Le rôle de l'empereur était celui du prince qui régnait plus qu'il ne gouvernait. Je trouve curieux qu'on se focalise autant sur Hirohito qui n'était en réalité qu'un personnage secondaire. Il y avait un roi en Italie et personne n'en parle pour la simple raison que l'homme fort n'était pas le roi, pourtant chef de l'Etat en titre, mais Mussolini. Il en était de même au Japon à la différence qu'il n'y avait pas un détenteur unique du pouvoir mais une petite nébuleuse, comprenant surtout des militaires, d'où partaient toutes les décisions. On peut aussi observer à titre de comparaison ce qui se passait en France à la même époque. A la lecture des lois constitutionnelles de 1875, le pouvoir exécutif était confié au président de la République qui avait l'initiative des lois concurremment avec le parlement, disposait de la force armée, nommait à tous les emplois civils et militaires, négociait et ratifiait les traités. Or nous savons qu'en fait il ne faisait guère qu'inaugurer les chrysanthèmes et que le chef effectif était le président du conseil dont la fonction n'avait même pas été définie par les lois constitutionnelles.
Une biographie détaillée de Hirohito a été rédigée par Herbert Bix,
Hirohito and the making of modern Japon (Haper Collins Publishers, 2000) dont une recension peut être lue sous ce lien :
http://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_2001_num_66_3_5112_t1_0721_0000_2. On y lit, sous la plume d'Alain Vernay :
L'ouvrage du professeur Bix fourmille de petits faits significatifs, remis en perspective afin de parvenir au dévoilement minutieux des intrigues, complots et conjurations de l'oligarchie japonaise civile et militaire de l'ère Showa, l'empereur étant tout à la fois le prisonnier et le maître – et pas seulement le dieu – quand il ose quelquefois imposer ses vues.Si l'empereur était nominalement le maître, il était aussi prisonnier et n'imposait ses vues qu'exceptionnellement. Certes, aux termes de la constitution de 1889, calquée sur la constitution de la Prusse, l'empereur du Japon détenait les mêmes pouvoirs que les Guillaume en Allemagne. Mais la pratique était différente en raison du poids de l'histoire et de la conception qu'on a de l'autorité dans la société japonaise. Comme l'a dit très justement Marc30 :
Difficile de savoir qui décide vraiment car le consensus est de règle.L'empereur était en premier lieu prisonnier de l'étiquette, particulièrement pesante, dont il ne pouvait guère s'affranchir parce qu'elle résultait de la sacralisation de son personnage et de l'importance du rite dans une société marquée par la pensée Confucéenne. Lorsqu'on lit les relations des discussions qui ont abouti à la décision de capituler, on peut s'étonner du silence de l'empereur et même de son absence de certaines réunions. C'est qu'on ne discute pas avec l'empereur : on lui rend compte humblement et on l'écoute avec vénération.
Mais surtout, le pouvoir discrétionnaire, le :
Car tel est notre bon plaisir des rois de France, était une notion inconnue. L'esprit dans lequel ont été établies les institutions qui ont succédé au shôgunat s'exprime dans la
Promesse impériale en cinq articles promulguée en 1868 (
goseimon), dont le premier article est :
Il faut organiser de façon large un système d'assemblées et faire régler les affaires suivant les désirs de l'opinion publique. Francine Hérail le commente ainsi :
Le système d'assemblées peut aussi bien signifier des conseils de gens éclairés se cooptant qu'un parlement élu. L'opinion publique peut aussi avoir une définition large ou restrictive, opinion correcte émise par des voies correctes. Pendant l'ère Meiji, cette opinion publique était exprimée par le conseil privé de l'empereur composé des genrô (les Anciens). Pendant l'ère Taishô qui a connu un début de démocratie, c'était celle de la majorité parlementaire. Au début de l'ère Shôwa, pendant la montée du militarisme, ont prévalu les théoriciens du nationalisme et de l'expansionisme avec des hommes comme Ariki et Konoe et, bien sûr, le haut commandement militaire. Les armées échappaient constitutionnellement au contrôle du parlement et du gouvernement pour dépendre directement de l'empereur. Paradoxalement, cela ne consolidait pas le pouvoir de l'empereur. Au contraire, cela légitimait l'immixtion des militaires dans le domaine politique. Le contexte international aidant, ceux-ci se sont progressivement imposés au cours des années 1930.
L'influence de l'empereur n'était pas totalement nulle, mais la latitude dont il disposait était étroite. Dans certaines situations graves, il lui est arrivé de donner des directives, ainsi, en juin 1945 a-t-il demandé à chercher à mettre fin à la guerre. En 1936, il a très fermement condamné la tentative de coup d'Etat par des militaires extrémistes. Mais il ne s'est jamais opposé à la tendance majoritaire. Tout donne à penser que Hirohito adhérait à l'idée de suprématie japonaise en Asie et approuvait personnellement les préparatifs de guerre. C'est notamment l'opinion de Herbert Bix. S'il avait au contraire tenté de s'y opposer, il est vraisemblable que cela serait resté sans effet. Une junte militaire aurait tout simplement annoncé avoir pris le pouvoir au nom de l'empereur et c'eût été le retour à une version moderne du shogunat.
La décision de capituler a été prise comme exposé par Pierma. A supposer que l'empereur eût opté pour la poursuite de la guerre, il aurait été obéi, les Américains auraient repris les bombardements stratégiques, auraient débarqué au sud tandis que les Soviétiques auraient envahi le nord, les Alliés auraient mis fin à la monarchie, peut-être même avec l'appui d'une insurrection populaire, et le Japon aurait été divisé en deux parties comme l'Allemagne et la Corée.