Jerôme a écrit :
Narduccio a écrit :
J'ai souvent lu cela, ou des phrases similaires. Il semble que dans l'esprit de certains les chars allemands pouvaient se retrouver en quelques semaines à Alger ou à Tunis... On oublie juste qu'il y a la Méditerranée à franchir.!
En Alsace on dit "on est un con". Seuls les ignorants oublient qu'en 1936 Franco avait franchi le détroit de Gibralatar sans vraie difficulté. Exemple présent dans beaucoup d'esprits en 1940!
Exact, mais ... Noguès propose justement la prise du Maroc espagnol pour supprimer une éventuelle tête de pont. Malgré les risques politiques de voir l'Espagne basculer dans la guerre. Il faut tenir compte des réalités géographiques. Il y globalement 4 solutions pour envahir l'AFN :
- traverser le Détroit de Gibraltar. Mais, il faut avoir l'accord du gouvernement espagnol, traverser un pays à l'infrastructure routière et ferroviaire déficiente (une panzerdivisionen a besoin de milliers de tonnes de ravitaillement chaque jours). Pour traverser le Détroit, il faudrait prioritairement prendre Gibraltar ... Sauf que l'on peut penser que la Royal Navy aurait mis tous les moyens pour rendre cela difficile, voire impossible. EN Normandie, en 1944, c'est l'artillerie navale qui va le plus désorganiser la défense allemande. Dans la zone battue la les feux des divers navires en poste, chaque tentative allemande se retrouve sous un bombardement massif et très efficace. Bref, il n'est pas évident que cette voie "évidente" ait été une voie de réussite.
- y a aussi la voie "terrestre italienne", via la Libye. "Terrestre", car le ravitaillement doit venir d'Italie et traverser un bras de mer qui serait sous la menace de Malte, mais surtout d'Alexandrie. Il faut aussi se souvenir que durant toute la campagne de l'Africa-Korps, Rommel s'est plaint des difficultés logistiques qu'il rencontrait. Difficultés qui expliquent certaines de ses déconvenues.
- il reste 2 vois "maritimes". La première, la plus courte, un débarquement des forces de l'Axe dans la région de Tunis. C'est la solution la plus facile parmi les solutions "maritimes". L'avantage, c'est que l'on pourra organiser le soutien aérien depuis des bases aériennes installées en Italie. Mais, il y a toujours les problèmes logistiques, il faut tenir compte que la géographie italienne impose le fait qu'il n'y a que 2 voies de chemin de fer longeant les 2 cotes de l'Italie. Cela fait un sacré goulet d'étranglement. Bref, les unités attaquantes risquent de manquer de ravitaillement.
- coté ravitaillement, la seconde voie "maritime" serait mieux fournie, car il s'agirait de passer par la France, d'embarquer par les ports français méditerranéens et de débarquer sur les plages algériennes. Sauf que la traversée fait environ 700 km, qu'aucun chasseur n'a une telle autonomie, que très peu de bombardiers sont capables de faire un tel chemin, sans compter que dans un tel schéma, il faut aussi tenir compte des marines conjointes de la France et du Royaume-Uni.
Bref, Franco a facilement franchi le Détroit de Gibraltar, en partie parce que ses partisans tenaient les 2 cotés du Détroit et que l'opposition qu'il a rencontré dans le sud de l'Espagne était assez faible. Il suffit de réfléchir quelques instants au problème pour voir que la continuation de la campagne de France en AFN n'est pas aussi évidente que cela. Sans oublier que l'armée allemande est à bout. De nombreux matériels qu'il faut réviser. Entre la fin de la Bataille de France et le début de la Bataille d'Angleterre, il y a 6 semaines. Ces 6 semaines furent le temps nécessaire pour remettre la Luftwaffe en état de mener la campagne. Et certains des spécialistes de la Luftwaffe auraient aimé bénéficier d'une ou deux semaines supplémentaires... Fin juin 40, l'armée allemande n'avait pas les capacités opérationnelles pour mener une opération d'envergure contre le territoire qui était sous commandement de Noguès. Le temps nécessaire à la rendre opérationnelle se compte en mois plutôt qu'en semaines. Et pour moi, cet argument sert de "cache-sexe étriqué" à des raisons plus profondes et plus complexes. Et je ne tient pas compte de l'expérience acquise lors des campagnes successives qui ont montrées qu'un débarquement n'était pas une opération anodine et qu'il requérait de très gros moyens logistiques. Il ne s'agit pas de mettre 2 ou 3 panzers sur un pédalo et traverser un bras de mer !
