives par les turbines en grosse puissance et les diesels en faible se lance à grande échelle dans les années 20 dans la marine de commerce, tous les officiers de marine marchande connaissent les alternatives et ils étaient amenés à armer ces sabots sans qu'on ait le temps de les former.
Mais lorsque j’évoquais le faible coût de la vapeur, c’était avec l'idée de comparer la turbine au diesel. Là, il n’y a pas photo : en 1926 une motorisation complète à 2.500ch à l’arbre se négocie à 46.000£ en turbine contre 68.000£ en diesel et l’écart se creuse lorsqu’on multiplie les moteurs. En 1929 l’écart est entre 25% et 40%, mais cela peut quasiment doubler sur 4 moteurs. C’est pendant la guerre seulement que le coût va vraiment commencer à s’équilibrer avec la sophistication des turbines d’un côté et la prise d’expérience en production de diesels de l’autre.
Comme vous le faites remarquer, je n’ai effectivement pas évoqué les installations vapeur allemandes, mais j’y reviendrai plus tard, n'ayant pas le temps d'y répondre aujourd'hui malgré ma bien réponse tardive. Et moins concise que je ne l'espérais.