Pouzet a écrit :
Dans un fil du forum il était fait état de généraux fêtant la nouvelle en ouvrant le champagne.
J'ai dit quelque chose dans ce genre mais de fondamentalement différent : j'ai signalé que "tout le monde" savait que l'invasion de l'URSS était imminente, et comme le dit Pierre Nord :"il n'aurait plus manqué que ça ! [que le 2e Bureau français ne le sache pas !] Il suffisait de s'attarder un peu dans les boites parisiennes à la mode, où les généraux (sans doute) et les officiers (en quantité) sablaient le champagne à profusion, en disant "Ah, fini la belle vie ! Dans 10 jours c'est la Russie !"
Pierre Nord ajoute que ce mouvement vers l'est de la Wehrmacht faisait les gros titres de la presse neutre. On a déjà vu des secrets mieux gardés.
(il estime que Berlin n'a pas fait de gros efforts pour intoxiquer Moscou sur ses intentions, pensant sans doute que c'était impossible. CEN_EdG m'a déjà corrigé sur la paranoïa de Staline, s'interdisant de bouger par peur d'une provocation, mais j'ai oublié le point qu'il soulignait. De fait, on peut se poser une question : est-ce qu'il n'aurait pas été plus fin, de la part des services allemands, de lancer une intoxication sur le thème :"ce déploiement de grande ampleur est destiné à provoquer une agression préventive de la part de l'Armée Rouge, pour qu'elle déclenche la guerre elle-même, se mettant dans son tort, et même (là c'est moi qui imagine) pour qu'elle vienne offrir d'elle-même la bataille décisive souhaitée par les Allemands." Une intoxication de ce genre pourrait expliquer que Staline soit resté immobile et ait joué le temps. (A vrai dire personne n'a jamais produit le moindre indice d'une telle intoxication, et peut-être faut-il simplement admettre que Staline s'est intoxiqué tout seul, et s'est roulé seul dans la farine, lui dont la naïveté n'était pourtant pas le trait principal.)
le deuxième Bureau français tenait même la liste des unités qui quittaient la France, et connaissait le plus souvent leur destination, ou au minimum leur zone de concentration. (Et se faisait un malin plaisir à transmettre ces infos - accompagnées ou non de données sur la description de ces forces, je l'ignore - à leurs collègues soviétiques, accompagnés de commentaires du style :"C'est tout de même curieux, non" ?)
Les parisiens de l'Orchestre Rouge employaient le même moyen (entre autres : ce réseau avait aussi une source dans l'état major de la Luftwaffe, laquelle préparait sa migration vers l'est) bref, il ne devait pas manquer de gens pour offrir une seconde tournée aux Allemands.
C'est donc dans un esprit un peu différent que ce que vous indiquez : il ne s'agissait pas de fêter la nouvelle. Et a vrai dire, d'abord fini la belle vie, ensuite la Russie, même à supposer qu'on n'en fasse qu'une bouchée, c'est grand et c'est, au minimum, beaucoup de travail et forcément des pertes qu'on pouvait attendre plus sérieuses que face à la France : c'était un plus gros morceau. Tout général ou officier compétent devait accueillir la nouvelle avec plus de sérieux que d'euphorie.
Ah oui, j'ai oublié de citer les Anglais, parmi les gens qui avertirent Staline, sans être crus, ce dont ils devaient se souvenir. Stockholm aussi, il me semble. Et Sorge, agent soviétique, depuis le Japon. Le réseau russe en Suisse aussi. Vraiment "tout le monde".
Citer :
Quels étaient les sentiments d'Hitler le soir de la décision fatidique ?
Joie, calme, euphorie, angoisse, inquiétude ?
"Plus hésitant en cette occasion qu'à aucun autre moment de sa courte carrière" dit Pierre Nord, et il pourrait bien avoir raison.
Hitler affectait de n'avoir aucune crainte ("Il suffira d'un coup de pied dans la porte de cet édifice vermoulu pour que tout s'écroule", de mémoire, et sans doute comptait-il effectivement sur la lassitude du peuple russe après les grandes purges, entre autres.) mais il a confié à des proches des propos plus inquiets.
Il faut dire que le travail de renseignement de l'Abwehr sur l'Union Soviétique avait été très mal fait. (Il est vrai que Staline avait fait fusiller la moitié de ses généraux et 35 000 officiers au cours de l'affaire Toukhatchevski, en 37, ce qui a pu couper des liens de camaraderie établis à l'époque où les Allemands venaient développer leurs armes en commun avec les Russes, dans les années 20. Difficile de recruter et garder des "amis", dans ces conditions.) En réalité l'Union Soviétique était une boite noire, et les Allemands, en même temps que les habituels succès dans les encerclements de masse, allaient éprouver de dures surprises : ils ignoraient que les Soviétiques étaient en train de mettre sur pied une troisième et une quatrième vague de mobilisation (Halder se plaindra que pour 140 divisions soviétiques estimées, je crois, au bout de six mois on en ait identifié 200 ! de même l'existence du T-34 leur était inconnue. Et cela, que j'adore, qui montre que les services soviétiques - avant d'être épurés - ne chômaient pas : les officiers allemands se rendent compte, en entrant en URSS, que leurs cartes d'état-major sont truffées d'erreurs !)
Bref pour Hitler c'était un pas dans le vide, et même s'il savait posséder la meilleure armée du monde, ça ne pouvait être tout à fait rassurant.
(Ajoutons à ça le fait typiquement nazi que les Allemands sont entrés en Union Soviétique en commençant à maltraiter tout le monde, et en particulier en laissant les prisonniers russes mourir de faim dans des enclos barbelés, ce qui est insensé quand on compte sur l'absence de combativité des soldats ennemis.)
Citer :
Comment le peuple allemand de base a ressenti la nouvelle ?
Je n'en sais rien. Mais depuis mai 40, un an avant, ils avaient entendu à répétition sur leurs postes radio les sonneries de trompettes annonçant les communiqués de victoire de la Wehrmacht : capitulation ou invasion du Danemark, Norvège, Hollande, Belgique, France (en 6 semaines, alors que ce conflit inspirait au peuple allemand une sourde inquiétude) Yougoslavie, Grèce.
En juin 41, il n'y a plus vraiment de guerre sur deux fronts : pourquoi les Allemands se seraient-ils spécialement inquiétés pour cette invasion ? (On a du mal à imaginer, aujourd'hui, ce que fut la "divine surprise" de l'écrasement de la France en quelques semaines. Hitler faisait des miracles. Même ses généraux, éblouis comme tout le monde, en oubliaient de comploter.) Mais évidemment, cette vision optimiste n'empêchait certainement pas l'inquiétude pour les fils envoyés au combat.