Jerôme a écrit :
La crainte que pouvait avoir un esprit prudent était la forte probabilité de voir les Anglais signer un armistice et les Allemands passer par l'Espagne. Il fallait la clairvoyance géniale de De Gaulle pour voir plus loin !
Voilà un argument nettement plus pertinent. Effectivement, pas seulement les "esprits prudents", mais un fort pourcentage des cadres de l'armée française pensent que les anglais vont être "réalistes", qu'ils vont reconnaitre la victoire allemande et s'assoir à la table des négociations. Pour limiter le HS, je ne vais pas débattre sur le fait que cette opinion est réaliste ou pas, je me contenterais de remarquer qu'il s'agit presque d'une évidence dans de nombreux esprits. Évidence qui fait suite à une autre "évidence", de nombreux cadres de l'armée, ainsi que de nombreux membres de la Haute Administration accusent les anglais de ne pas avoir fait l'effort nécessaire pour ne pas perdre la guerre et pour soutenir les français lors de la Bataille de France. Pour eux, l'Angleterre aurait dû lancer tous ses moyens dans la bataille et accepter de se faire laminer de la même façon dont nous avons été laminés. On reproche aux anglais leur "réalisme", tout en prétendant que ce même réalisme va faire qu'ils vont vouloir cesser rapidement la guerre. Or, le "réalisme" anglais se comprend dans l'optique d'une guerre longue, Churchill ne sacrifie pas l'aviation anglaise en juin 40, car il pense qu'il en aura besoin pour défendre l'Angleterre, et il rappelle qu'elle sert aussi à cela : défendre l'Angleterre ! S'il a besoin de garder des moyens de défense sous la main, c'est bien parce qu'il pense continuer la guerre au moins pendant un certain temps. Et de toute façon, le sacrifice de l'aviation anglaise n'aurait pas servi à grand chose puisque les forces franco-anglaises n'avaient plus de capacité offensive à ce moment-là... Bref, cela aurait été un sacrifice inutile qui n'aurait pas permis de sauver les forces françaises
Jerôme a écrit :
Par ailleurs ce débat ne concerne pas Nogues mais Weygand et De Gaulle !
Premièrement, ce n'est pas moi qui ai lancé la discussion sur ce sujet-là. Mais, deuxièmement, on est dans le sujet. De Gaulle a reproché à Weygand de ne pas avoir jeté ses forces, et son aura dans la continuation du combat. On oublie souvent que Weygand a été quasiment l'idéologue de la toute première période vichyste. On le mettra de coté quand la collaboration d'avec les allemands deviendra la ligne principale du régime, mais, hors la collaboration, les idées mises en œuvres par Pétain, c'est Weygand qui les définit dans une note ou une lettre fin-juin 1940. En fait, fin-juin 1940, ce qui bloque la politique de continuation des combats, c'est le soutien de Weygand et de Darlan à Pétain. C'est Weygand qui détermine Noguès à suivre Pétain. Noguès espère le soutient de Darlan, et puis Darlan choisit le ralliement à Pétain. Or, dans l'esprit de Noguès, et de pas mal des tenants d'une AFN "résistante", la participation de la marine française à cette résistante est un des points essentiels. Quand Darlan le laisse tomber, Noguès se range à l'avis de Weygand et il fait allégeance à Pétain.
En fait, de par sa position, le sous-secrétaire d’État à la Guerre qu'est De Gaulle se retrouve fréquemment en opposition avec Weygand. Weygand veut un armistice pour sauvegarder l'honneur de l'armée française. De Gaulle ne veut pas d'armistice car cela empêche la continuation éventuelle des combats. Si l'armée n'est plus capable de mener sa tâche en France, elle doit se replier sur l'AFN. La solution médiane, c'est que l'armée capitule, mais la haute hiérarchie militaire s'oppose à cela. Les débats sur l'armistice qui s'engage dès le 16 mai pour se solder le 17 juin, repose là-dessus. Et pendant une grande partie de cette période, De Gaulle et Weygand vont représenter chacun un des pôle de ce débat. Plus le fait que Weygand a été mis en place par les responsables politiques qui espéraient un "sabre" pour continuer la guerre, et que dès qu'il prend connaissance de l'état de l'armée, Weygand choisit le camp de ceux qui exigent l'armistice