Je voudrais dans ce nouveau fil attirer votre attention et particulièrement Pierma sur le cas Adrien Tixier. Je vous renvoie tout d'abord vers sa biographie de Wikipedia :
IciMais ce qui m'intéresse ici c'est son attitude vis-à-vis de De Gaulle, d'après ce qui est dit tout au long de l'ouvrage que j'ai cité maintes fois sur ce forum : François Kersaudy,
De Gaulle et Roosevelt. Le duel au sommet, Tempus Perrin, 2006.
En effet dans le fil sur les 12 marins français arrêtés par les Américains en 1942, citant Kersaudy, (
Ici je disais :
Oulligator a écrit :
Sachant que Tixier n'hésite pas de son côté à "descendre", à plusieurs reprises, le Général et la France libre aux États-Unis (c'est en tout cas ce que dit Kersaudy à plusieurs reprises)
Ce à quoi avait répondu Pierma sur le même fil :
Citer :
Là il y a un souci. Tixier est le représentant officiel de la France Libre aux Etats-Unis.
Je mets quasiment en intégralité les passages qui me semblent aller dans le sens de la thèse qui montre un Adrien Tixier sinon antigaulliste du moins avec une attitude très ambiguë...
François Kersaudy a écrit :
«La première tâche ne sera pas la plus simple : pour présider une nouvelle délégation, Pleven pense d’abord à Alexis Léger, au philosophe catholique Jacques Maritain à Jean Monnet - qui refusent tous les trois. Pour finir, sur recommandation de l’ambassadeur de Grande-Bretagne Lord Halifax, il contacte Étienne Boegner, jeune industriel et fils du pasteur Marc Boegner *, ainsi qu’Adrien Tixier, ancien syndicaliste socialiste et haut fonctionnaire au Bureau International du Travail; il s’adresse également à l’écrivain et journaliste franco-américain Raoul Roussy Sales, aussi célèbre aux États-Unis pour ses écrits politiques que pour son illustre ascendance. Tous trois acceptent sans grand enthousiasme - aucun d’entre eux n’étant gaulliste -, et Pleven leur adjoindra de Sieyes, ainsi que le jeune Raoul Aglion comme secretaire general. Roosevelt et Hull ayant refusé de le recevoir, Pleven s’entretient avec Hopkins, Stimson, le vice-président Henri Wallace et le ministre des Finances Morgenthau, mais il obtient partout la même réponse : il n’est pas question de reconnaître le Comité national, en conférant à la délégation un quelconque statut diplomatique. (p.90)
François Kersaudy a écrit :
Du reste, le président, dont les services secrets sont fort bien introduits au sein de délégation de la France libre note que les représentants du général de Gaulle continuent a s’entendre aussi mal que possible : après la querelle entre Sieyès et Garreau-Desbasle, ce sont maintenant Boegner, Tixier et Roussy de Sales qui s’entre-déchirent; pire encore, ils se répandent tous trois en propos hostiles au Général lui-même, qu’ils sont pourtant censés représenter! Le cas le plus extraordinaire est sans doute celui de Tixier, Vieux syndicaliste caractériel que de Gaulle a nommé chef de délégation. L'amiral Muselier écrira plus tard que Tixier «prenait parfois des initiatives contraires à ses instructions et à nos directives générales». Pour une fois, le fougueux amiral fait preuve de retenue, car ce que les Américains peuvent constater est bien plus calamiteux encore; le 26 février 1942, le secrétaire d’État adjoint Adolf Berle note que Tixier, venu l’entretenir du problème de l’aéroport de Pointe-Noire et de la demande concernant les huit avions Lockheed, lui a montré le télégramme d'instructions du Général, en lui avouant qu’il avait conservé le télégramme pendant trois jours avant d’oser le lui présenter», en ajoutant, pour mieux marquer sa désapprobation, qu’il extrêmement difficile de traiter» avec le Comité français de Londres». Un mois plus tard, Tixier, s’étant rendu à Londres pour s’entretenir avec le Général, rencontre le chargé d’affaires de l’ambassade des États-Unis, qui télégraphie au Département d’État : «Tixier est d’avis que ni le gouvernement britannique ni le notre ne comprennent la situation en France, et que le général De Gaulle et son entourage au Carlton Gardens sont tout aussi dénués de sens des réalités. [...] Les ferments de résistance en France ne se trouvent que dans “ le peuple ”. De Gaulle et ceux qui le suivent, dit-il, n’ont aucun contact avec “ le peuple ”. [...] Il trouve que ceux qui sont au QG de la France se préoccupent tant de leurs “ petites querelles mesquines” qu’ils sont hors d’état de donner au mouvement l'action “désintéressée” qui lui est nécessaire». Comment s’étonner après tout cela que le New York Times, toujours bien informé, ait pu écrire peu après : Il y a des signes de désintégration jusqu’à l’intérieur de la délégation gaulliste à Washington...» ? (p. 121-122)
Astérisque de bas de page dans un dialogue entre le général et E. Boegner (p. 127) :
François Kersaudy a écrit :
Le général De Gaulle semble faire une confiance totale à Adrien Tixier sans avoir pris la mesure de son antiaméricanisme... et de son antigaullisme.»
