bourbilly21 a écrit :
2/ Oui, la grande erreur de Pétain est de ne pas avoir rejoint Alger fin 42 alors que tout son entourage l'en pressait, il y aurait balayé tout le monde !
Effectivement. Il aurait eu toute les cartes : la flotte aurait suivi, toute l'AFN était vichyste (sauf ceux que Vichy emprisonnait ou persécutait...) l'Armée d'Afrique pareil... De Gaulle aurait été marginalisé, et avec le soutien de Roosevelt, la France aurait connu une sorte d'épisode franquiste...
Sans doute pas durable, parce qu'il y a un facteur qui joue constamment - je viens de terminer "Roosevelt - De Gaulle" de Kersaudy - c'est l'opinion publique et la presse anglo-saxonnes, qui elles tiennent au respect des principes démocratiques et n'entendent pas accepter cet espèce de "fascisme modéré", dont les lois antijuives, typiquement, subissent une réprobation violente.
le duel Roosevelt- De Gaulle, spécialement au moment de l'épisode Giraud (ce n'était pourtant pas Pétain, et Dieu sait qu'en plus il n'avait pas l'esprit politique, et c'est un euphémisme...) c'est un cauchemar. Il y a heureusement dans les entourages respectifs de Giraud et de De Gaulle des gens honnêtes qui montrent une patience inlassable pour contrer ou amortir toutes les manoeuvres de Roosevelt, ou renouer le lien à chaque fois que Giraud (le plus souvent) ou De Gaulle (parfois) a cassé la négociation sur un coup de tête.
L'amusant est la présence de Monnet comme conseiller de Giraud, sur conseil de l'amiral Leahy, je crois. On le tenait en haute estime à Washington pour sa participation souple et décisive à l'élaboration du Victory Program, d'où l'idée qu'il allait être utile à l'Amérique comme conseiller politique de Giraud !
L'Angleterre avait carrément envoyé à Alger un ministre sans portefeuille, en mission, donc : MacMillan. Or MacMillan, pourtant briefé par un Churchill très remonté contre De Gaulle, n'a aucune sympathie pour Giraud, pour Vichy, ses oeuvres et ses pompes, et sait au besoin demander un appui à Eden.
De Gaulle est représenté par le très efficace Catroux, qui montre des dons exceptionnels de négociateur, enfin l'éternel Robert Murphy croit avoir partie gagnée et ne doute pas de réussir à subordonner De Gaulle à Giraud.
Malgré la présence de ces "honnêtes courtiers", la négociation avec Giraud pour venir à Alger, puis le combat sur place contre celui-ci, sont un véritable chemin de croix. J'en connaissais les grandes lignes, mais dans le détail et jour après jour, c'est une épouvante. il n'y a pas d'avanie que Roosevelt ne lui inflige, pas de caprice que Giraud ne lui épargne. (Au moment de la victoire en Tunisie, Giraud, voyez-vous ça, se considère comme LE vainqueur, celui qui a mené la campagne - comme si Eisenhower n'avait rien dirigé ! - et donc il remonte soudain le niveau de ses exigences, ne veut plus de De Gaulle que comme sous-ordre...)
L'ouvrage et la patience que "les courtiers" remettent 100 fois sur le métier, c'est un exemple d'abnégation et d'habileté (au service de la France, finalement) comme on en voit peu.
De Gaulle tient le coup courageusement, avec sa constance habituelle, mais il est accablé de tant de cabales et de manoeuvres qu'il en finit à certains moments par voir des manoeuvres américaines là où il n'y en a pas. Le "pauvre homme" devient fou, par moments. Dans ces moments il se cabre et se raccroche à son seul repère dans un tel cirque, ses principes : l'indépendance de la France et la trahison de Vichy. Et donc il clashe parfois à tort : Catroux lui présentera sa démission à plusieurs reprises.
Mais bon, voir arriver Eisenhower, qui lui déclare, sur ordre impératif de Roosevelt, qu'aucune arme ne sera fournie à la France si Giraud ne reste pas, de façon permanente, au même niveau de décision que lui, il faut quand même mesurer la taille des couleuvres à avaler ! (même si, le connaissant, on sait qu'il n'y voit qu'une apparence à conserver.)
Et chaque fois que la relation est rompue, les "courtiers" reprennent leur bâton de pèlerin, s'adressent au premier comme au second avec une proposition qu'ils élaborent sur le tas pour renouer le dialogue... Un travail de Pénélope !
De Gaulle passe donc une année très difficile à compter du débarquement en AFN. Ce qui le sauve, c'est d'une part sa puissance de travail, le fait qu'il travaille aussi un niveau au dessus de Giraud, dépourvu de tout sens politique, alors que De Gaulle semble n'avoir fait que ça toute sa vie, et d'autre part, le fait que sa position morale et démocratique, posée le 18 juin, constitue une sorte de bouclier inattaquable. (Qui lui vaut le respect de l'opinion anglo-saxonne et le soutien absolu de la Résistance, qui ne veut sous aucun prétexte d'un pouvoir néo-vichyste.)
C'est rare que ça m'arrive, mais à certains moments j'ai posé ce livre parce que j'en trouvais la lecture éprouvante ! Il y a des péripéties, des retours à zéro, qui découragent jusqu'au lecteur !
Pétain atterrissant à Alger, je préfère ne pas imaginer. Mais il est certain qu'il a raté là l'occasion de sa vie.