Vos scrupules sémantiques vous honorent, JML.
Je n'en ai personnellement aucun à utiliser l'expression ''impérialisme américain'' sans qu'il y ait de ma part une quelconque connotation gauchisante ou moralisatrice.
En cela, je ne fais que reprendre une expression utilisée sans complexe par nombre d' Américains, hommes de droite, politiciens et universitaires, qui ont développé pour leur pays des projets dont ils reconnaissent ouvertement qu'ils sont de nature impérialiste--ergo qu'il existe bien un imperium américain.
Comme dit un article lu sur le sujet, ''impérialisme n'est pas un gros mot aux EU.''
Fondamentalement, cependant, la formule de l'impérialisme US diffère sensiblement de la formule classique de l'impérium colonial/territorial/militaire, tel qu'il existe de Rome aux Etats européeens modernes.
En effet, on peut considérer que les pères fondateurs de l'impérialisme US sont Teddy Roosevelt, Zimmerman, Root, Cabot Lodge et surtout l'amiral Alfred Thayer Mahan, auteur du célèbre ''The Influence of Sea Power upon History...''.grand admirateur de la puissance britannique et magistral théoricien de ll'impérium US.
Il existe des différences de pensée entre ces individus mais grosso modo la vue qui les rassemble est qu'un imperium peut exister hors de toute appropriation territoriale, sans exercice direct du pouvoir politique par la puissance impériale, et avec un minimum de présence militaire.
La spécificité de cet impérialisme US est donc de refuser par principe--mais seulement en principe
--l'expansion territoriale en terre étrangère. Cette règle a bien entendu connu des exceptions, mais elle a été adoptée comme doctrine au XIXe siècle, après des débats passionnés, car il y avait une mouvance politique qui souhaitait que les US s'alignent purement et simplement sur les pratiques annexionistes et colonialistes des puissances de la vieille Europe.
Teddy Roosevelt a écrit dans son Corollaire à la doctrine de Monroe ''les EU ne doivent pas avoir de problèmes de conscience à avancer leurs intérêts dans le monde pourvu qu'ils combinent la recherche du pouvoir à un but plus élevé''. Zimmerman définit l'impérium comme ''l'extension de l'autorité nationale sur des communautés étrangères'' et donc pas obligatoirement sur des territoires. Mahan précise une point de doctrine capital en posant qu'''un pays n'a pas besoin de s'approprier des territoires pour exercer une autorité impériale sur d'autres pays...''
Pour cela, il existe d'autres méthodes, plus modernes, moins coûteuses, plus discrètes et donc moins susceptibles de susciter des révoltes d'autotochtones, comme le recours à la formule du protectorat, de la sphère d'influence et du domaine réservé, de la pression économique, de l'action couverte et du conditionnement idéologique/culturel.
Cette formule spécifique de l'impérialisme US, qui a reçu grosso modo sa validation morale et politique au moment de la guerre hispano-américaine, procède certes d'une analyse pragmatique--que l'impérialisme annexionniste classique est dépassé, car peu efficace et trop coûteux--mais il est important de souligner qu'elle s'accompagne aussi d'une justification morale--l'encore jeune république américaine, qui a du se battre pour se libérer du joug colonial britannique, ne saurait sans trahir les principes qui la fondent, infliger à d'autres peuples la colonisation qu'elle a subie. Cette merveilleuse coïncidence d'arguments éthique et d'intérêt bien compris semble d'ailleurs être une constante de la praxis politique US.
Cette formule d'impérialisme définie dans la seconde moitié du XIXe est restée en vigueur jusque dans les années 80.
On ne peut donc comprendre l'impérialisme US post 1945 sans remonter aux principes qui le fondent, cad au XIXe.
Et on constate que, jusqu'à la fin de la guerre froide, nombre de pays d'Amérique du Sud fonctionnaient encore sur ce mode, avec des régimes politiques qui n'auraient pas tenu une seconde sans le soutien économique, logistique et militaire des EU.
Dans ces pays, de grandes compagnies US, comme la fameuse United Fruit, avaient toute latitude pour exploiter les ressources naturelles; en fait, rien ne pouvait se faire sans leur agrément, et elles dictaient l'essentiel des politiques des pays concernés.
Les habitants d'aillleurs n'étant pas dupes de ces gouvernements fantoches, qui n'avaient rien à refuser à leurs puissants voisins du Nord, qui contrôlaient des pans gigantesques de leur économie et sans l'appui duquel les gouvernements locaux ne se maintenaient pas longtemps en place--comme Manuel Noriega, entre autres, en a fait l'amere expérience en 89.
Le Panama est un exemple type de cet impérialisme moderne Etats-unien--c'est d'ailleurs un pays qui a eu pendant un temps le statut officiel de protectorat US.
Et rappelons enfin que les dernières interventions militaires directes des troupes US dans leur pré carré--Granada 1984, Panama, 1989, Haiti, 1994 et 2004, pour faire sauter Aristide élu par les Haitiens--ne sont pas si lointaines...