François Kersaudy a écrit :
«En d'autres termes, il s’est retrouvé à Washington, où il a adressé au Département d’État entre le printemps et l'automne de 1942, plusieurs mémoires dénonçant le «fascisme» du général de Gaulle... Quant aux représentants de la France libre à Washington, il continue à défendre la cause du Général avec des arguments pour le moins ambigus ainsi que le notera Sumner Welles dans un mémorandum du 28 septembre : «M. Tixier a affirmé que tout le problème venait du fait que le général De Gaulle n'était jamais allé aux États-Unis, ne connaissant rien des États-Unis en dehors de leur histoire militaire, et ne parlait même pas l’anglais. Il a ajouté que dans ces conditions, il était naturellement difficile pour le général de Gaulle de comprendre l’opinion publique de ce pays de même que l’attitude et la politique de son gouvernement.» (p. 151)
François Kersaudy a écrit :
admirera la patience et la sérénité du général De Gaulle à cette occasion... Mais deux jours plus tard, soupçonneux, il écrit au même Tixier:« J’ai l'impression qu’une certaine équipe franco-américaine s'efforce d’empêcher ou de saboter d’avance la rencontre prévue entre le président Roosevelt et moi-même. C’est la même bande qui a jusqu’à présent réussi a empêcher toute entrevue. Je ne sais pas si vous avez le moyen de faire dire cela au président en personne. Si vous avez ce moyen, il y a lieu de l’employer tout de suite. Je suis très désireux d’une conversation simple et sincère avec Roosevelt.» Hélas ! Le Général aurait été fort surpris s’il avait pu connaître le nom d’au moins un membre de cette «équipe franco-américaine», qui s’efforçait d’empêcher sa rencontre avec le président... C’est que trois jours plus tôt, Adrien Tixier en personne avait rendu visite au secrétaire adjoint Adolf Berle, qui a noté avec une évidente satisfaction les propos de son interlocuteur au sujet d’une rencontre entre de Gaulle et Roosevelt : «Tixier a déclaré que (..) le général de Gaulle avait le sentiment d'être victime d’une injustice, et il débordait d’amertume. Il [Tixier] pensait que lorsque les deux hommes se rencontreraient il y aurait une scène très violente. [___] Le Département d’État, a-t-il demandé, ne pourrait-il tenter une rupture entre le président Roosevelt et le général de Gaulle ? » Bref, Adrien Tixier, pour des raisons de lui seul connues, fait l’impossible pour empêcher toute rencontre entre les deux hommes ! Ce n’est pas la première fois que le représentant du général de Gaulle à Washington fait exactement l’inverse de ce que lui demande le Général- ce n’est pas non plus la dernière...» (p. 185)
François Kersaudy a écrit :
[…] le Général écrit a Tixier le 13 février : «D’une manière générale, je demeure naturellement désireux de me rendre aux États-Unis. Je suis convaincu en particulier que de nouvelles conversations avec le président, ainsi qu’un contact direct avec MM. Cordell Hull et Sumner Welles et avec les hautes autorités militaires américaines, seraient extrêmement utiles. Vous pouvez le dire à M. Sumner Welles en ajoutant, ce qui est vrai, que j’ai été vivement impressionné par les entretiens que j'ai eus a Casablanca avec le président et que je suis personnellement convaincu de leur grande utilité.»
Quoi qu’il ait pu écrire par la suite, le Général considère manifestement à l’époque que sa première entrevue avec le président a été un succès, et que de nouveaux entretiens permettront de dissiper tous les malentendus. Mais les choses ne sont pas aussi simples, et elles sont même singulièrement compliquées par la situation aux États-Unis. D’une part, il y a - encore et toujours - les initiatives du représentant sur place de la France combattante, Adrien Tixier; cet homme fort peu diplomate n’est guère apprécié de ses interlocuteurs américains, mais il n’en continue pas moins à dénigrer auprès d’eux le Général et son entourage... Le 28 décembre 1942, lors d’une conversation avec Sumner Welles, il avait déclaré que «du fait de l’atmosphère qui régnait à Londres, il ne pouvait plus exercer d’influence sur la politique du général de Gaulle»; Welles lui ayant fait observer que «son gouvernement considérait que l’unique objectif à l’heure actuelle devait être l’union de tous les éléments de résistance francaise [.,.] jusqu’à ce que les puissances de l’Axe aient été chassées d’Afrique», et que dans l’intervalle, «toutes les questions politiques devaient être laissées en suspens», Tixier avait répondu qu’«il n’était pas le moins du monde en désaccord avec lui à ce sujet», mais que «c’était le Comité national français de Londres qui s’opposait à cette politique». Ainsi, les vues exprimées par Tixier restent aux antipodes de celles de l’homme qu’il est censé représenter... et ce dernier ne s’en doute toujours pas!»
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«Κρέσσον πάντα θαρσέοντα ἥμισυ τῶν δεινῶν πάσκειν μᾶλλον ἢ πᾶν χρῆμα προδειμαίνοντα μηδαμὰ μηδὲν ποιέειν»
Xerxès,
in Hérodote,
L'Empereur n'avait pas à redouter qu'on ignorât qu'il régnait, il tenait plus encore à ce qu'on sût qu'il gouvernait[...].
Émile Ollivier, l'
Empire libéral.